Un week-end dans le "Loft Story du jeu vidéo"

"L'image est un peu réductrice, mais parlante : nous organisons une espèce de 'Loft Story' du jeu vidéo". Lorsqu’il évoque face à moi la première Millenium House Cup, qui s’est déroulée les 15 et 16 décembre à Marseille, Cédric Page semble à l’aise avec l’image renvoyée par l’évènement. A la décharge de ce trentenaire, qui a fondé la structure de joueurs pro Millenium en 2002, les comparaisons avec la téléréalité sont aisées : cette compétition, retransmise en direct sur internet, réunit dans un appartement huit pros de Starcraft II. Ce jeu de stratégie, qui demande une grande réactivité et un sens de l'anticipation hors-pair, est l'un des titres phare de la scène du sport électronique (ou e-sport).

A la place de Steevy ou de Jean-Edouard, on retrouve sous l’œil des huit caméras de ce triplex de 400 m2 de parfaits inconnus du grand public venus du monde entier. Agés de 18 à 26 ans, certains sont pourtant aux passionnés de Starcraft II ce que Messi ou Benzema sont aux fans de football.

Parmi les joueurs qui s'affrontent tout le week-end en un contre un, la plus grande star est sans doute le Sud-Coréen "MC". Agé de tout juste 21 ans, il a gagné lors des différentes compétitions organisées depuis 2010 la bagatelle de 350 000 dollars, selon un site spécialisé. Est également de la partie le Français "Stephano", 19 ans à peine, et plus de 210 000 dollars au compteur. Comme les autres joueurs présents, ces deux-là disposent en outre d'un salaire versé chaque mois par leurs équipes respectives, sponsorisées par des marques de matériel informatique.

La gaming house, une curiosité française

Tous passeront donc le week-end dans ce que Millenium appelle sa gaming house. Dans ce bâtiment rénové du 6e arrondissement de Marseille, les ordinateurs dernier cri côtoient une cuisine spacieuse aux réfrigérateurs remplis de bouteilles d’eau et de soda. Au dernier étage, des chambres essentiellement collectives et une terrasse ensoleillée sont mises à la disposition des joueurs de Starcraft II.

Plusieurs salles sont en outre spécialement équipées pour les retransmissions en direct. L'une d'elles a même tout d'un studio de télévision : canapé pour interviewer les joueurs, quatre écrans pour commenter les parties à la façon d'un match de foot, et un régisseur pour s'occuper de la technique. Pour vous donner une idée de l'ambiance, voici les deux commentateurs en pleine action.

En temps normal, les locaux accueillent les salariés de l’agence de communication créée par Cédric Page, ainsi que la rédaction du site de Millenium, qui suit l'actualité des jeux vidéo. Les chambres, elles, sont occupées par les joueurs pro qui viennent se perfectionner lors de stages d’entraînement de durée variable. Ce type de résidence dédiée au sport électronique est unique en France, mais beaucoup plus répandu en Corée du Sud. Le pays du matin calme est en effet connu pour être le berceau de l'e-sport, du fait de la présence massives de cybercafés depuis la fin des années 1990, comme le raconte Le Monde.

Une bande de potes...

A la différence d’autres compétitions qui se déroulent face à un public, la Millenium House Cup veut donc véhiculer une image intimiste et chaleureuse du milieu du sport électronique. "On réunit huit joueurs qui vont vivre ensemble le temps d'un week-end : ils vont partager leur repas ensemble, échanger, jouer à d’autres jeux pour se détendre...” explique Cédric Page, qui revendique s’être inspiré d’une compétition similaire organisée depuis deux ans outre-Rhin.

Sur place, force est de constater que la convivialité entre les concurrents n’est pas feinte. Ceux qui ne jouent pas regardent et commentent en anglais les matchs des autres, lorsqu’ils ne s’essaient pas à un jeu sur console. Les deux joueurs asiatiques, dont le niveau d’anglais n’est pas très bon, se tiennent certes à l’écart, mais ne rechignent pas lorsque les membres de l’organisation leur demandent de faire une démonstration de Gangnam style sur un autre jeu vidéo, Just Dance 4.

… qui se bat pour 6 000 euros

Derrière l’image d’Epinal de la bande de potes qui se retrouve pour un week-end de jeu vidéo se cache tout de même un enjeu financier : le vainqueur de la compétition doit empocher 3 000 euros, son dauphin 1 500, le troisième 500, et tous les autres 200. Pas trop difficile, dans ce contexte, de passer deux jours dans la même pièce que celui qui vient de vous éliminer ? "Pas du tout, m’assure "Stephano". Généralement, j’ai besoin de quelques minutes pour encaisser une défaite. Ensuite, on tourne la page."

L'une de ses victimes du week-end, le Néerlandais "Harstem", ne dira pas le contraire. Battu par "Stephano" lors de son premier match, il passe le reste du week-end à plaisanter avec lui, jusqu'à lui faire découvrir une série de jeux à boire une fois le tournoi terminé. Un autre concurrent, "Feast", tempère. "Les joueurs sud-coréens sont dans un état d’esprit plus compétitif. Avant mon match, 'MC' m'a lancé qu'il allait me battre pour essayer de m'intimider. D’autres, comme 'Dimaga' (un joueur ukrainien qui terminera second du tournoi), sont plus tranquilles. Dans tous les cas, quand c’est terminé, l’ambiance se détend."

Et ce n'est pas du luxe : les parties de haut niveau de Starcraft II demandent aux pros une concentration et une dextérité extrême. Il suffit d'observer les mains de "Feast" lors d'un match pour s'en convaincre.

Le public au rendez-vous

Les organisateurs du tournoi en sont en tout cas convaincus : la mise en scène façon téléréalité convient parfaitement à ce type d'évènements. "Je crois que les spectateurs sont curieux, et demandeurs de l'aspect 'coulisses", estime Cédric Page. "Les joueurs ici ont leur base de fans, avec qui ils communiquent en utilisant Facebook et Twitter. Ce lien-là crée une proximité qui fait que les fans veulent en savoir plus sur leur joueur préféré, ajoute Pierre-Lou Bogros, en charge du marketing. On le constate aussi avec la gaming house, pour laquelle on reçoit régulièrement des demandes de visite."

En tout cas, les participants au tournoi ne semblent pas dérangés par la présence de caméras pendant le week-end, repas compris. Tous préfèrent insister sur l'aspect chaleureux, voire reposant, de cette compétition, qui tranche avec le gigantisme de certaines autres. Le Sud-Coréen "MKP", âgé de 19 ans, qui finira par soulever la coupe synonyme d'un chèque de 3 000 euros, est formel : "Ici, c'est plus tranquille, il y a moins de stress. Bien sûr, c'est sympa de jouer un grand tournoi devant un public qui vous encourage, mais il y en a tellement souvent...". Le succès d'audience, en tout cas, est au rendez-vous : pendant les deux jours, 10 000 personnes en moyenne ont suivi simultanément la compétition derrière leur ordinateur.

Publié par Vincent Matalon / Catégories : Non classé