Amedy Coulibaly et le "laxisme" judiciaire

Au lendemain de la journée historique de mobilisation contre l'intolérance et la barbarie terroriste qui ont frappé la France, l'union nationale affichée par les professionnels de la politique commence à laisser place à des polémiques qui ne sont pas nécessairement utiles.

Certains mettent ainsi en avant le parcours judiciaire d'Amedy Coulibaly, 32 ans, meurtrier revendiqué de Clarissa Jean-Philippe, policier municipal à Montrouge et de quatre autres personnes dans un supermarché, Mme Marine Le Pen, en particulier, indiquant lundi matin sur iTélé que «Monsieur Coulibaly, il a été condamné à cinq ans de prison, mais quelques mois après, il était dehors », formulation qui paraît sous-entendre que sur les cinq années de prison auxquelles il a été condamné, il n'aurait en réalité effectué que cinq mois en détention.

La photo d'Amedy Coulibaly diffusée par la police dans le cadre de la fusillade de Montrouge et de la prise d'otages de Vincennes, le 9 janvier 2015.

Selon les informations parues dans la presse, Amedy Coulibaly a été condamné à plusieurs reprises, à partir de 2001, pour des infractions de droit commun, notamment des vols aggravés, alors qu'il était encore mineur. En 2004, il a comparu devant la Cour d'assises des mineurs pour des faits de vol à main armée et été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement. Sorti en 2006, il a de nouveau été condamné, la même année, à une peine de 18 mois de prison pour des faits de trafic de stupéfiants.

Il est toujours difficile d'apprécier, sans avoir accédé au(x) dossier(s) concernés, la sévérité de peines prononcées par une juridiction en fonction de la personnalité, de la nature des faits et du degré de participation de l'auteur. On peut toutefois supposer que les peines d'emprisonnement qui ont été prononcées à l'encontre de M. Coulibaly aient été assorties pour certaines d'entre elles d'un sursis avec mise à l'épreuve, imposant au condamné de respecter un certain nombre d'obligations aux fins de favoriser sa réinsertion (le condamné pouvant faire l'objet d'une incarcération s'il refuse de les exécuter correctement).

A sa sortie de prison, M. Coulibaly s'est engagé dans un projet de réinsertion avant d'être placé en détention provisoire, le 23 mai 2010, dans le cadre d'une instruction judiciaire ouverte pour complicité d'évasion d'une personnalité de premier plan de l'islamisme radical, Smaïn Aït Ali Belkacem, membre du GIA et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

A l'issue de cette information judiciaire qui a duré plus de trois ans, Amedy Coulibaly a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement, le 20 décembre 2013.

Concernant ces faits de complicité d'évasion (qui sont juridiquement définis sous la qualification de connivence d'évasion, prévue par l'article 434-32 du code pénal, comme le fait, par toute personne, de procurer à un détenu tout moyen de se soustraire à la garde à laquelle il était soumis), la peine prévue par la loi est en principe de trois années d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Le quantum de la peine passe à cinq années de prison "Si le concours ainsi apporté s'accompagne de violence, d'effraction ou de corruption" et à sept ans "Si ce concours consiste en la fourniture ou l'usage d'une arme ou d'une substance explosive, incendiaire ou toxique".

On peut donc constater, à la seule lecture des textes légaux, que le prononcé à l'égard de M. Coulibaly d'une peine de cinq années d'emprisonnement représentait une condamnation relativement sévère, dans la mesure où le maximum encouru s'élevait à sept ans.

Libéré le 4 mars 2014 dans le cadre d'un aménagement de peine et placé de ce fait sous surveillance électronique, il a achevé l'exécution de sa peine d'emprisonnement, le 15 mai 2014.

Si Madame Le Pen peut légitimement affirmer qu'Amedy Coulibaly soit sorti de prison quelques mois après le prononcé de sa condamnation, l'honnêteté commanderait à l'avocate qu'elle a été de ne pas négliger de prendre en compte la durée de la période de détention provisoire effectuée préalablement à son jugement. Contrairement à ce que sa déclaration brute laisse supposer, Amedy Coulibaly a passé presque quatre années en prison, auxquelles s'ajoutent quelques mois de surveillance électronique (le fameux bracelet) légalement considérée comme un mode d'exécution des peines d'emprisonnement.

Ce placement sous surveillance électronique, mis en oeuvre en fin d'incarcération afin de faciliter la réinsertion du condamné, ne peut en soi et a priori être jugé critiquable, s'agissant d'un détenu dont l'incarcération semble n'avoir été marquée que d'un unique incident disciplinaire (la possession d'un téléphone portable). Ce comportement globalement correct a de même permis, de façon on ne peut plus légale, à Amedy Coulibaly de bénéficier de six mois de crédit de réduction de peine (deux mois imputés sur la première année de détention, un mois sur chacune des suivantes), l'état de récidive légale de l'intéressé ayant été relevé lors de son jugement, du fait d'une condamnation antérieure. Amedy Coulibaly s'est en outre vu attribuer des réductions de peine supplémentaires d'une durée cumulée de sept mois en raison de ses efforts de réinsertion, comprenant la réalisation de formations professionnelles et le travail en détention.

Une réflexion globale passant notamment par la recherche d'éventuels dysfonctionnements dans le traitement judiciaire du parcours d'Amedy Coulibaly apparaît indispensable après un drame tel que celui que nous avons connu ces jours derniers, mais il sera nécessaire de se concentrer sur les éléments utiles au débat (les moyens d'enquête sur les actes terroristes, la surveillance des réseaux djihadistes, les moyens d'éviter la radicalisation en milieu carcéral, etc) sans se laisser abuser par le type d'écran de fumée que Mme Le Pen s'est ici plu à produire.