My taylor is not so rich

(la supercherie de l'anglais à l'école)

Depuis 2005, tous les élèves de l’école élémentaire française bénéficient officiellement de l’apprentissage d’une langue étrangère (anglais la plupart du temps mais aussi allemand, arabe, chinois, espagnol, italien, portugais et russe).


Disons le d’emblée : pour ce qui me concerne, il s’agit globalement d’une belle supercherie. Évidemment, c’est une très bonne chose que les élèves puissent apprendre l’anglais dès le plus jeune âge. Malheureusement, et contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, ce n’est pas le cas : majoritairement, l’apprentissage est médiocre. Je le sais, j’apprends l’anglais à mes élèves.


Les raisons à ce décalage entre les volontés officielles et la réalité ?

Réglons d’abord la sempiternelle question du volume horaire des enseignements. En CE2, CM1 ou CM2 il faut faire entre 1 h 30 et 2 heures d’anglais par semaine de 24 heures. Dans les textes, parce que dans la vraie vie, on fait anglais quand on a fini le français, les maths, l’histoire, la géo, les sciences (encore que), et même le sport, le dessin, la musique (mais avant l’informatique, quand même).


La deuxième raison, ce fut durant un certain temps (plus maintenant) le manque de ressources facilement utilisables pour l’enseignant. Les éditeurs ont mis un certain temps à réagir, et les pistes données par le ministère en 2002 puis en 2007 ne se prolongeaient que rarement concrètement. Une fois de plus, il fallait créer de toute pièce ou presque les supports pédagogiques (vive le web).



Mais la raison majeure reste celle de la compétence des enseignants. Bien sûr, une solution aurait été de fournir aux classes de primaire des « intervenants en langue ». Sans être toujours la panacée (la question de l’autorité, celle de l’adéquation au niveau des élèves…), l’intervenant en classe avait au moins le mérite de la parler correctement, cette fichue langue ! Le problème, c’est que ça coûte de l’argent : on a donc supprimé ces postes-là, il n’y a aujourd’hui quasiment plus d’intervenants en primaire.

Il n’y a plus non plus d’instits spécialisés en anglais, comme ce fut le cas à Paris par exemple : pendant des années, des instits étaient détachés auprès d’autres classes pour y apprendre l’anglais. Ces enseignants riches d’une grosse expérience de la classe qu’un itinéraire personnel avait rendus quasiment bilingues avaient développé au fil des années une compétence de haute volée. On a préféré leur demander de réintégrer leur classe, parfois au bout de 20 ans. C’était toujours ça d’économisé.


Désormais ce sont les instituteurs lambda qui s’y collent (y aura pas besoin de les payer pour ça, ils le sont déjà !). Comme, à la base, ils ne savent pas mieux parler anglais que votre voisin de palier, les politiques, bien conscients que « la réussite de ce plan passe essentiellement par la formation des professeurs des écoles » ont bricolé une « Habilitation des personnels chargés de l'enseignement des langues vivantes à l'école primaire » (ça claque, non ?), et ce dès 2001.


Mais, me direz-vous, comment obtenir cette fameuse « habilitation », grâce à quoi il est certifié que vous savez parler la langue et l’enseigner ? Et bien, il s’agit d’aller passer deux fois une semaine sur les bancs de l’IUFM, afin de suivre une formation partagée entre un rattrapage de niveau de la langue, et une introduction à la pédagogie de cette langue.

J’ai suivi cette formation, ayant quitté l’IUFM il y a 8 ans sans habilitation (alors uniquement accordée à ceux qui suivaient l’option anglais). Je suis sorti de ce stage avec le même niveau d’anglais qu’au début. La faute à des formateurs très inégaux (comme d’hab) qui restent très théoriques, sans proposer de mise en situation, et surtout à cause du niveau médiocre de l’ensemble des participants. Impossible d’avancer. Ce n’est pas deux fois une semaine qu’il fallait, mais une semaine par mois une bonne année durant !


A cette occasion, je me suis rendu compte que nous avons, en France, une culture de l’écrit qui est terrifiante dès lors qu’il s’agit de langue vivante. On comprend à peu près la langue quand elle est écrite, c’est déjà plus dur à l’oral, mais alors pour ce qui est de la parler…

Eh ben pas de chance, face aux élèves, il s’agit de parler ! Belle lucidité des textes officiels : « les composantes sonores de la langue restent une préoccupation constante : accentuation, mélodies, rythmes propres à la langue apprise ». Oui mais nous on parle mal, enfin aussi bien que n’importe qui. Avec un mauvais accent, une mauvaise prononciation. On se débrouille, on baragouine, quoi. Conséquence : une certaine inhibition, pas toujours facile à surmonter. Du coup, certains instits choisissent de faire la part belle aux fichiers d’éditeurs pour élèves, où le travail est à 90 % écrit.

Et c’est ainsi qu’un élève se présentant à son oral d’anglais au baccalauréat a parlé la langue moins de 20 minutes cumulées durant toute sa scolarité.


J’ai eu ma fameuse habilitation. Comme tout le monde. Vu le niveau du stage, c’est vraiment qu’ils veulent la donner à tout le monde. De fait, il est important que le plus d’enseignants possible soit habilité : devenus quasiment bilingues par la grâce de l’habilitation, ils remplaceront avantageusement ces si-chers-intervenants!

Le problème c’est que les stages eux aussi coûtent de l’argent… Ils sont donc de plus en plus rares. Pourtant de nombreux collègues souhaitent se former. A ceux-ci, notre inspectrice a déclaré qu’ils pouvaient, en attendant leur stage (qui ne viendra jamais) commencer l’enseignement dans leur classe. Cela revient à obtenir l’habilitation simplement en en formulant le souhait ! A ce tarif-là, fermez les yeux, joignez les mains, et demandez à être directement trilingue !


Dans le même ordre d’idée, les instits sortis de l’IUFM et désormais des universités sont automatiquement habilités. Certains n’ont pas fait d’anglais depuis des années, mais peu importe. Le problème est réglé : ILS SONT HABILITES.


Résumons-nous : une minorité d’élèves a la chance d’avoir un instit qui, pour des raisons personnelles (cursus professionnel, études, vie perso), a un bon niveau d’anglais ; les autres élèves, moins chanceux, ont un instit comme moi, qui a suivi une « formation » de piètre qualité et obtenu une habilitation fantoche mais essaie de se débrouiller avec son niveau d’anglais qui est somme toute celui du français moyen.

Et puis de toute façon à quoi bon ? Malgré les vœux pieux du politique d’harmoniser la liaison école / collège (et quelques tentatives intéressantes mais isolées, comme à Rennes), cette liaison reste embryonnaire. Un prof d’anglais de collège sur deux vous le dira : vu l’hétérogénéité du niveau des élèves arrivant en 6ème, le plus simple est de reprendre depuis le début.


Mais tout cela n’est pas bien grave, le plus important est de pouvoir dire que les enfants français apprennent l’anglais depuis l’âge de 6 ans, sir.


Si vraiment le dossier vous passionne :

Tout sur les langues vivantes au primaire : http://www.primlangues.education.fr/php/textes_officiels.php

Le B.O. hors série n°8, d'août 2007, complet et détaillé, introduit notamment les compétences en fonction des niveaux communs de référence, établis selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/bo/2007/hs8/hs8_anglais.pdf

Dernier texte en date sur les programmes, 2008 : http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/programme_CE2_CM1_CM2.htm