Les procureurs qui murmurent à l'oreille du ministre

Le bouillonnement de déclarations de politiciens et articles de presse auquel on assiste depuis quelques jours autour des écoutes dont Nicolas Sarkozy aurait fait l’objet dans le cadre d’une information judiciaire a inévitablement et rapidement donné lieu à des soupçons de cabale orchestrée par le pouvoir en place à l’encontre de l’ancien président de la République.

L’attitude de Mme Taubira, Garde des Sceaux, lorsqu’elle a été interrogée à cet égard est apparue contradictoire, puisqu’elle a dans un premier temps affirmé ne pas avoir été informée de l’existence d’écoutes de conversation entre l’ancien Président et son avocat jusqu’à la publication de l’information dans la presse, ses déclarations se trouvant par la suite démenties par le contenu des documents imprudemment brandis par Mme Taubira elle-même lors d’une conférence de presse, qui faisaient explicitement état des interceptions de conversations téléphoniques entre M. Sarkozy et Me Herzog.

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, à l'Elysée, le 12 mars 2014, lors d'une conférence de presse sur la mise sur écoute de Nicolas Sarkozy.

La question a aussitôt (voire précipitamment) été posée, notamment par M. Fenech, député et ancien magistrat, de la légitimité de la communication d’informations relevant d’une instruction en cours au Garde des Sceaux.

Le Ministère Public exerce le pouvoir de poursuite des infractions pénales, et de ce fait assure l’un des attributs fondamentaux de la souveraineté. Aux termes des dispositions légales applicables, il est hiérarchisé et placé sous l’autorité du Ministre de la justice.

Le rôle du Ministre de la Justice est défini par l’article 30 du code de procédure pénale qui prévoit que « Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles. (…) ».

De même, l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature place les magistrats du parquet sous l’autorité du Ministre de la Justice.

L’organisation hiérarchique du parquet a pour objectif la cohérence des poursuites sur le territoire national concernant par exemple le traitement judiciaire à réserver à certains types d’infractions (violences conjugales, faits de bizutage, délinquance routière, pour citer quelques exemples).

En matière de circulation des informations, cette hiérarchie s’exerce tant vers l’aval entre les membres du parquet (instructions générales du Ministre à ses subordonnés, instructions particulières des Procureurs Généraux aux membres des parquets du ressort de la Cour d’Appel) que vers l’amont (informations qui remontent des Parquets au sujet notamment des dossiers jugés sensibles aux Procureurs Généraux et au ministre, la notion de sensibilité des affaires à signaler étant aussi variable qu’extensible). Précisons au passage que le Garde des Sceaux n’a pas à donner d’instructions liées à une affaire particulière (en enjoignant, par exemple, à un procureur de classer sans suite certains dossiers ou de requérir un non-lieu à l'égard de tel mis en examen).

Le principe déjà bien ancien de ces transmissions d’informations a d’ailleurs été rappelé par une circulaire de Mme Taubira datée du 31 janvier 2014 qui précise notamment que « le garde des sceaux, qui peut notamment être interrogé par des autorités administratives indépendantes ou par des parlementaires à l’occasion de questions écrites ou orales sur sa conduite de la politique pénale, doit être renseigné sur les procédures présentant une problématique d’ordre sociétal, un enjeu d’ordre public, ayant un retentissement médiatique national ou bien encore qui sont susceptibles de révéler une difficulté juridique ou d’application de la loi pénale. ».

Il est par conséquent aussi évident que légitime que la Garde des Sceaux ait été informée par les différents représentants du Ministère public de l’existence d’écoutes concernant un ancien Président de la République, s’agissant d’une affaire médiatiquement sensible qui révélait par surcroît une difficulté juridique, concernant notamment la mise en œuvre des écoutes de conversations entre Nicolas Sarkozy et son conseil. Une telle remontée d’informations n’est pas choquante compte tenu de la nature de la procédure et de la personne mise en cause. Il est évident que si Madame Taubira n’avait pas été tenue au courant, il lui aurait été reproché d’ignorer des dossiers judiciaires essentiels. Et qu’il n’eût pas fait bon être le parquetier qui aurait failli à ce devoir d’information…

Je comprends ainsi d’autant plus mal la surprise affichée par M. Fenech qui s’est largement interrogé dans les médias quant à l’existence de ce système (dont il a pu évoquer qu’il avait été créé, ou en tout cas sensiblement étendu, par la circulaire du 31 janvier 2014 précitée) et à l’utilisation qui pouvait en être faite par le Garde des Sceaux. Mme Taubira n’a rien inventé en la matière, la cellule chargée à la Chancellerie du traitement des affaires signalées par les Parquets fonctionnant à ce jour selon des principes qui étaient déjà en vigueur lorsque M. Fenech exerçait encore la profession de magistrat.

Ou alors, je demande immédiatement à être considérée à compter de ce jour comme un auteur de romans d’anticipation.