Chez l'éditeur Valve, on travaille sans chef

Capture d'écran du jeu "Portal 2", développé par le studio Valve. (VALVE)

Valve est un éditeur un peu à part dans le monde des jeux vidéo. En quinze ans, l'entreprise est passée du statut de petit studio de développement à celui d'acteur incontournable du jeu sur ordinateur. À son actif, la mythique série Half-Life, Counter Strike, Portal, mais aussi Steam, un système d'achat de jeux dématérialisés façon iTunes. L'an dernier, un analyste cité par le New York Times (article en anglais) estimait la valeur de Valve à 2,5 milliards de dollars. La fortune de son fondateur, Gabe Newell, est évaluée par le magazine Forbes à 1,5 milliard de dollars. Voilà pour les chiffres.

L'autre particularité de Valve est connue depuis avril 2012, date à laquelle le livret d'accueil des nouveaux employés dans l'entreprise s'est retrouvé publié en ligne. A l'intérieur, surprise : on apprend qu'aucune hiérarchie n'existe chez l'éditeur. Chacun décide sur quoi travailler, et aucun employé n'a de supérieur à qui rendre de comptes. Est-ce aussi enthousiasmant que cela en à l'air ? Yanis Varoufakis, économiste chez Valve, a donné quelques éléments de réponse lors d'une émission de radio diffusée lundi 25 février par l'université Mason, en Virginie. Morceaux choisis.

Le recrutement ? Pas besoin de demander de permission

À en croire Varoufakis, les embauches se font de manière quasi-spontanée. "Imaginons que vous et moi discutions d'un projet dans le couloir, et que nous convenions tous les deux que nous aurions besoin d'un ou de plusieurs programmeurs, animateurs, ou designers supplémentaires. Nous envoyons ensuite un email au reste de nos collègues de Valve en leur proposant de rejoindre un comité de réflexion pour chercher ces profils bien précis", explique-t-il. Ce processus de sélection des candidats se fait sans validation, "pour la simple et bonne raison que nous n'avons pas de hiérarchie".

La suite a des airs de réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. Après une série d'entretiens, d'abord via Skype puis en face-à-face, les candidatures intéressantes sont débattues. "Nous nous envoyons des emails dans tous les sens pour savoir si nous devons ou non embaucher le candidat, jusqu'à ce qu'un consensus émerge", détaille Varoufakis, qui ajoute qu'un membre de l'équipe dispose toujours de la "possibilité d'opposer son veto" à une candidature.

À Valve, les murs ont des oreilles

Une fois embauché, le nouvel employé n'est-il pas tenté de lever le pied, sachant qu'aucun supérieur n'est là pour contrôler sa production ? L'économiste n'y croit pas. Pour lui, n'intègrent Valve que des "individus qui sont conscient des normes sociales qui gouvernent leur existence (sic)". Par conséquent, continue-t-il, "personne ici ne cherche à se cacher et masquer le fait qu'il n'est pas très bon dans son travail".

La réalité semble un peu moins idyllique. À défaut de surveillance par un supérieur hiérarchique, chez Valve, tout le monde semble s'observer et s'évaluer : les salaires en dépendent. Varoufakis vante ainsi les mérites d'un système quasi implacable : "la plupart des contrats de travail sont établis avec un salaire fixe assez bas (...). Ce qui est intéressant, c'est qu'une grande partie du reste de la paie dépend de l'évaluation du travail par les autres collègues". Un argument de poids pour encourager tout le monde à être productif, d'autant que ces bonus "peuvent atteindre jusqu'à 5, 6, 10 fois le montant du salaire contractuellement établi".

"Communauté de partenaires" et surveillance mutuelle

Pour les licenciements, c'est la même chose. "Nous discutons entre nous puis avec l'employé concerné, et si nous arrivons à la conclusion que cette personne ne peut pas rester, nous lui faisons une proposition intéressante en vue de son départ. Généralement, les séparations se font à l'amiable", détaille l'économiste. Pour lui, les rares cas d'intégration ratée dans l'entreprise concernaient des employés qui n'arrivaient pas à travailler sans supérieur hiérarchique.

Et d'indiquer que le fondateur de Valve, Gabe Newell, "avait cette vision depuis le départ". "Il souhaitait mettre en place une communauté de partenaires, et ne voulait pas être le chef de quiconque, ni être commandé par qui que ce soit". Au risque, peut-être, de l'être par tout le monde.

Publié par Vincent Matalon / Catégories : Non classé