Des viols niés en bloc

L'irruption sur la place publique, voilà quelques jours, de documents issus de facultés de médecine a laissé apparaître que des étudiants pouvaient être amenés à la pratique du toucher vaginal sur des patientes endormies au bloc opératoire, sans que celles-ci n’aient donné leur consentement à de tels gestes, parfois même sans nécessité thérapeutique. Une pratique identique aurait également cours concernant des touchers rectaux.

Une cinquantaine de médecins, journalistes et féministes, ont publié, vendredi 6 février, une tribune pour protester contre le toucher vaginal et rectal pratiqué sans le consentement du patient.

L'opinion selon laquelle un toucher vaginal exécuté dans de telles circonstances s'assimilerait à un viol a depuis lors été portée par de nombreux internautes et donné lieu à des débats houleux, sur Twitter ou ailleurs.

Au-delà du respect des règles déontologiques par des médecins enseignants, on peut légitimement s’interroger sur la qualification pénale de ces agissements.

Au niveau déontologique, les règles sont posées par le code de la santé publique.

L’article L. 111-4 du code de la santé publique précise notamment que « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. (…)

Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.

Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. »

L’article R 4127-36 indique quant à lui que « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.

Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité. »

Il semble évident que le fait de procéder à un toucher vaginal sur une personne inconsciente sans son consentement contrevienne aux règles posées par ces articles ; la sanction est la simple mise en jeu de la responsabilité du médecin ou du centre hospitalier.

La responsabilité pénale de l’étudiant et du médecin enseignant paraît également susceptible d’être mise en œuvre.

Ainsi, l’article 222-23 du code pénal précise que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol », ce texte prévoyant une sanction maximale de quinze ans de réclusion criminelle.

S’il n’est nullement contestable que la pratique du toucher vaginal soit constitutive d’une pénétration, c’est le défaut de connotation sexuelle de l’acte qui est mis en avant pour justifier les agissements dénoncés, certains praticiens soulignant les nécessités de la formation des futurs médecins et les risques de refus des patientes.

Lorsque des juridictions pénales françaises ont eu à connaître de ce type d'actes, ce défaut de connotation sexuelle ainsi que l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise ont été plaidés. En matière d’agressions sexuelles (ne comportant donc pas, par définition, d'acte de pénétration), certains tribunaux ont pu faire droit à cette argumentation.

Une personne poursuivie du chef d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans par ascendant légitime, qui avait reconnu avoir embrassé son jeune fils, après l'avoir baigné, sur tout le corps y compris sur le sexe a ainsi été relaxée après que l'absence de toute connotation sexuelle eut été mise en exergue.

Sans nécessairement aller jusqu'à la relaxe, les juridictions ont aussi pu (re)qualifier des attouchements sur les fesses ou organes génitaux des victimes en violences volontaires aggravées, en considération des circonstances de leur commission et, semble-t-il, de la coloration plus brutale que sexuelle des actes poursuivis.

En général, cependant, la jurisprudence adopte une position plus sévère.

Le 22 mars 2000, la Cour de cassation a en effet retenu, s’agissant d’un toucher vaginal effectué par un biologiste qu'un tel acte, pratiqué à main nue, sans le consentement de la patiente et sans avoir fait l'objet d'une prescription médicale en ce sens, constituait un acte de pénétration sexuelle accompli par surprise sur la personne d'autrui, au sens de l'article 222-23 du code pénal.

Dès lors, à supposer que des enquêtes soient diligentées relativement à des touchers rectaux ou vaginaux pratiqués sur des patients n'y ayant pas consenti, la qualification de viol pourrait légitimement être retenue. Les praticiens et étudiants qui procéderaient à de tels pratiques seraient considérées comme auteurs de l'infraction, les médecins enseignants leur donnant des instructions pour procéder à de telles atteintes comme complices (notamment en tant qu’instigateurs).

Mais en pratique, si personne ne semble contester le caractère répréhensible d'un toucher vaginal ou rectal qui serait pratiqué, disons, sur un(e) patient(e) durant l'ablation de ses dents de sagesse, les actes nécessairement multiples exécutés par les professionnels lors d'une intervention chirurgicale dans la région génitale ou rectale d'un patient ne constituent-ils pas une "zone grise" rendant invraisemblable toute enquête ? Dès lors que le patient a accepté le principe d'une telle opération et des modalités qui lui ont été expliquées, son information doit-elle et peut-elle comprendre le nombre exact des intervenants et la description exhaustive des gestes de chacun ?