Ouverture d'une enquête sur "l'affaire Baupin"

Agressions sexuelles, harcèlement sexuel, complicité de son épouse Mme Emmanuelle Cosse, prescription… Depuis hier, on a entendu à peu près tout et son contraire sur la mise en cause de M. Denis Baupin, député et désormais ancien vice-président de l’Assemblée Nationale, par plusieurs femmes ayant été amenées à le côtoyer professionnellement.

Les écologistes Denis Baupin et Emmanuelle Cosse, lors d'un conseil fédéral d'EELV à Paris, le 17 janvier 2014.

Quelques précisions me paraissent s’imposer.

Les agressions sexuelles sont prévues par l’article 222-37 du code pénal, et sont sanctionnées d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement.

Si la loi se borne à indiquer « les agressions sexuelles autres que le viol », la jurisprudence définit ce délit comme tout acte de nature sexuel, directement exercé sur une personne de l'un ou l'autre sexe, sans son consentement, et sans pénétration sexuelle.

L’infraction nécessite donc un contact de nature sexuelle, de quelque nature que ce soit, la jurisprudence ayant par exemple admis la culpabilité d’une personne qui avait pincé les fesses de sa victime.

Au-delà de la matérialité des faits, il est indispensable que l’individu ait eu l’intention de commettre de tels faits. Si bien souvent cette intention se déduira des faits, un tribunal a pu être amené à relaxer une personne qui embrassait son jeune fils, après l'avoir baigné, sur tout le corps y compris sur le sexe, le prévenu ayant rejeté toute connotation sexuelle à cet acte.

Le harcèlement sexuel est défini l’article 222-33 du code pénal : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.  Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle ».

Cette qualification s’impose donc dès lors qu’il n’y a pas de contact entre le mis en cause et sa victime.

Concernant l’élément intentionnel de l’infraction, il se déduira bien souvent des actes matériels relevés. Toutefois, le harcèlement ne sera retenu que s’il existe une attitude de contrainte exercée à l’encontre de la victime, et à défaut de tout comportement d’acceptation ou d’encouragement de celle-ci.  Une cour d’appel a ainsi relaxé un prévenu en considérant que le fait de demander à une employée de porter des tenues vestimentaires à tendance exhibitionniste ne pouvait constituer le délit faute d’opposition de celle-ci (NB : cette jurisprudence a été adoptée sous l’ancienne rédaction du texte d’incrimination, il n’est pas certain qu’elle serait actuellement retenue).

En l’occurrence, les faits dénoncés à l’encontre de M. Baupin paraissent pouvoir relever de ces deux infractions.

Pour se reporter aux déclarations des femmes concernées, Mme Sandrine Rousseau, porte-parole d’EELV, dénonce des faits remontant à l’année 2011 : « il m’a plaquée contre le mur en me tenant par la poitrine et a tenté de m’embrasser dans le couloir, durant une pause alors que j’animais une réunion ». 

Ces faits, s’ils étaient avérés, seraient constitutifs d’agressions sexuelles, les intéressées n’ayant manifestement jamais consenti à être traitées de la sorte.

Mme Elen Debost, collaboratrice de M. Baupin, précise avoir reçu des textos rédigés en ces termes "Je suis dans un train et j’aimerais te sodomiser en cuissardes". Là encore, si la condition de réitération posée par le texte est remplie, l’infraction de harcèlement sexuel me paraît constituée.

La question de la prescription de l’action publique, qui interdit toute condamnation même en cas d’infraction avérée, passé un certain délai, a d’ores et déjà été évoquée par les femmes ayant dénoncé M. Baupin. En l’occurrence, s’agissant de délits, le délai de prescription est de trois ans à compter de la commission des faits.

Aucune plainte n’ayant été déposée, le délai de prescription a été interrompu par l’ouverture, aujourd’hui, de l’enquête préliminaire. Ne peuvent en conséquence être poursuivis que les faits postérieurs au 10 mai 2013, aucune condamnation ne pouvant être envisagée concernant les faits antérieurs à cette date.

D’aucuns ont publiquement regretté que ces faits légalement considérés comme trop anciens ne puissent être poursuivis. Rappelons que la prescription se justifie notamment par le risque de dépérissement des preuves, puisqu’il sera difficile voire impossible de découvrir des indices matériels et des témoins plusieurs années après les faits.

En l’occurrence, certains actes reprochés à M. BAUPIN remonteraient à la fin des années 90. Comment apprécier la réalité des déclarations de certaines plaignantes sans possibilité d’obtenir des éléments de preuve extrinsèques (témoins, éléments de téléphonie…) ?

En tout état de cause, l’ouverture d’une enquête préliminaire paraît opportune et permettra, espérons-le, de démêler le faux du vrai – ou tout au moins, de parvenir à une vérité judiciaire à défaut d’une vérité absolue. Elle permettra peut-être également de mettre fin aux théories du complot politique que l’on voit déjà fleurir sur les réseaux sociaux ou au sein de la blogosphère (dénonciations groupées, absence de dépôt de plainte par les concernées, imminence des prochaines échéances électorales…). Voire, rêvons un peu, d’assainir le climat de sexisme plus ou moins rampant qui règne manifestement dans la sphère politique, de l’aveu des élues, collaboratrices et journalistes qui le pratiquent.

Dernier point : il a pu être suggéré que son épouse, Mme Emmanuelle Cosse, aurait été « complice » de son mari, en étant « nécessairement » au courant de ses agissements et en les passant sous silence en sa qualité de cadre du parti. Il me paraît évident, puisque nous parlons de droit, qu’aucune infraction ne puisse lui être reprochée, la complicité impliquant un acte positif  de sa part qui me semble bien difficile à établir en l’occurrence.

Pas davantage de reproches à lui adresser dans l’hypothèse où elle aurait été au courant des faits commis par son mari : rappelons que si M. Baupin avait commis un crime (disons un viol, pour prendre un exemple relevant du même domaine), la loi et plus précisément l’article 434-1 du code pénal n’attendrait pas de Mme Cosse qu’elle signale son mari aux autorités compétentes, le dilemme humain dans lequel se trouve plongé le conjoint du criminel l’exemptant de poursuites du chef de non-dénonciation de crime. Et l’infraction de non-dénonciation de délits tels que les aurait commis M. Baupin n’existe pas.

Laissons donc Mme Cosse aux prises avec une situation vraisemblablement délicate sur le plan moral, et les policiers désignés par le Procureur de Paris mener leur enquête judiciaire.  Et évitons en attendant l’issue de celle-ci de clouer M. Baupin ou les personnes qui l’accablent à quelque pilori que ce soit.