Le droit au sol

Maria Francesca est née le 14 octbre dernier, au sein d'une famille rom installée sur la commune de Champlan, dans ce qui a été décrit comme un bidonville illégal installé au bout des pistes de l'aéroport d'Orly, composée d’Iléana et de son époux Marin, et de deux garçons de 5 et 9 ans, scolarisés dans un établissement de cette commune. Deux autres de leurs enfants sont décédés alors qu’ils vivaient encore en Roumanie.

L'entrée de la commune de Champlan (Essonne), le 12 novembre 2008.

Dans la nuit du 25 au 26 décembre 2014, Iléana a découvert Maria Francesca froide et inanimée. La fillette a été emmenée à l'hôpital de Corbeil-Essonnes, où son décès,dû au syndrome de mort subite du nourrisson, a été prononcé.

La famille, avec l’assistance d’une association, a pris attache avec une entreprise de pompes funèbres qui a elle-même contacté, le 30 décembre, les services municipaux de la commune de Champlan en charge des inhumations, leur adressant par télécopie les documents nécessaires aux obsèques de l’enfant.

Le 31 décembre, le service de l’état civil a contacté les pompes funèbres, indiquant que l’inhumation de l’enfant était refusée.

Si la possibilité d'opposer un refus d'inhumation est dans certains cas ouverte aux élus compétents, les explications données à sa décision par Christian Leclerc, maire (DVD) de la commune, lorsqu'il a été contacté par divers journalistes ont à juste titre choqué.

Il a ainsi déclaré : "Nous avons peu de places disponibles. Nous avons un projet d'agrandissement sur le champ de derrière, mais il coûte plusieurs milliers d'euros. Il nous faut gérer les places au cas par cas, selon les circonstances, et si la famille habite sur place. Les concessions sont accordées à un prix symbolique et l'entretien coûte cher, alors, priorité est donnée à ceux qui paient leurs impôts locaux."

Si par la suite M. Leclerc a apporté des précisions, il est permis de penser qu'il ait, à tout le moins, fait preuve d’une certaine maladresse et en tout état de cause d’une certaine ignorance de la loi applicable.

En effet, s’agissant de l’inhumation des personnes, il convient de se rapporter aux dispositions de l'article L.2223-3 du code des collectivités territoriales qui imposent aux communes de procéder à l’inhumation de certaines personnes :

  • Aux personnes décédées sur le territoire de la commune, quel que soit leur domicile ;
  • Aux personnes domiciliées sur le territoire de la commune quel que soit le lieu de leur décès ;
  • Aux personnes non domiciliées dans la commune mais qui y ont droit à une sépulture de famille ;
  • Aux Français établis hors de France n'ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci ;

Lorsqu'il existe sur le territoire de la commune des places disponibles, le refus d'une concession à une personne répondant aux conditions de l'article L. 2223-3 est illégal.

Au vu des critères posés par ce texte et de la situation de Maria Francesca, la question principale serait de déterminer si le domicile de sa famille se situe sur le territoire de la commune de Champlan, s’agissant d’un bidonville selon les termes employés dans la presse.

Cette notion n'apparaît pas particulièrement définie par la jurisprudence administrative ; le Conseil d’Etat a toutefois fait référence à plusieurs reprises à l’article 102 du code civil qui définit le domicile comme le lieu où une personne a son principal établissement, ce qui semble bien pouvoir correspondre à la situation des parents de l’enfant défunte.

Mais au-delà de la simple illégalité de cette décision de refus d’inhumation, qui serait dans l'absolu susceptible d’être remise en cause devant les juridictions administratives (même s'il l'on peut supposer que les malheureux parents aient d'autres préoccupations autrement plus vitales), il peut être envisagé que le maire ayant refusé cette inhumation ait engagé sa responsabilité personnelle sur le fondement des règles pénales sanctionnant les discriminations. Le Procureur de la République d'Evry étudie manifestement cette éventualité, puisqu'il a initié une enquête préliminaire sur les faits révélés.

L’article 432-7 du code pénal réprime ainsi « La discrimination (…) commise à l'égard d'une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, lorsqu'elle consiste :

1° A refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ;

2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque »

La discrimination est précisément définie par l’article 225-1 du même code qui précise que « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »

Les enquêteurs désignés devront donc déterminer si M. Leclerc a refusé l’inhumation de Maria Francesca dans le cimetière de Champlan pour des raisons administratives ou en raison de l’origine de la famille (voire de leur lieu de résidence, le fameux bidonville).

Si cette seconde hypothèse est retenue, le maire de la commune pourra être sanctionné d’une peine maximale de 5 années d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Maria Francesca aura quant à elle depuis longtemps trouvé un dernier asile dans la terre de Wissous, dont le maire (UMP),M. Richard Trinquier, se préoccupe manifestement davantage d'humanité que de vérification du paiement des impôts locaux.