Les hommes et les sites qui n'aimaient pas les femmes

L’examen du projet de loi relative à la santé a donné lieu à l’adoption par l’Assemblée nationale de mesures diverses, telles que la commercialisation de cigarette conditionnées en paquet neutre, l’expérimentation des salles de shoot ou l’interdiction de fumer en voiture en présence de mineurs. Des amendements introduits par les parlementaires ont créé deux nouvelles infractions visant à limiter les risques d’anorexie, la première concernant l’incitation à l’anorexie, la seconde liée à l’emploi de mannequins extrêmement maigres.

Selon le député Olivier Véran, l'anorexie touche "30 000 à 40 000 personnes" en France, dont 90% sont des adolescents.

Le premier texte crée dans le code pénal un nouvel article qui sanctionne « Le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé » d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende.

Ce texte a pour objet de lutter contre la promotion par certains sites internet de l’anorexie par le biais de l’exposition des méthodes qui peuvent être utilisées pour atteindre la « minceur » requise pour être présentée sur les podiums, voire d’une forte incitation à atteindre cette maigreur excessive.

Curieusement, ce même amendement prévoit également une seconde incrimination incluse dans le code de la santé publique, et qui sanctionne « Le fait de provoquer directement une personne à rechercher une maigreur excessive », renvoyant aux sanctions prévues par 223‑3 du code pénal, comprenant une peine de 5 années d’emprisonnement.

Je suis peut-être fatiguée, ou gavée de chocolats de Pâques, mais j’ai du mal à comprendre la différence majeure entre ces deux textes qui répriment de deux façons différentes un comportement identique, à savoir la provocation à une maigreur excessive. Dès lors que la maigreur que l’on encourage autrui à rechercher est qualifiée d’excessive, sa santé s’en trouve nécessairement compromise, non ?

La rédaction de ces textes ne me semble au surplus pas être applicable aux sites internet dans la mesure où il s’agit de « provoquer une personne », formulation précise qui semble impliquer un individu déterminé et exclure la généralité d’un site internet. Cette rédaction est d’ailleurs proche de celle retenue pour définir l’infraction de provocation au suicide (article 223-13 du code pénal) qui est inapplicable aux sites internet. Une infraction sanctionnant l’apologie de l’anorexie serait peut-être plus adaptée pour répondre à l’objectif du législateur.

Si les sites incitant à la recherche d’une excessive maigreur ne sont pas punissables par le biais de ces nouveaux textes, contrairement aux intentions affichées lors des débats parlementaires, ces dispositions pénales vont réprimer les comportements d’individus qui veulent susciter cette recherche de maigreur auprès de jeunes personnes déterminées, notamment leurs employeurs. On peut d'ores et déjà craindre que d'éventuelles enquêtes en la matière ne soient guère faciles à exercer, les personnes que l'on entend protéger en l'occurrence ne se plaignant généralement pas d'avoir atteint l'état qui correspond à leur représentation mentale de la beauté physique, voire leur permet de trouver ou conserver un emploi.

Le second texte modifie le code du travail en insérant un nouvel article qui précise que  « L’exercice d’une activité de mannequin est interdit à toute personne dont l’indice de masse corporelle, établi en divisant son poids par sa taille élevée au carré, est inférieur à des niveaux définis, sur proposition de la Haute Autorité de santé, par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail ». Le non-respect de cette obligation par un employeur est sanctionné par une peine de 6 mois d’emprisonnement et 75000 € d’amende.

Outre le fait que le législateur délègue à certains ministres la faculté de déterminer l’indice de masse corporel admissible, ce qui me semble particulièrement arbitraire et source d’imprécision de la loi pénale (les agences de mannequinat, si toutefois elles s'en préoccupent, devront rechercher dans les méandres des publications administratives la version en vigueur de l’arrêté qui sera pris en application de ce texte), ce texte me paraît quelque peu redondant vis-à-vis du précédent. On imagine en effet qu’un employeur qui engage une personne très maigre l’incite également à maintenir cet aspect physique, voire à maigrir au-delà du raisonnable quitte à mettre en danger sa santé.

On peut également s’interroger sur une éventuelle discrimination à l’embauche qui s’exercerait à l’encontre de personnes naturellement très maigres ou amaigries pour raisons de santé, discriminations interdites par le code du travail et par le code pénal.

Bref, je serai curieuse de voir comment ces textes a priori complexes à appliquer seront mis en œuvre en pratique par les enquêteurs et juridictions concernés.