Viol ou acte de barbarie ?

J'ai une confession à faire : jusqu'à hier, j'avais la même conviction que Me Dupond-Moretti en matière de viol. J'étais persuadée que la Cour de cassation avait depuis longtemps établi qu'introduire un objet, quel qu'il soit, dans un anus constituait un viol, point. Aussi la mise en examen pour viol de l'un des policiers ayant interpellé son client Théo de façon extrêmement brutale, en forçant dans son rectum sa matraque sur une profondeur de 10 cm, tandis que ses collègues se voyaient reprocher des actes de violence par le juge d'instruction, me paraissait-elle logique. Aussi le positionnement de l’inspection générale de la police nationale, qui concluait (de façon provisoire en l'état) seulement à la commission de faits de violence, me semblait-il totalement inapproprié. Aussi m'étais-je indignée en entendant un collègue, voilà plusieurs années, évoquer une décision de cour d'appel requalifiant en violences aggravées des faits d'intromission d'objet dans l'anus d'un adolescent commis par un groupe de jeunes, condamnés pour viol par un Tribunal pour enfants.

Un manifestant porte une pancarte en homme à Théo, lors d\'une manifestation à Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 11 février 2017.

 

Et pourtant, quelques recherches m’ont permis de constater que la solution juridique retenue par la Cour n’était pas si évidente que cela.

Rappelons que selon l’article 222-23 du code pénal « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

Si à l’origine, la cour de Cassation appliquait l’incrimination de viol à tout acte de pénétration sexuelle, notamment aux pénétrations anales par le biais d’un objet (un manche de pioche, par exemple), elle a par la suite modifié sa position sur ce point.

Elle a notamment écarté l’incrimination de viol au sujet d'une pénétration anale infligée à un jeune homme au moyen d'un bâton dans le but de lui extorquer une somme d’argent, au profit de la qualification d’extorsion accompagnée de tortures et actes de barbarie. La Cour de cassation semblait ainsi adopter une interprétation stricte de la notion de « pénétration sexuelle », à savoir une pénétration du sexe ou par le sexe.

Par la suite, la Cour s’est attachée au contexte de la pénétration, retenant la qualification de viol pour des pénétrations anales par des objets s’il s’agissait d’un contexte sexuel (hypothèse de pénétration de l’anus avec des carottes dans un but "d’initiation sexuelle", sans consentement de la victime, bien entendu).

En l'occurrence, s'il ne paraît pas contesté, selon les informations qui ont été publiées, qu’une matraque ait été introduite dans l’anus de la victime, il semble tout aussi évident que l’intention de l’auteur (qui invoque un geste involontaire, à l'encontre des déclarations de Théo) n’était pas de placer ses actes dans un contexte sexuel. A la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation, il est donc envisageable que la Chambre de l'instruction, si elle devait être saisie, estime inadaptée la qualification de viol retenue par le juge d'instruction à l'encontre des réquisitions initiales du Parquet.

Faudrait-il pour autant, dans ce cas de figure, se trouver réduit à ne retenir qu'une qualification de violences aggravées à l'encontre du policier qui aurait volontairement commis ces agissements à l'égard de Théo ? Nullement. A mon sens, le crime de torture et actes de barbarie constitue une qualification parfaitement applicable à de tels faits, et il est réprimé de façon tout aussi sévère que le viol, à savoir quinze années de réclusion criminelle, portées à vingt ans par le biais de certaines circonstances aggravantes - au nombre desquelles figure la qualité de personne dépositaire de l'autorité publique agissant dans le cadre de ses fonctions.