Blanc casier et casier blanc

Souvenez-vous, c’était il y a, oh, une éternité ou presque en politique : disons trois mois et demi. L’une des promesses de campagne du candidat Emmanuel Macron évoquait « L’interdiction pour tous les détenteurs d’un casier judiciaire (niveau B2) de se présenter à une élection ».

L\'hémicycle de l\'Assemblée nationale à Paris, le 25 novembre 2015.

Rappelons que le casier judiciaire, défini et réglementé par les articles 768 et suivants du code de procédure pénale, est un fichier qui recense pour chaque individu, quelle que soit sa nationalité, un certain nombre de condamnations, notamment celles qui ont été prononcées pour crime, délit et contravention des cinq premières classes.

Le casier judiciaire est composé de trois bulletins :

  • Le bulletin numéro trois, dont le contenu est accessible aux particuliers ;
  • Le bulletin numéro deux est accessible à diverses administrations sous certaines conditions (préfets, présidents de conseils généraux, autorités militaires…) voire à certains dirigeants d’entreprises publiques ou privées ;
  • Le bulletin numéro un, dont peuvent seules prendre connaissance les autorités judiciaires.

Il a initialement semblé évident que le projet de loi concernant la moralisation de la vie publique, premier texte significatif à être porté devant le Parlement par le garde des Sceaux, imposerait l’absence de mention sur le bulletin numéro deux du casier judiciaire de toute personne souhaitant postuler à un mandat électif.

Ce n’aura finalement pas été le cas, le projet présenté aux parlementaires n’ayant pas comporté de mesure de cette nature. La commission des lois de l’Assemblée nationale a pour sa part adopté un amendement intégrant cette mesure contre l’avis du gouvernement, avant que le texte voté par les députés n’écarte cette disposition et ne lui substitue l’inéligibilité de toute personne condamnée pour un crime ou délit dont la liste serait définie par la loi.

Si plusieurs parlementaires (Mme Batho ou M. Ciotti, notamment) ont aussitôt stigmatisé une reculade du gouvernement au regard de la promesse de campagne présidentielle, Mme Belloubet, ministre de la Justice, a expliqué la position gouvernementale par un risque important de censure du texte par le Conseil constitutionnel.

Je n’ai pas trouvé de déclaration plus précise de l’un des promoteurs du texte de loi concernant le fondement de l’éventuelle inconstitutionnalité de cette disposition.

Si l’on se réfère aux dispositions des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, je ne vois pas en quoi une disposition interdisant l’accès aux mandats électifs aux personnes titulaires d’un casier judiciaire portant mentions ne pourrait pas être adoptée.

L’article 3 de la Constitution prévoit que les conditions pour être électeur, et donc éligible, sont déterminées par la loi.

L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que tous les citoyens sont admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents. Cet article pose le principe d’une différenciation en fonction des « vertus » de chacun, principe largement mis en pratique en ce qui concerne l’accès à de nombreuses professions (396 selon un décompte réalisé par Mediapart) allant du praticien hospitalier au notaire, en passant évidemment par les carrières judiciaires, la police et la gendarmerie, dont l’accès est interdit aux individus dont le bulletin n°2 du casier judiciaire porte trace de condamnation.

Il ne me semble donc pas choquant, ni même inconstitutionnel, de prévoir une nouvelle condition liée à la probité permettant de se présenter à une élection, d’autres conditions discriminantes, notamment liées à l’âge notamment, étant depuis longtemps prévues par la loi.

J’ai vu passer l’argument (non étayé) selon lequel il serait justifié d’exiger un casier vierge de la part de candidats à l’exercice d’une profession mais non d’un mandat. Je ne parviens cependant pas à trouver de logique satisfaisante à cette idée selon laquelle une profession chargée d’une parcelle de l’application de la loi (au sens très large, disons) ne pourrait être approchée que par les agneaux présentant patte blanche tandis que l’on présumerait jusqu’à preuve contraire de la moralité de ceux qui créeraient la loi. Pourquoi exiger d’emblée d’un aide-soignant hospitalier un parcours plus immaculé que celui d’un candidat aux élections législatives ? Mystère. Si vous avez une explication satisfaisante et rationnelle, communiquez-la-moi, s’il vous plaît.

Les députés semblent avoir préféré, suivant le raisonnement de la ministre de la Justice, prévoir une peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire-mais-pas-trop, si je puis dire, destinée à assortir les condamnations qui seraient prononcées à l’encontre d’élus. Cela reviendrait à étendre le système retenu pour les « atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique » (chapitre 2 du titre III du code pénal, comprenant notamment les délits de prise illégale d’intérêts ou de corruption) à divers délits dont la liste serait établie par la loi à venir, une condamnation de ces chefs entraînant une peine complémentaire d’inéligibilité sauf si les juges correctionnels motivent spécialement leur décision en sens contraire.

Si l’on ajoute à ce principe globalement modulable le fait que les juges peuvent d’ores et déjà prononcer une interdiction de droits civiques comprenant l’éligibilité pour la quasi-totalité des délits poursuivis devant eu (en motivant dans le sens de l’inéligibilité plutôt que dans celui d’une exemption d’inéligibilité, voyez ?), on peut légitimement se dire 1/ que la marge observable entre la promesse de M. Macron et le produit législatif fini est somme toute considérable 2/ que M. Ciotti semble bien avoir raison sur ce coup 3/ qu’il est subséquemment temps d’aller se distraire en faisant des pâtés de sable ou des confitures, afin d’échapper au nervous breakdown.