Mayor Dredd : un justicier dans la nuit auvergnate

Laurent Wauquiez, ancien ministre, député et maire du Puy en Velay serait-il un héros des temps modernes ? On serait en droit de le croire au vu de ses médiatiques et martiales déclarations ainsi que des comptes rendus journalistiques relatifs à sa dernière action d’éclat, à savoir l’interpellation de deux jeunes contrevenants en scooter qui auraient commis un excès de vitesse et grillé un feu rouge (le mis en cause ayant apparemment contesté être passé "pas loin d’une personne âgée qu’ils ont failli faucher").

Enfin, d’un contrevenant, dans la mesure où un scooter se pilote généralement seul. Mais ne chipotons pas.

Laurent Wauquiez, député UMP de Haute-Loire, à La Baule (Loire-Atlantique), le 7 septembre 2014.

Si en sa qualité de maire, M. Wauquiez dispose de certains pouvoirs de police, rappelons tout de même qu’il ne peut aller au-delà de ce qui est prévu par la loi.

L'article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales dispose que “le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs”. Le maire est donc investi de pouvoirs de police municipale, ainsi que des pouvoirs généraux de police, l'habilitant à intervenir dans le cadre des lois et règlements en vigueur, toutes les fois qu'une autre autorité n'a pas reçu compétence par un texte spécial. Le maire est ainsi compétent pour prendre et faire respecter les mesures nécessaires au maintien de l'ordre, de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique sur le territoire de la commune.

Ce pouvoir de police administrative du maire s’exerce par le biais de l’adoption et la publication d’arrêtés municipaux qui ont les objets les plus divers, de la réglementation des lieu et horaires du marché hebdomadaire de la commune aux règles de stationnement payant en passant par l’instauration d’un espace Puy en Velay-Plage, ainsi que toutes les mesures destinées à éviter un trouble à l’ordre public.

En l’occurrence, l’intervention de M. Wauquiez ne s’inscrit clairement pas dans le cadre de ce pouvoir de police administrative mais dans celui d’une mission de police judiciaire, s’agissant de mettre fin à la commission d’une infraction flagrante, plus précisément une contravention de quatrième classe. Or M. Wauquiez, en tant que maire de la commune du Puy en Velay, a la qualité d’officier de police judiciaire dont il exerce les prérogatives dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, sous la direction du procureur de la République, qui contrôle la régularité de cet exercice sur la forme et sur le fond.

L’officier de police judiciaire Wauquiez était parfaitement en droit de procéder à l’interpellation du pilote de scooter qui venait, sous ses yeux, d’omettre de s’arrêter à un feu rouge.

On ne manquera pas d’observer en revanche que la preuve de l’excès de vitesse dont il a pu évoquer la commission face à M. Bourdin, sur RMC et BFMTV, sera plus difficile à rapporter, M. Wauquiez ayant affirmé que le scooter roulait à « 50 ou 70 km/h » : dans la première hypothèse, sauf limitation de vitesse spécifique, 50 km/h correspondrait à une vitesse normalement admise en ville. Dans la seconde, la seule parole imprécise de l’agent interpellateur qui ne s’appuierait sur aucune évaluation par instrument de mesure dûment constatée par procès-verbal ne suffirait pas à caractériser la commission de l’excès de vitesse en cause.

On s’abstiendra par ailleurs de faire remarquer que pour procéder à cette interpellation, le maire a dû lui-même griller un à deux feu(x) rouge(s) et rouler à une vitesse suffisante pour rattraper les fauteurs de troubles…

Concernant la suite des événements, on ne peut s’empêcher de constater que M. le maire semble avoir pris quelques libertés avec les dispositions légales applicables.

En effet, M. Wauquiez précise qu’après avoir arraisonné les sauvageons et attrapé le conducteur du scooter par le col, il « leur a annoncé clairement la donne : pendant un mois, je vais les mettre en peine d'intérêt général au centre technique municipal à 6 heures du matin ».

Allons, allons, M. Wauquiez, ne nous emballons pas. La dernière fois que j’ai vu un édile se charger de l’interpellation des auteurs d’infractions, de leur jugement puis de la mise à exécution de leur peine, c’était à Méga-City One, pas au Puy en Velay.

Dans le cas qui nous occupe, le maire, après avoir constaté l’infraction de non-respect de la signalisation routière et interpellé le mis en cause, aurait dû établir un procès verbal constatant l’infraction, rendre compte au Ministère public des faits constatés et le cas échéant, sur directive de celui-ci, convoquer le mineur et ses représentants légaux devant le juge de proximité afin qu’il soit jugé, les faits constituant une contravention de quatrième classe sanctionnée au maximum d’une amende de 750 €. Le Procureur de la République aurait tout aussi bien pu décider de faire procéder à une alternative aux poursuites, particulièrement en l’absence d’antécédents judiciaires pour le mineur concerné.

Quant à l'éventuel délit de risques causés à autrui (le "presque fauchage" de la personne âgée), il aurait lui aussi nécessité l'établissement d'un procès-verbal détaillé qui, sauf autre élément de preuve que le témoignage de M. Wauquiez, n'aurait pas non plus suffi à caractériser à l'encontre du mineur cette infraction bien intentionnelle.

 Au lieu de quoi, le maire-justicier a, si l’on s’en tient à ses dires, unilatéralement décidé de sanctionner le conducteur et son passager (ce dernier n’étant a priori l’auteur d’aucune infraction, mais c’est un détail sans importance semble-t-il), s'affranchissant des fastidieuses règles de procédure pénale applicables, et en « prononçant » une peine absolument illégale : en effet, la peine de travail d’intérêt général ne peut en aucun cas venir en répression de cette contravention de quatrième classe, nécessite que l’accord du condamné soit recueilli préalablement au prononcé de cette peine et, par surcroît, ne peut en aucun cas être infligée à un mineur âgé de moins de seize ans.

Bref, « être La Loi » au sens Judge Dredd-ien du terme, c’est un métier. Qui demande un peu plus de temps d’apprentissage et de pratique qu’il n’en faut pour accomplir le trajet entre deux feux tricolores en centre-ville du Puy en Velay.