Devoir de santé, droits du patient

Jeudi dernier, le Tribunal correctionnel d’Auxerre s'est trouvé saisi de poursuites engagées à l'encontre d'un couple qui refuse de faire vacciner sa fille âgée de trois ans contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite.

Dans un centre de vaccination, le 1er janvier 2010, à Lyon (Rhône).

La difficulté soulevée devant la juridiction était la contradiction qui semble exister entre les infractions pénales prévues par le code de la santé publique et le code pénal, d'une part, et les principes de liberté du patient découlant liés au droit de la santé d'autre part.

La pénalisation du défaut de vaccination

Deux infractions distinctes étaient reprochées aux parents mis en cause : la première, prévue par l'article 3116-4 du code de la santé publique, consiste en "le refus de se soumettre ou de soumettre ceux sur lesquels on exerce l'autorité parentale ou dont on assure la tutelle aux obligations de vaccination".

Cette infraction paraît constituée dans la mesure où l'article 3111-2 du code de la santé publique impose la vaccination obligatoire et simultanée contre la diphtérie et le tétanos ; il en va de même pour la poliomyélite.

La seconde infraction est prévue par l'article 222-17 du code pénal qui sanctionne de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende "le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur".

Cette infraction, plus complexe, a déjà été appliquée dans l'hypothèse d'une absence de vaccination : la Cour d'appel de Grenoble a ainsi reconnu coupables de cette infraction des parents, membres de la communauté Horus, qui n'avaient pas procédé à la vaccination de leur fille par conformité envers l'idéologie prônée au sein de ce mouvement. Cette affaire s'inscrit toutefois dans le cadre plus large d'une pathologie (toxoplasmose congénitale) dont souffrait l'enfant qui n'avait pas été traitée de façon appropriée par les parents.

Devant le Tribunal correctionnel d'Auxerre, le couple a expliqué que les seuls vaccins actuellement disponibles combinent (pour une raison qui m'échappe mais que je soupçonne d'être purement commerciale) la protection contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite à d’autres maladies comme la coqueluche, l’hépatite B ou la méningite, qui correspondent à des vaccinations qui, elles, ne sont pas légalement obligatoires. Ils ont précisé qu'un laboratoire leur avait transmis deux vaccins ne ciblant que les trois maladies DTP mais que leur composition ne convenait pas à ces parents, qui évoquent à leur propos "un produit toxique".

Leur avocat a indiqué que les dispositions pénales précitées étaient en opposition avec le droit de chaque citoyen à la santé, inscrit au préambule de la Constitution : " le droit à la santé, c’est aussi, par le biais d’un système un peu perverti, le droit ne pas se vacciner".

Le "devoir de santé" opposé au respect de la volonté du patient

De nombreux textes normatifs prévoient le respect de la volonté du patient :

- si le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoit que la Nation “garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé”, il vise également le principe de dignité de la personne humaine qui impose au législateur de sauvegarder la "primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine" ;

- l'article 16-1 du code civil exprime sur le plan légal l'impératif constitutionnel de respect de la dignité de la personne humaine en disposant que “chacun a droit au respect de son corps”, que “le corps humain est inviolable”, l'article 16-3 précisant qu'il "ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne (et que) le consentement de la personne doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'a pas été à même de consentir” ;

- la Cour européenne des droits de l'homme fait référence à “la notion d'autonomie personnelle” fondée sur le droit au respect de la vie privée posé par l'article 8 de la Convention, qui “peut s'entendre au sens du droit d'opérer des choix concernant son propre corps” ;

- la loi Kouchner du 4 mars 2002 précise que "toute personne prend avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé”, et que “le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix” ;

- tout médecin, lors de sa prestation de serment, jure de respecter “toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté” ;

- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 prévoit en son article 7 que “nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique” ;

- la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine d'Oviedo du 4 avril 1997 précise qu'une "intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu'après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé" ;

- l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne rappelle que “dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés (...) le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi”.

On constate donc que la question de savoir si l'on peut légitimement s'affranchir de l'obligation de vaccination est pertinente, compte tenu notamment du nombre de textes nationaux et internationaux qui mettent en exergue le pouvoir de libre décision du patient et le respect de la volonté qu'il exprime.

La difficulté supplémentaire dans l'affaire d'Auxerre tient à l'implication d'un enfant mineur qui, par définition, est incapable de décider pour lui même du bien-fondé ou non de sa vaccination ; seuls ses parents ont la possibilité de prendre en la matière la décision appropriée à sa situation.

Le tribunal correctionnel d'Auxerre a décidé la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, question tendant à vérifier la conformité à la Constitution des textes d'incrimination précités, en ce qu'ils restreignent la liberté du patient.

La Cour de cassation optera pour le renvoi au Conseil constitutionnel si la question est, ainsi que le prévoit la loi, "nouvelle ou présente un caractère sérieux".

Dans l'hypothèse d'une saisine du Conseil constitutionnel, celui-ci pourrait estimer que l'obligation de vaccination est contraire à la Constitution (et à l'ensemble de textes qui se voient accorder valeur constitutionnelle). Les textes d'incrimination du défaut de vaccination seraient donc abrogés, aucune condamnation ne pouvant plus dans ce cas être prononcée à l'encontre des parents (sauf report dans le temps des effets de l'inconstitutionnalité décidée par le Conseil).