Suspecte inspection


La maîtresse « E » de notre école (appelons-la Jeanne) a été inspectée il y a quelques temps. Pour rappel, le maître « E » est l’enseignant spécialisé qui travaille avec les élèves en (grande) difficulté au sein du RASED (Réseau d’Aide Spécialisée aux Elèves en Difficulté) également composé d’une psy, d’une ré-éducatrice, d’une assistante sociale. Comme un RASED a la charge d’une vingtaine d’école environ (oui ça fait beaucoup), Jeanne ne peut prendre dans notre école que quelques élèves deux fois trois quarts d’heure dans la semaine. Elle travaille avec eux en petits groupes, différemment de ce qui est fait dans la classe. Jeanne fait du bon boulot et son approche des élèves est fine.


Les instits sont inspectés tous les trois ans environ. Enfin, trois ans, c’est ce qui est préconisé… Dans les faits c’est plutôt quatre ou cinq, et certains enseignants de notre circonscription ont passé plus de dix ans sans être évalués. Mais depuis l’arrivée d’une nouvelle inspectrice il y a deux ans, le retard a été rattrapé. Cette inspectrice a plutôt bonne réputation parmi les enseignants, notamment ceux qui ont été inspectés et qui lui reconnaissent compétence et humanité (ça peut paraître le minimum mais ce n’est pas toujours le cas) bien que très administrative.


Comme on est toute l’année livrés à nous même dans notre classe, une inspection, vu leur fréquence, provoque un stress certain dès l’annonce, une semaine avant environ. Car les enjeux sont importants : il y a la carrière bien sûr qui se joue, car le rapport et la note vont influer sur l’avancement. Mais au-delà, c’est le retour sur sa pratique que redoute l’enseignant : cette peur de s’entendre dire en substance « ce que vous faites est mauvais, vous avez tout faux ». Nul doute que si on était inspectés plus souvent, ces enjeux seraient moindres.


A cette tension usuelle s’ajoutait pour Jeanne le fait qu’elle allait se faire inspecter pour la première fois en tant que maître E, ayant passé le concours (CAPA-SH) il y a deux ans après plus de 30 ans de métier. Depuis son concours de spécialisation réussi, elle n’a eu aucun retour sur son travail.


L’inspectrice est donc venue voir Jeanne dans sa petite salle du deuxième étage, au travail avec cinq ou six élèves, une séance sur la langue. Suite à quoi elles ont discuté comme il se doit, revenant sur la séance et plus généralement sur lapratique de l’enseignant et notamment son respect des textes. Mais en guise d’entretien,Jeanne n’a droit qu’à quelques mots, positifs, de l’inspectrice qui lui annonce qu’elle ajoute un point supplémentaire à sa note actuelle (ce sera toutefois à l’Inspecteur d’Académie de valider la chose).

Un peu interloquée, en attente d’autre chose, Jeanne lui demande si ce qu’elle fait est bien, si ce qu’elle propose est en adéquation avec les besoins des élèves. La réponse de l’inspectrice est sans détour : « Je suis incapable de vous dire, je ne connais rien au spécialisé. Mais j’ai fait partie de votre jury lors de votre oral de CAPA-SH, et il y avait à côté de moi dans ce jury un enseignant spécialisé, lui, qui pense beaucoup de bien de vous ».


Jeanne est sortie de cette inspection avec un sentiment ambivalent. D’un côté, le bilan chiffré est bon, sa note va monter. Mais de l’autre… Sans regard extérieur sur sa pratique de maîtresse spécialisée, elle va continuer ainsi, à se demander si ce qu’elle fait est bien. En sachant que la personne chargée de l’évaluer n’a pas les armes pour le faire, et qu’elle est donc condamnée à rester seule avec ses doutes.


Trois remarques me viennent :

- pourquoi diable laisse-t-on quelqu’un évaluer un enseignant spécialisé alors qu’il n’est pas qualifié pour cela ?

- qu’est-ce que ça aurait donné avec un autre inspecteur, celui d’avant par exemple, ou n’importe lequel n’ayant pas participé à l’oral de ma collègue ?

- et si, en dernière analyse, le peu de considération envers le RASED que tout ceci traduit n’était que l’expression concrète et diffuse d’une politique très claire, elle, sur l’avenir des Réseaux ?


En 2008, Xavier Darcos annonce la suppression de 3 000 postes par an jusqu’en 2012 dans les RASED.

En 2009, le ministère fait machine arrière mais 2200 postes sont encore supprimés.

En 2010, un document interne au ministère de l'éducation nationale relatif au « schéma d'emploi 2011-2013 » recommande de nouvelles suppressions de postes RASED.


Pourquoi donc ai-je, de cette inspection, l'image d'un podologue chargé d'aller évaluer la dentition d'un condamné à mort ?...


Nota :

Sur l'enseignement spécialisé, voir le site de Daniel Calin : http://dcalin.fr/rased.html

Rased
en lutte : http://rased-en-lutte.net/2010/05/fnaren-un-nouveau-rapport-envisage-la-suppression-des-rased/

Et puis, cet article, dont on reparlera sûrement : "Les
rased aident-ils vraiment les élèves en difficulté ? : http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=1239