A visage découvert

Chère BFM TV,

Hier matin, tu as annoncé le maintien en détention provisoire de l'entraîneur de tennis récemment mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur certaines de ses anciennes élèves mineures. Pour illustrer cette information, le téléspectateur moyen étant manifestement incapable de se faire une idée du concept de "maintien en détention provisoire" à la seule audition de ces termes, tu as cru bon de faire tourner en boucle les images de cet homme amené sous escorte et menotté le long d'un couloir que l'on suppose être celui du tribunal où officiait le juge des libertés et de la détention qui devait se prononcer sur son éventuelle libération. Des images très nettes, les seuls points "floutés" correspondant aux visages des hommes de l'escorte. Les traits du mis en cause étaient, eux, parfaitement visibles, de même que l'action par laquelle on le démenottait avant d'entrer dans le bureau.

Caché sous une couverture, Willy Bardon, entouré de gendarmes devant le palais de justice d'Amiens (Somme), le 18 janvier 2013.

Franchement, chère BFM TV, quelle était l'utilité de telles images (vers lesquelles je ne chercherai à inclure aucun lien, histoire de ne pas étendre cette indignité à France TV info) ?

Aurais-tu oublié que cet homme dont le nom s'étale d'ores et déjà partout dans la presse est présumé innocent, que l'instruction criminelle débute tout juste, qu'il est aussi susceptible qu'un autre de bénéficier à son issue d'un non-lieu ou d'un acquittement ? Qu'innocent ou coupable, il sera de toute façon amené à poursuivre sa vie après cette procédure judiciaire, et que le fait d'avoir été ainsi montré à tes millions de téléspectateurs potentiels ne l'aidera nullement ?

As-tu réfléchi deux minutes, au moment de monter ce micro-reportage, au fait que cet homme avait deux enfants qui, quoi qu'il ait pu faire, ne tiennent pas nécessairement à ce que tout leur entourage puisse se le représenter visuellement sous les verrous ou même faire le lien, par ces images, entre l'odieux "violeur présumé" et le père de leurs amis ?

Non, tu n'as pensé à rien de tout cela, n'est-ce pas ? Ton seul objectif était probablement de tenir ton rang de "première chaîne d'info en continu" française et non seulement d'informer tes téléspectateurs en leur montrant en détails ce dont tu leur causes : le type, les menottes, les gendarmes autour, ça claque quand même plus que de simplement évoquer le maintien en détention provisoire d'un mis en examen parmi tant d'autres, n'est-ce pas ?

En tout état de cause, il y a une chose à laquelle tu n'as manifestement pas pensé, ou que tu as délibérément choisi d'ignorer : l'article 35 ter de la loi du 29 juillet 1881, tu sais, la loi sur la liberté de la presse (oui, c'est son -bel-  intitulé exact) ? Le texte qui prévoit que "lorsqu'elle est réalisée sans l'accord de l'intéressé, la diffusion, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, de l'image d'une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l'occasion d'une procédure pénale mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation et faisant apparaître, soit que cette personne porte des menottes ou entraves, soit qu'elle est placée en détention provisoire, est punie de 15 000 euros d'amende."

Bref, pour épicer par l"image une information qui n'en avait nullement besoin, tu n'as pas hésité à piétiner gratuitement les droits d'un homme et à commettre tranquillement un délit. Sauf à supposer que l'intéressé ait explicitement donné son accord quant à la publication de telles images, bien entendu, ce qui serait plutôt surprenant dans la mesure où il n'y aurait strictement aucun intérêt, lui.

Je conclurais bien d'un "bisous", chère BFM TV, mais je suis sûre que le Conseil supérieur de la magistrature viendrait me chercher noise si je me mettais à bisouter des gens en délicatesse manifeste avec la loi pénale, surtout en public.