Se défendre, jusqu'où ?

Le 5 mai dernier, un légionnaire a été mis en examen à Paris pour violences avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner et placé en détention provisoire.

Le samedi précédent, tandis qu’il se promenait avec son amie, le légionnaire avait été abordé par un homme qui lui avait proposé du cannabis. Le ton étant monté à la suite de son refus, le dealer avait sorti une arme blanche et blessé le légionnaire à la main. Ce dernier avait réussi à s’emparer de l’arme et avait mortellement blessé le vendeur de drogue de sept coups de couteaux, dont l’un avait sectionné l’artère fémorale.

La gare du Nord à Paris, le 18 avril 2014. 

La légitime défense est invoquée par le militaire, soutenu par de nombreuses personnes qui estiment que ses agissements ne peuvent être considérés comme répréhensibles, bien au contraire, et que dès lors la mise en examen et la détention provisoire dont il fait l’objet constituent des mesures excessives.

On ne peut à ce jour avoir une position précise et fondée sur la légalité de l’acte du légionnaire, dans la mesure où l’enquête est en cours, et loin d’être terminée. Mais on peut s’interroger sur les suites procédurales qui y ont d’ores et déjà été apportées.

En effet, la lumière doit être faite sur son acte, qui a objectivement entraîné le décès d’un homme et dont il convient de déterminer s’il peut engager sa responsabilité pénale. Il appartiendra notamment aux autorités judiciaires de déterminer si les conditions légales de la légitime défense sont réunies.

Rappelons que la légitime défense est définie par l’article 122-5 du code pénal qui précise que

« N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction. »

Les conditions de la légitime défense sont donc strictement définies (défense de la vie ou d’un bien, simultanéité et proportionnalité de la défense), et leur présence ne pourra être établie qu’à l’issue de diverses investigations, qui se dérouleront dans le cadre de l’information judiciaire menée par le juge d’instruction saisi.

Rappelons que la mise en examen du légionnaire, malgré une image publique relativement « infamante », lui permet d’avoir un accès complet au dossier de la procédure par l’intermédiaire de son avocat, de présenter des demandes d’actes, de solliciter des contre-expertises et de soulever des nullités de procédure.

Toutefois, dans la mesure où le militaire a été placé en détention provisoire, les magistrats chargés du dossier (juge d’instruction, procureur et juge des libertés) considèrent probablement que la légitime défense doit être en l’état écartée.

En effet, selon les premiers éléments de l’enquête retracés dans la presse, l’auteur de l’agression aurait reçu sept coups de couteau. Or pour que la légitime défense soit retenue, il faut que la riposte soit nécessaire et mesurée.

Concrètement, la défense n'est légitime que dès lors qu’elle s’est avérée indispensable pour éviter les conséquences de l'agression. Le fait que la victime d’une agression ait eu la possibilité de contacter les services de police ou de gendarmerie pour se protéger de l’agression est par exemple fréquemment retenu par les tribunaux comme une circonstance écartant la nécessité de la riposte.

La défense doit en outre être proportionnée à l’agression, ce qui signifie que la riposte doit être suffisante pour arrêter l’attaque sans pour autant devenir excessive et constituer ainsi une agression plus grave encore que l’acte initial.

En l’occurrence, on peut s’interroger sur l’existence de ces deux éléments, puisque le légionnaire et son amie se trouvaient devant la Gare du nord (donc à proximité de représentants des forces de l’ordre susceptibles d’intervenir) et que lors de la rixe, le légionnaire a porté à son adversaire sept coups de couteau, ce qui peut caractériser l’excès en regard de l’attaque initiale.

De même, les compétences particulières du légionnaire issues de sa formation professionnelle ont-elles pu inciter les magistrats à juger contestable le caractère légitime de sa riposte.

En tout état de cause, l’instruction criminelle actuellement en cours éclaircira les circonstances du décès de l’agresseur ; l’autopsie complétée d’analyses techniques permettra de déterminer la nature et les conséquences des blessures de la victime (plaies de défense sur les membres, chronologie des coups de couteau notamment). L’examen de ces éléments très concrets, s’il conforte la thèse de la légitime défense, pourrait dès lors permettre une mise en liberté prochaine (sous contrôle judiciaire, le cas échéant) du légionnaire, ainsi qu’un éventuel non-lieu à l’issue de l’instruction.