Quand le magistrat jure de dire toute la vérité

La semaine prochaine, plusieurs magistrats vont être invités à sortir de leur bureau pour se diriger vers une salle d'audience. Pour témoigner. Comme un simple témoin, ils devront faire face à d'autres magistrats et moment rare dans leur carrière ils devront prêter serment de "dire la vérité, rien que la vérité".

A partir de lundi prochain, la formation disciplinaire du CSM doit juger le juge Fabrice Burgaud. Aucun avocat, aucun des acquittés, ce sont des magistrats cités principalement par la défense qui vont défiler à la barre. Ceux qui ont eu à connaitre de ce douloureux dossier vont se succéder: le procureur Lesigne, le président de la chambre d'instruction de Douai, son successeur à Boulogne, Le CSM entendra également les présidents des deux cours d'assises, Saint-Omer et Paris. Attendus aussi les témoignages des magistrats qui ont travaillé avec Fabrice Burgaud depuis l'affaire. Ce dernier a quitté le tribunal de grande instance de Boulogne sur Mer en aout 2002. Il a quitté le siège pour le parquet. Il a d'abord rejoint la section anti-terroriste. Le juge Michel Debac et la juge anti-terroriste Laurence Le Vert qui ont travaillé avec lui seront entendus comme témoins de moralité. Fabrice Burgaud a ensuite changé de service. Il est désormais chargé de l'exécution des peines. Son patron actuel, Jean Claude Marin, le procureur de la république de Paris, viendra dire qu'il considére son collaborateur comme un magistrat "rigoureux et consciencieux".

Demander à un magistrat de venir témoigner à la barre n'est pas quelque chose de rare. Ainsi mercredi prochain, le procureur Philippe Courroye est attendu de pieds fermes par la défense des prévenus du procès dit de l'Angolagate. Avant d'arriver à la tête du parquet de Nanterre, Philippe Courroye était juge d'instruction. Le dossier de ce prétendu trafic d'armes avec l'Angola fut un des volumineux de son cabinet. Dès le début de l'instruction, les avocats de la défense ont mis en accusation les méthodes et les arrières pensées du magistrat. On se souvient de la phrase de Jean-Christophe Mitterrand, un des prévenus, qui avait parlé du "juge qui sue la haine". Ces mêmes avocats veulent aujourd'hui mettre le juge Courroye sur la sellette en tentant de démontrer par exemple qu'il a régulierement rencontrer Yves Bertrand, à l'époque directeur des Renseignements Généraux, dans le seul but de trouver des éléments à charge contre ceux qu'ils suspectaient.

Un juge à la barre, un procureur à la barre: c'est souvent la volonté de la défense.  Rarement pour lui dresser des couronnes. Fin 93, le "petit juge" Jean Michel Lambert passe un mauvais quart d'heure dans le procès de Jean-Marie Villemin jugé pour l'assassinat de Bernard Laroche. Face à la légéreté du témoin, le président de la cour d'assises le rappelle à l'ordre: "S'il vous plait, vous voyez bien dans quelle situation nous sommes". Même épreuve pour le procureur Paul Weisbuch accusé d'avoir pesé lourd dans l'acharnement contre Richard Roman, qui sera finalement acquitté dans l'affaire de "La Motte du Caire".

Régulièrement la comparution du juge à la barre des témoins se retourne contre la défense. Pendant le procès OM/VA à Valenciennes, les oreilles du juge Beffy ont sifflé presque quotidiennement. "Menaces, pressions, intimidations, instruction à charge, manquement aux devoirs les plus élémentaires de la procédure pénale". Ce fut une attaque en règle. Elle a totalement disparue les deux fois où le juge Beffy est venu au procès. En un mot, la défense s'est dégonflée.

Autre scénario. La citation qui se retourne contre vous. L'effet boomerang. La meilleure illustration remonte au premier procès d'Yvan Colonna en novembre-décembre 2007. Ses avocats avaient cités les trois juges qui ont eu à se pencher sur le dossier. Gilbert Thiel qui a instruit le dossier de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, ouis Laurence Le Vert et Jean-Louis Brugière, chargés du dossier de l'assassinat du préfet Claude Erignac. Les trois magistrats ont affirmés que les mises en cause du berger par les membres du commando ainsi que les dépositions de leurs épouses avaient sonné comme une libération de la part de ceux qui les prononcaient. Très à l'aise, les trois juges, assomés de questions par la défense, avaient déroulé un chapelet d'éléments à charge contre l'accusé. Les conseils d'Yvan Colonna semblent avoir retenu la leçon. Pour le procès en appel qui s'ouvre le 9 février, ils n'ont pas cités les juges comme témoins.

En faisant disparaître le juge d'instruction, le Chef de l'Etat rend peut être service à la défense..... 

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique