Débuter dans le métier d'instit : une position durablement inconfortable

Laissez-moi vous conter les premières années types d’un jeune instituteur…

La suppression de mon poste la semaine dernière m’a ramené à ma condition de jeune enseignant (moi qui pensais au bout de presque dix ans ne plus l’être…). Et un jeune enseignant, globalement, vit en quelques années tout le pire de sa carrière. Tel est le paradoxe de la profession, qui fait subir aux jeunes ses plus mauvais côtés dans les premières années, quand l’enseignant aurait besoin de stabilité et de sécurité pour se former et s’affermir dans sa pratique, et non d’être écœuré de son métier.

J’ai discuté ce weekend avec un ami instit et on a fait le point sur nos premières années et sur celles des copains et copines dans notre cas. Il y a des récurrences, un itinéraire commun à tous, et voilà à quoi il pourrait ressembler…

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A l’IUFM on nous avait prévenus

« Sachez-le, vous en avez pour 4 ou 5 ans minimum de galère. Vous allez commencer avec de petits barèmes, donc les postes que vous pourrez obtenir sont les plus durs, ceux que les autres ne veulent pas.

- Mais on est jeune et inexpérimentés, nous ! On n’est peut-être pas les mieux placés pour prendre ces postes-là ! Ce sont des postes qui demandent au contraire beaucoup d’expérience, de métier, non ?

- Oui, je sais.

- ...

- Vous compenserez par votre envie, votre énergie et votre dynamisme. Vous avez aussi une force de travail et une santé qu’on n’a plus au bout de vingt ou trente ans de carrière, quand on a en plus une famille.»

C’est comme ça qu’on est entré dans le métier, super heureux de savoir qu’en plus d’écoles et de postes difficiles, on n’aurait plus de vie perso.

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Les premiers postes

Sauf que, ce que le prof d’IUFM ne nous avait pas dit, c’est qu’on n’obtiendrait pas de poste du tout, au début. SDF de l’enseignement, sans poste déterminé = à la merci disposition totale de l’administration. En clair : nous constituions la chair fraîche que les rectorats de France et de Navarre pouvaient envoyer sur tous les fronts.

Alors, pour premiers postes, nous avons eu :

- des classes situées dans les ZEP les plus dures, classes qui n’avaient pas été attribuées faute de volontaire, écoles à fort taux de dépression et d’arrêt maladie…

- des postes à spécialisation, type CLIS, constituées d’élèves malades, handicapés ou simplement possédant assez de troubles du comportement pour qu’on les sorte des classes « banales » ; ces postes nécessitent une formation spécifique d'au moins un an mais bon c'est pas grave, on y met des jeunes sans expérience...

- des postes… en collège, eh oui, ça existe un instit qui enseigne en collège : ça s’appelle une SEGPA et ce sont des classes composées d’ados en (très) grande difficulté scolaire et généralement sinistrés familialement et socialement ; ces postes aussi demandent une formation solide d'un an, mais bon ne pleurez pas on vous donne une semaine de stage...

- des bouts de poste… Par exemple 4 quarts-temps sur 4 écoles et 4 niveaux différents : le lundi en CM2, le mardi en petite section de maternelle, le jeudi avec des CP encore ailleurs, le vendredi remplaçant un peu partout…

On était jeunes, on se disait que les voyages forment la jeunesse, que toutes ces expériences allaient nous endurcir et nous enrichir (pas financièrement, hein). Dans les faits, certains d’entre nous ont plus que galéré, la plupart a passé de sombres, sombres soirées (mais moins sombres que les journées).

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La première école pour de vrai

Ça devait durer le temps de se faire un petit barème (avec un enfant on gagne des points, quand ma femme m’a dit qu’elle était enceinte je lui ai dit que je voulais des quintuplés).

Heureusement au bout de 4 ou 5 ans, on a fini par avoir assez de points de barème pour prétendre à autre chose que ces conditions extrêmes d’ « enseignement ». Tant mieux parce qu’on avait déjà un peu perdu de notre fraîcheur et de nos illusions. Et, pour tout dire, nous ne savions pas exactement ce que c’était, une classe normale !

Les premiers d’entre nous ont obtenu des postes pas trop mal, dans des écoles pas trop dures. Quel joie alors de lire sur l’avis de mutation « nommé à titre définitif » ! Ça y est, on est tranquille ! Plus personne ne pourra nous déloger de là contre notre volonté, on maîtrise notre destin, on va enfin pouvoir se poser quelques années avant de bouger à nouveau ! On va pouvoir enfin s’investir dans une école, une équipe, un projet, apprendre à travailler dans la durée…

Certes. En guise de projet, on va surtout hériter de la classe que les autres enseignants n’ont pas voulue. Et s’ils ne l’ont pas voulue, c’est généralement qu’il y a une bonne raison. Pour ma part j’ai eu une classe avec 17 garçons et 9 filles, ce qui est un vrai déséquilibre, et surtout avec un certain nombre de « cas ». Il m’a bien semblé sur le coup que cette année était difficile… Et en effet, les années qui ont suivi me l’ont confirmé : mes « cas », bien que dispersés les années suivantes, ont… secoué les classes de mes collègues.

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La logique du dernier arrivé

Mais ce n’est qu’une année, après tout. C’est normal, une sorte de bizutage, quoi. Il faut bien s’intégrer, on paie pour voir. Et on se dit que les années qui suivront seront plus cool.

Mais non. Parce que justement, le problème quand vous arrivez en dernier, c’est d’être le dernier arrivé. Et il faut bien le reconnaître, c’est quelque chose qui arrive fréquemment, quand on est jeune instit ! Et comme vous êtes le dernier arrivé vous êtes aussi le dernier sur la liste de ceux qui ont quelque chose à revendiquer. Par exemple, si un poste se libère en CM1 et qu’il vous intéresse, vous pouvez oublier : il ne vous reviendra que si personne d’autre n’en veut.

… Une année, la répartition des enfants nécessite la création d’une classe à double niveau difficile : un CP / CE1. Les classes à double niveau ne sont de toute façon pas évidentes à gérer, mais celle-ci l’est encore moins car les élèves sont petits, peu autonomes, et il y a l’enjeu majeur de la lecture. Vous pensez logiquement qu’on va débattre en conseil des maîtres, que des enseignants expérimentés ayant longtemps enseigné dans les petites classes, très solides sur l’acquisition de la lecture, vont prendre le CP / CE1 ? Pensez ce que vous voudrez mais pas trop longtemps : c’est vous qui en héritez.

Voici une nouvelle année de galère, vous avez l’impression de ne pas vous en sortir, l’organisation, la course contre le temps, l’insatisfaction toujours, la pression des parents qui flippent sur le double niveau, sur la lecture, sur tout…

Finalement, l’année se passe pas mal, c’est dur mais vous vous en sortez. Vous finissez aussi par comprendre que maintenant vous allez être abonné à ce type de classe dans l’école puisqu’à votre statut de dernier arrivé se greffe un argument imparable : « ben maintenant t’as l’expérience ! ». Pfff.

Allez, vous faites contre mauvaise fortune bon cœur : après tout c’est vrai que vous vous en êtes sorti, au prix certes de gros coups de blues…

df

Un poste définitif ne l’est pas !

Las, nouveau rebondissement ! Vous avez la chance de bénéficier d’une « MCS », Mesure de Carte Scolaire. Le temps de comprendre ce que ça signifie et tout s’effondre : suppression de poste. Ben oui, si un poste devait sauter dans l’école, c’était fatalement le votre, celui du dernier arrivé, qui y passait. Comment ça, vous étiez pourtant « nommé à titre définitif » ?…

Alors vous voici à la recherche d’une nouvelle école. Sauf que depuis trois ans, 50 000 postes ont été supprimés, alors forcément ceux qui restent valent chers. Conséquence, il est bien plus dur d’en obtenir un, il faut des barèmes plus élevés qu’avant. Au passage vous avez une pensée pour ceux qui débutent maintenant : non seulement ils n’ont pas été formés, mais en plus ils en ont pour 8 ou 9 ans minimum de galère et plus seulement 4 ou 5 comme vous…

Mais pendant que vous faites votre « mouvement » (= demande d’écoles), un doute vous envahit lentement. Dans cette nouvelle école, vous serez le dernier arrivé. Et le dernier arrivé, vous savez ce que ça vaut…

C’est quand qu’on n'est plus un jeune instit’ ?

df