Ramadan et refus de vente

Le 5 juillet dernier, un avocat dénonçait via Twitter une pratique liée au Ramadan observée dans un établissement de restauration, indiquant que « un couple d’ami s’est vu refuser le service d’alcool et de nourriture dans un bar hier vers 20h à Paris 13e pour cause de Ramadan».

Au-delà du côté assez peu rentable de l’activité du bar concerné dans l’hypothèse où une telle pratique aurait effectivement cours, cette dernière serait-elle légale ?

Le croissant de lune et l'étoile, symboles de l'islam, sur un mur de la grande mosquée de Paris, le 9 janvier 2015.

Deux hypothèses me paraissent devoir être évoquées.

Première situation, le bar en question ne propose de manière générale sur sa carte ni alcool, ni nourriture. La solution est alors assez simple : le restaurateur est parfaitement dans son droit de vendre ou de ne pas vendre certains produits. D’ailleurs, concernant les boissons alcoolisées, leur vente est strictement encadrée par la réglementation liée au système des licences des débits de boissons, la fameuse licence IV permettant la vente des boissons alcoolisées prévues par les quatre premiers groupes de l’article L. 3321-1 du code de la santé publique.

Seconde situation, le commerçant refuse  de vendre au cours de certaines périodes des produits tels qu’alcools et nourritures, alors qu’ils figurent sur sa carte. Dans ce cas, le restaurateur peut voir sa responsabilité engagée sur le plan pénal, dans la mesure où le droit français réprime le refus de vente ainsi que la publicité trompeuse.

Le refus de vente est prévu par l’article L. 122-1 du code de la consommation qui interdit notamment « de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime », le consommateur étant défini par la loi comme “toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale”.

Le domaine d’application de cette infraction est très large puisqu’elle a été retenue dans le cas d’un commerçant qui refusait de vendre un article exposé en vitrine de son magasin, d’un garagiste opposé au renouvellement d’un contrat avec un client, ou encore d’un restaurateur qui se refusait à servir un certain plat.

L’infraction n’est toutefois pas constituée dans le cas où existe un motif légitime au refus de vente en cause. La jurisprudence fait toutefois une interprétation restrictive de cette notion. Ainsi le motif légitime a-t-il été écarté par les tribunaux concernant un restaurateur ayant refusé de servir un croque-monsieur à un client du fait que cette consommation n'était servie qu'au bar, alors que le client était accompagné d'une personne ayant commandé un plat du jour (servi à ce titre en salle) et qu'il aurait dû se séparer d'elle pour consommer son croque-monsieur.

De même, le motif légitime a pu être exclu s’agissant d’un pharmacien qui refusait de vendre des produits contraceptifs en raison de ses convictions religieuses.

Les motifs essentiels pouvant légitimer un refus de vendre sont l’impossibilité matérielle de satisfaire la demande (rupture de stock), l’anormalité de la demande présentée par le client (attitude agressive du client à l’égard du commerçant) ou l’ordre de la loi (interdiction de vente d’alcool à des mineurs, articles L. 5111-1 et L. 5111-2 du code de la santé publique).

La peine prévue par la loi est celle qui réprime les contraventions de 5e classe, soit une amende d’un montant maximum de 1.500 €, étant précisé que les amendes prononcées en la matière peuvent se cumuler pour chaque infraction constatée.

Le commerçant en cause ne pourrait se réfugier derrière l’indisponibilité des produits en cause pendant la durée du Ramadan puisqu’il entrerait alors dans le cadre des pratiques commerciales trompeuses qui permettent de sanctionner le restaurateur ne vendant pas des produits indiqués sur sa carte.  L’article L. 212-1 I a) du code de la consommation considère en effet qu’est trompeuse une pratique commerciale « lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur  l’existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ».

En l’occurrence, le fait de présenter une carte comprenant des boissons alcoolisées indisponibles pour toute la durée du Ramadan entrerait très certainement dans le cadre de ce texte. La peine prévue par la loi est alors de deux ans d’emprisonnement et de 37 500 € d’amende.

A la supposer réelle, la mésaventure évoquée par l'avocat tweeteur était donc parfaitement rapportable aux autorités compétentes. Mais les services enquêteurs ayant tendance à mieux vérifier les informations dénoncées que ne peut le faire la communauté Twitter, le jeu eût peut-être été dès lors plus risqué...