Etat d'urgence

La réaction immédiate du Président de la République aux attentats de vendredi soir, face à l’ampleur de la tragédie, a été de décréter l’état d’urgence par le biais de deux décrets 2015-1475 et 2015-1476 datés du 14 novembre 2015. Cette décision a été saluée par la majorité de la classe politique. Quelles sont les conditions de mise en œuvre de cette réglementation, quels sont les pouvoirs qui en résultent ?

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L’état d’urgence fait partie des régimes d’exception permettant d'accroître les pouvoirs de l’exécutif afin de garantir la sécurité des personnes et du territoire, et d’éviter tout trouble à l’ordre public.

Il a été créé par la loi du 3 avril 1955, et peut être déclaré soit en cas de “péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas de d’événements présentant par leur nature ou leur gravité le caractère de calamités publiques”. Ce texte couvre donc tant les événements dramatiques qui nous ont frappés vendredi que les cataclysmes climatiques ou naturels.

La décision de mise en œuvre de l’état d’urgence relève du seul pouvoir exécutif, par le biais d’un décret en conseil des ministres, qui doit prévoir avec précision la nature et l’étendue des mesures qui pourront être appliquées.

Sur le fondement de cette décision, l’état d’urgence ne peut être mis en œuvre que pour une durée de douze jours. Au-delà de cette période, le parlement doit adopter une loi prorogeant ce régime d’exception, cette loi devant en fixer la durée définitive sans qu’aucune limite ne soit prévue par les textes en vigueur, hormis celle de la caducité de la loi quinze jours après la démission du gouvernement.

Une fois l’état d’urgence déclaré, l’article 5 de la loi donne aux préfets du département où est applicable le dispositif le pouvoir de

« 1° interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;

2° instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;

3° interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics. »

Le ministre de l’Intérieur peut quant à lui ordonner l’assignation à résidence de toute personne dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics, ainsi que la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories.

 La fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature peut également être décidée, de même que l’interdiction, à titre général ou particulier, des réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Concernant ces dernières, il semble selon la jurisprudence applicable que toutes les réunions puissent être concernées, y compris les rassemblements de fait, accidentels ou spontanés, dès lors qu’ils sont susceptibles d’engendrer des désordres - manifestations de type "Charlie" comprises, donc.

Enfin, si le décret de mise en œuvre le prévoit expressément, le ministre de l’Intérieur et le préfet peuvent ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit (une perquisition en temps normal ne pouvant débuter qu’entre 6h00 à 21h00), et « prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales. »

En l’occurrence, les deux décrets du 14 novembre 2015 prévoient les mesures suivantes :

  • déclaration de l’état d’urgence sur tout le territoire métropolitain et en Corse ;
  • possibilité de restriction de circulation et de séjour sur l’intégralité de ce territoire ;
  • mise en œuvre des pouvoirs d’assignation à résidence, de limitation de la liberté de réunion, de remise des armes et de perquisitions nocturnes sur le seul territoire de l’Ile de France.

La seule mesure qui ne soit donc pas envisagée suite aux attentats est la limitation de la liberté de la presse.

En ces temps difficiles, ces mesures seront-elles jugées suffisantes par une classe politique préoccupée d’échéances électorales et de surenchère systématique ?

M. Laurent Wauquiez ou M. Arno Klarsfeld (à qui on pourra accorder le mérite de la constance en la matière) réclament d’ores et déjà publiquement la création de « centres d’internement anti terroristes », ou des « centres de détention administrative ».

On peut rappeler à cet égard que, même lorsque l’état d’urgence est en vigueur en France, une telle mesure n’est pas juridiquement possible puisque la loi de 1955 prévoit qu’ « en aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les personnes visées ».

Réclameront-ils dans ces conditions de passer à un régime d’exception plus efficace dans leur esprit (ce qui se traduirait nécessairement par « plus contraignant ») ?

 

La France connaît en effet d’autres régimes d’exceptions, dont les plus importants sont l’état de siège et les pouvoirs exceptionnels.

L’état de siège, prévu par le code de la défense nationale (mais remontant à l’origine à une loi de 1849), ne paraît pas applicable pour l’instant, puisqu’il ne peut être déclaré « qu'en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection armée », ce qui ne me semble pas (encore) être le cas en France.

On peut simplement noter que l’état de siège entraîne le transfert des pouvoirs dont l'autorité civile était investie pour le maintien de l'ordre et la police à l'autorité militaire, avec compétence des juridictions militaires pour un certain nombre d’infractions.

 

Les pouvoirs exceptionnels sont prévus par l’article 16 de la Constitution :  « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ».

On peut noter que si cette disposition ne semble pas concerner directement la commission d’actes de terrorisme à grande envergure, la mise en œuvre de cette mesure par le Président de la République dans ce cas ne pourrait être censurée, aucun contrôle juridictionnel n’étant prévu.

La difficulté tient à la durée de mise en œuvre de cette disposition, puisque la Constitution ne lui fixe aucun terme. Lorsque cet article a été mis en œuvre par décret du 23 avril 1961, suite au putsch des généraux en Algérie au début de la même année, le régime d’exception a ainsi été maintenu jusqu’au 29 septembre 1961 alors que le putsch avait cessé dès le 26 avril.

Les pouvoirs du Président durant cette période exceptionnelle sont extrêmement importants puisqu’il détient à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, pouvant de ce fait modifier la loi sans véritable contrôle a priori. Lorsque le général de Gaulle a disposé des prérogatives conférées par l’article 16, plusieurs textes relatifs au maintien de l’ordre ont été adoptés, tels que la création de tribunaux d’exception en Algérie.

Souligner que l’usage, surtout prolongé, de cette disposition qui permet de transformer le Président de la République en véritable dictateur, n’ayant comme seule limite que la fin de son mandat, est un lieu commun juridique mais ne peut qu’inciter chacun à réfléchir avant d’appeler la mise en œuvre de mesures d’exception.