A la cinquantième audience, le réquisitoire Ferrara

On ne l'attendait plus. On n'y croyait plus. Le réquisitoire dans le procès d'Antonio Ferrara et de ses 20 co-accusés est enfin tombé hier.

20 ans ont été requis contre celui qui pour l'avocat général a l'évasion comme obcession. Antonio Ferrara a déjà été condamné à multiples reprises pour des braquages et d'autres évasions. Il encourt cette fois ci la réclusion criminelle à perpétuité. Une peine que le magistrat n'a pas requis, reconnaissant que si "cette attaque d'une audace insensée ne doit pas être banalisée par une décision qui pêcherait par un excès de bienveillance", l'évasion de Fresnes n'a pas fait de morts.

L'avocat général Jean-Paul Content a déjà requis contre Ferrara dans des précédents procès. Quelques minutes avant de quitter l'audience définitivement le 7 novembre dernier, Ferrara avait d'ailleurs salué publiquement son "adversaire". "Quand j'ai su que c'était vous qui alliez requérir, j'étais ravi, devait dire l'accusé. Je connais votre droiture et votre justesse".

Hier, le magistrat a donné raison à l'accusé absent. Il a ainsi revu à la baisse ses accusations. Ainsi il a demandé à la cour d'assises que plusieurs des complices de Ferrara ne soient condamnés que pour association de malfaiteurs, un délit passible de 10 ans de prison. Contre l'avocat Karim Achoui,  il n'a pas retenu la thèse de la complicité pour tentative d'assassinat. L'avocat général a la même démarche vis à vis de Hocine Kroziz, ex surveillant de prison, suspecté d'etre celui qui a introduit dans la cellule de Ferrara un téléphone portable et l'explosif.

Si au départ de l'enquête, le magistrat reconnait qu'il avait des doutes sur l'implication de l'avocat, il dit aujourd'hui en avoir la certitude. Pour lui, M° Karim Achoui ne peut être que le "baveux" si souvent évoqué dans les écoutes téléphoniques par les membres du commando. Selon le magistrat, l'avocat, en envoyant un de ses collaborateurs rencontré Ferrara au cours d'un parloir pour lui annoncer qu'il serait extrait de sa cellule le lendemain matin, l'a informé que l'évasion était prévue pour le lendemain. "Pourquoi avoir attendu ce jour là, s'interroge le magistrat, alors qu'il connaissait la date depuis 15 jours?" "L'avocat était de mèche" tonne l'avocat général, il a usé de sa fonction, commis une trahison envers l'institution".

Alors que le réquisitoire à deux voies avait débuté à 10h 40, il fallu attendre 20h 40 pour entendre le quantum des peines requises. Elles s'échelonnent de 4 mois à 20 ans. Un seul acquittement a été sollicité. 10 ans sont requis contre l'ex gardien de prison H. Kroziz. 7 ans contre l'avocat Karim Achoui.

Maintenus dans les geôles du palais de justice, Antonio Ferrara et deux de ses complices présumés n'ont pas entendu ce réquisitoire-fleuve, qui aurait mérité non seulement plus de concision mais aussi plus de rigueur, plus de lisibilité dans sa construction. Dans ce procès décidément hors norme dans le mauvais sens du terme, il faut d'ores et déjà rendre hommage aux jurés. Ils ne rendront pas leur verdict au mieux avant le samedi 13 décembre. Certes, ils ont assisté à un procès qu'il ne sont pas près d'oublier. Mais avec quelle image de la justice sortiront-ils de cette cinquantaine d'audiences? Puisque désormais tout incident ou dérapage procédural est prétexte à l'annonce d'une réforme, ne faudra-t-il pas un jour réfléchir au sort des jurés, trop souvent tributaires des caprices ou des incohérences des magistrats. Est-il raisonnable de demander à des citoyens qui n'ont pas l'habitude de la justice d'être condamnés à siéger en cours d'assises pendant de si longues heures, de si longues semaines? Qui pourra dire que c'est la garantie d'une bonne justice, juste et sereine?

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique