2 heures de délibéré pour clore 17 ans de procédure

Décidement la cour d'assises des Bouches du Rhone a une volonté non avouée d'entrer dans le Livre des Records. Vendredi dernier, elle a appliqué ce qu'il convient d'appeler une jurisprudence Agnelet. Le 11 octobre, il avait fallu deux petites heures aux jurés aixois pour renverser la vapeur niçoise. Alors que depuis 1977, les juges de la Cote d'Azur avaient été plutot favorable à Maurice Agnelet, ceux de provence avait condamné l'ancien avocat à 20 ans de réclusion criminelle pour l'assassinat d'Agnès Le Roux.

Deux petites heures furent également suffisantes pour tenter de mettre un point final en appel à un mystère vieux de 17 ans. Cette fois en revanche, les 15 jurés ont confirmé les verdicts des deux précédents procès niçois. Ils ont à leur tour acquittés les 2 membres de la même famille Verrando poursuivis pour l'assassinat de Pierre Leschiera, berger à Castellar. On avait déjà dit ici ce qu'il fallait penser de ce procès où il y avait 2 accusés pour un seul tireur.

Dans son réquisitoire, jeudi, l'avocat général Roland Mahy a ouvertement pris ces distances avec ses prédecesseurs et ses collègues de l'instruction. "Deux accusés, c'est ridicule. C'est impossible" adressait-il à la cour. Le magistrat qui était descendu de son estrade pour requérir devant la barre comme les avocats, s'est tourné vers les parties civiles pour leur dire dans les yeux: " Ceux qui ont soutenu le contraire avec une violence verbale rare, au mépris de ce qui est évident, vous ont scandaleusement trompé". Il visait son alter-ego de Nice qui non seulement a diligenté les poursuites contre le neveu Jérome, requis contre lui 15 ans de réclusion criminelle et fait appel du premier acquittement. Le magistrat n'a pas, chose assez rare dans une cour d'assises, maché ses mots pour dire ce qu'il pensait des magistrats qui ont précédemment géré le dossier. Non seulement, il employa les termes de "ratés, insuffisances, imbroglio procédural". Il reconnut aussi haut et fort que la justice s'était "lamentablement empêtrée, qu'elle avait trébuché dès 2002 avec l'ouverture d'une seconde information". Bref qu'on "avait basculé dans l'extravagance".

Durant les plaidoiries, on a ainsi appris qu'aucun magistrat ne s'est rendu sur les lieux, comme c'est la tradition pour ne pas dire la règle. Ni un représentant du parquet, ni la juge d'instruction. Roland Mahy a ainsi fustigé en public cette dernière; " La justice, c'est la vie. C'est quand on va sur le terrain, et pas quand on a peur de salir son joli sac à main et ses belles chaussures à talons aiguilles". Bon prince, magistrat délicat, il n'a pas cité les noms de ces deux magistrats.

Maître Collard soulignait ainsi que la famille du berger avait été recu par le juge d'instruction un an et demi après les faits. Elle s'était étonnée auprès du parquet général de cette absence de rendez-vous. Selon Maître Collard, les proches de la victime ont été reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Sans commentaires.

Quelques secondes après que le verdict soit tombé, l'avocat général qui avait requis l'acquittement du neveu et 20 ans contre l'oncle, s'est dirigé vers la famille du berger pour les saluer. Un geste de soutien, de compassion. Bien mince mais symbolique d'un énorme malaise de l'institution.

La famille de Pierre Leschiera a été victime d'une justice, d'une accusation à géométrie variable. D'abord un accusé, puis deux , puis qu'un seul. Les jurés de Nice d'abord et d'Aix ensuite n'ont pas voulu entériner une instruction ni faite ni à faire.

Alors que faire maintenant? Quelle suite donnée à ce dérapage judiciaire? Maître Collard, dont on connait le sens de la formule médiatique, parlait vendredi après-midi d'un "Outreau des victimes". Avec M° Edouard Martial, il annonce des procédures pour tenter d'obtenir réparation. Ils veulent faire condamner l'Etat pour "faute lourde". Souhaitons leur bon courage. La partie n'est pas gagnée. Les proches de la victime sont surtout condamnés à vivre sans réponse officielle sur le nom de l'assassin du berger, mais seulement avec leur suspicion, leur propre intime conviction. Condamnés aussi à cohabiter dans le même petit village avec la famille Verrando.

Pour la justice, le dossier "berger de Castellar" est désormais clos. Sans réponse mais clos. La cour d'assises d'Aix en Provence a donc mis moins de deux heures de délibéré pour tenter de balayer une énigme de 17 ans.

Les deux magistrats, visés par les foudres de l'avocat général Roland Mahy, eux sont toujours en poste.

Publié par Dominique Verdeilhan / Catégories : Ma chronique