Une mémoire de 4 000 jours d'un "témoin idéal"

Son débit est lent. Le ton est grave ce qui accentue la lourdeur de ses propos. Certains diront que le témoin s'écoute parler. En tout cas, Joseph Colombani pèse chaque mot qu'il prononce devant la cour d'assises spéciale de Paris. Il est un des rares témoins de la scène du crime au soir du 6 février 1998. Il était ce soir là l'organisteur du spectacle donné au "Kalliste" où se rendait le préfet Claude Erignac. Joseph Colombani l'attendait devant le théatre. Quelques minutes plus tot, Dominique Erignac que son mari venait de déposer en voiture l'avait informé que le préfet était en train de chercher une place pour garer son véhicule.

A la barre, le témoin raconte qu'il a vu arriver du cours Napoléon un homme à l'allure assez jeune, ce qui fait qu'il n'a pas imaginé un seul instant qu'il pouvait s'agir de Claude Erignac. Joseph Colombani va ensuite raconter très précisement à la cour la scène à laquelle il a assisté depuis le trottoir de la rue du Colonel Colonna d'Estria. Son témoignage à la barre va durer près d'une heure pour une scène de crime qui s'est déroulé en réalité en quelques secondes.

La victime a d'abord fait face à un premier de ses agresseurs. Prenant la fuite, celle ci va se plier en deux comme pour tenter de leur échapper. Après l'avoir perdu de vue quelques instants dans un angle mort, Joseph Colombani va voir réapparaître le préfet toujours courbé suivie d'un second personnage qui semble être le tueur. Quelques secondes plus tard, le préfet s'effondre. Le tueur tire à nouveau avant de quitter les lieux avec son complice le plus tranquillement possible. Joseph Colombani s'est ensuite rapproché du corps qui gisait par terre. Il n'a pas plus reconnu l'homme qu'il attendait.

"Tout est resté gravé dans ma mémoire comme au premier jour, au fer rouge depuis 4 000 jours"  note Joseph Colombani. Assurement l'homme ne se remet pas dans ce qu'il a vu ce soir là. " Si je l'avais reconnu, je serais allé au devant de lui. Je ne sais pas ce qu'il serait advenu de moi. Peut être serait-il encore vivant?" Sa voix s'étrangle par l'émotion.

Deux conclusions s'imposent après ce témoignage. Le témoin parle d'un homme recroquevillé, courbé avant d'être atteint par les balles. Cela écarte provisoirement toute la polémique sur la taille du tireur. Le témoin est en revanche catégorique. Il n'a vu autour du préfet que deux hommes, que deux agresseurs. Deux hommes ont déjà été condamné par la cour d'assises spéciales en 2003 et 2004. Il n'y a donc pas la place pour un troisième assassin, thèse défendue par l'accusation et confirmée par le verdict de décembre 2007.

Joseph Colombani conclut sa déposition presque mot pour mot comme il l'avait fait au premier procès d'Yvan Colonna. "Quand je l'ai vu à la télévision en 99, quand on m'a ensuite montré sa photo, quand je l'ai vu dans le box, quand je le revois aujourd'hui, je n'ai pas de déclic. Je ne le reconnais pas". Le témoin poursuit. "Je sais que ce que je dis ne fait pas plaisir à Mme Erignac, mais je témoigne en mon âme et conscience et sous aucune influence";

Un témoignage que le Président Didier Wacogne ponctuera d'un inattendu "Vous êtes donc le témoin idéal".

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique