L'aide inhumanitaire, un concept innovant.

Après les œuvres caritatives et les appels aux dons humanitaires, nous découvrons depuis quelques semaines grâce à l’extrême-droite française (cocorico) un nouveau concept : la levée de fonds anti-humanitaire, lancée à l’initiative de l’organisation française Génération Identitaire et qui annonce avoir pour objectif de financer le sabotage des sauvetages de migrants en mer Méditerranée. Selon le site créé à cette fin, les organisateurs de cette opération souhaitent « rassembler une équipe de professionnels, affréter un grand bateau et naviguer sur la mer Méditerranée pour contrecarrer les bateaux de ces contrebandiers humains [c’est-à-dire les bateaux des organisations humanitaires destinés à repêcher en mer les migrants en détresse], (…) tenir tête aux bateaux des ONG (…) ». Dans l’hypothèse d’une rencontre avec des clandestins en détresse, les promoteurs de l’opération précisent qu’ils leur viendraient « bien évidemment en aide en les raccompagnant jusqu’aux côtes africaines » - ce qui d’ores et déjà laisse songeur quant à la définition que peut recouvrir le terme d’ « aide » dans l’esprit des intéressés.

Laissons le côté moralement abject d’une telle initiative, qui aurait à ce jour recueilli 64000 euros, pour nous concentrer sur les questions juridiques qui ne manqueraient pas de se poser si un tel navire prenait la mer et parvenait à ses fins.

Tout dépend évidemment des actes qui seraient concrètement commis par l’équipage du navire. Car si à terme des actes de violence sont perpétrés, ils pourront être considérés comme des actes de terrorisme maritime, pénalement sanctionnés en droit international et en droit français.

La convention de Rome pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime précise à cet égard que

« commet une infraction toute personne qui, illicitement et intentionnellement

S’empare d’un navire ou en exerce le contrôle par violence ou menace de violence ; ou

Accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’un navire si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire ou

Détruit un navire ou causé à un navire ou à sa cargaison  des dommages qui sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire ; ou

Place ou fait placer sur un navire, par quelque moyen que ce soit un dispositif ou une substance propre à détruire le navire ou à causer au navire ou à sa cargaison des dommages qui compromettent ou sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire ».

En droit français, l’article 224-6 du code pénal sanctionne d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle « Le fait de s'emparer ou de prendre le contrôle par violence ou menace de violence d'un aéronef, d'un navire ou de tout autre moyen de transport à bord desquels des personnes ont pris place, ainsi que d'une plate-forme fixe située sur le plateau continental ».

De même, les qualifications visées par l’article 421-1 du code pénal concernant le terrorisme pourraient être appliquées (notamment la participation à un groupe de combat, définit comme « tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d'une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l'ordre public »).

Ces infractions sont applicables en haute mer, c’est-à-dire au-delà des eaux territoriales.

On peut donc imaginer que divers agissements susceptibles d’être commis par l’équipage du navire affrété pourraient être considérés comme des actes de terrorisme maritime : interception de bateaux ayant à leur bord des personnes fragilisées et en danger de mort, réorientation par force vers un pays où elles seraient susceptibles d’être encore davantage maltraitées…

Compte tenu de l’organisation complexe en amont des actes envisagés (recherche de fonds, affrètement d’un navire…), on peut légitimement considérer que la circonstance aggravante de la bande organisée puisse sans difficulté être constituée, faisant passer la peine encourue à 30 ans de réclusion criminelle.

Le financement en lui-même pourrait être envisagé comme un acte de complicité par aide ou assistance des auteurs de ces actes.

Enfin, même sans commission d’acte de terrorisme maritime, la qualification d’association de malfaiteurs, définie comme  « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement » pourra être recherchée à l’encontre de tous les participants qui y auraient pris part en France.

Le fait que des actes répréhensibles à l’encontre des bateaux humanitaires soient éventuellement commis dans les eaux internationales n’exonèrerait pas les auteurs de nombre de ces infractions des poursuites pénales qui s’y attachent, puisqu’il existe une compétence universelle permettant sous certaines conditions, la poursuite et le jugement de ces infractions en France.

Avis donc à ceux qui seraient tentés de participer financièrement ou de mettre à exécution ce projet destiné à contrecarrer l’action humanitaire en Méditerranée : il pourrait vous en coûter plus cher que votre mise. Et ce sera justice, pas seulement sur plan pénal.