Ne sortez pas couvert(e)s !

Il fait beau, il fait chaud, et à Cannes, on est prié de ne pas trop se vêtir en conséquence : un arrêté municipal du maire cannois, largement relayé dans la presse aujourd'hui, vise à réglementer la tenue que les individus peuvent adopter sur les plages de la commune.

Selon cet arrêté, « l’accès à la plage et à la baignade sur la commune de Cannes sont interdits, à compter de la signature du présent arrêté jusqu’au 31 août 2016, à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime ». Tout manquement à cette obligation sera sanctionné de l’amende prévu pour les contraventions de première classe, soit un maximum de 38 €.

Une plage de Cannes (Alpes-Maritimes), le 13 mai 2016.

Cette décision s'affirme motivée par « les attentats terroristes commis en France depuis 2015, en particulier ceux commis le 14 juillet 2016 à Nice et le 26 juillet 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray, revendiqués par l’Etat Islamique et visant les symboles de la République et le culte religieux catholique », le maire ajoutant que « dans ce contexte particulier justifiant le maintien de l’état d’urgence, une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d’actes terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public (attroupements, échauffourées, etc…) qu’il est nécessaire de prévenir ».

Pour autant, cette décision qui impose le port de tenues de plage respectueuses du principe de laïcité me paraît être en contradiction avec celui-ci, ainsi qu'avec celui de liberté religieuse.

Les principes de laïcité et de liberté religieuse, que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer à plusieurs reprises (il faut croire que l'époque s'y prête), sont prévus par l’article 1er de la Constitution qui précise que “la France est une République laïque. Elle respecte toutes les croyances”, la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, ainsi que l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le principe de liberté et de neutralité de l’Etat à l’égard des religions y est consacré, la liberté de culte impliquant nécessairement celle d’exprimer ses convictions religieuses, sous réserve d’éventuelles atteintes à l’ordre public.

Il résulte de ces textes que chacun peut manifester ses convictions religieuses, tant individuellement que collectivement, que ce soit dans un lieu privé comme nous l’avons précédemment vu, ou dans un lieu public, telle qu’une rue, un sentier de haute montagne ou une plage.

Evidemment, cette manifestation de foi ne doit pas porter atteinte à l’ordre public. C’est ce moyen qui fonde la décision du maire, estimant qu’une tenue inappropriée car contraire au principe de laïcité serait de nature à porter atteinte à l’ordre public.

On peut toutefois s’interroger sur la pertinence de ce trouble à l’ordre public qui, à s'en tenir à l'application de cet arrêté, serait inexistant lorsqu’un prêtre se promènerait en soutane dans la rue ou sur le parking de la plage, mais jaillirait soudainement s'il accédait à la plage. A ma connaissance, en effet, aucun arrêté municipal n'interdit aux popes de porter leur costume liturgique ni aux femmes musulmanes de se voiler dans les rues de l'agglomération cannoise, sous la réserve habituelle de ne pas dissimuler leur visage (ce qui constituerait une contravention).

On peut également observer que le risque de trouble à l'ordre public invoqué (attroupement ou échauffourée) semble plutôt ténu. L'atteinte à la liberté fondamentale d'aller et venir vêtu des vêtements que l'on souhaite me semble subir une atteinte disproportionnée au regard de ce risque.

On peut enfin se poser la question des critères de détermination, par les agents municipaux chargés de l'exécution de cet arrêté, de la "tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse" : une kippa portée avec un boxer de bain sera-t-elle jugée moins ostentatoire qu'un crucifix porté en pendentif par une personne désireuse de se baigner en maillot de bain une pièce et paréo ? Éjectera-t-on du sable, d'égale façon, le turban sikh (oui, les sikhs peuvent légitimement avoir envie de se promener sur les plages cannoises) et le hijab ? La chasse au burkini (car qui pourrait supposer que la cible de cette arrêté soit autre, sérieusement ?)  interdira-t-elle aux religieuses catholiques toute balade les pieds dans l'eau ?

Autant d'épineuses questions qui mériteraient d'être soumises au tribunal administratif compétent - lequel n'hésiterait vraisemblablement pas une seconde avant de déclarer illégal cet arrêté.