Présidentielle 2017 : la cristallisation est morte. Vive la cristallisation !

"Je n'incarne pas le renouveau. (...) Je ne réponds pas pleinement à l'exigence d'exemplarité." C'est par ces mots qu'Alain Juppé, mine sombre et visage crispé, a balayé d'un revers de main les ambitions de ses soutiens le 6 mars. Le 6 mars... soit il y a une éternité tant l'actualité des "affaires" - qui agitent certains politiques - sont devenues prégnantes. Une forme de lucidité de la part de l'ancien premier ministre de Jacques Chirac à l'heure de la désintégration des gauche et droite de gouvernement. 27 jours, il ne reste plus que 27 jours avant le premier tour de l'élection présidentielle et pourtant, son issue reste des plus incertaines. Et ce malgré la tenue du Grand Débat il y a de cela une semaine. Il sera bien temps d'analyser cette situation à froid, lorsque le "Château" aura trouvé un nouveau locataire pour les cinq années à venir. Mais d'ores et déjà, quelques grands enseignements émergent des flots médiatiques. 

1De l'utopique cristallisation

La cristallisation aura-t-elle lieu cette semaine ? Telles des pythies, les sondeurs y vont de leurs oracles les plus fluctuants pour déterminer "LE" moment où les intentions de vote se convertiront en décision de vote. Faites vos jeux, rien ne va plus dans la sphère politico-médiatique. Vous me direz que les sondages ont toujours été des boussoles à aiguilles folles, mais cette fois, impossible de trouver le Nord tant le nombre d'abstentionnistes flirte avec des sommets encore jamais atteints et brouille les pôles magnétiques. Et si la cristallisation était devenue une utopie moderne, une chimère de l'ancien monde, Cité aujourd'hui disparue ? Et si elle ne se réalisait que dans les urnes, voire même pas du tout, à force d'abstention. Elle est sans doute là la donne majeure, avec des conséquences potentiellement terribles : comme le remarque très justement Serge Galam, physicien, chercheur au CNRS et membre du CEVIPOF de Sciences-Po dans les colonnes de Libération : "Après être passée de impossible à improbable, l’élection de Le Pen à la présidence de la République en 2017 est maintenant en train de glisser de improbable à très possible." La faute à l'abstention : "étant donné une certaine abstention pour Le Pen et une intention de vote inférieure à 50 %, il existe une valeur critique pour l’abstention du challenger à partir de laquelle Le Pen est élue. Ce qui est le plus inattendu est que le différentiel d’abstention ne doit pas être très élevé." Comprenez par là que les électeurs de Marine Le Pen sont ultra déterminés, ce qui n'est pas forcément le cas des sympathisants des autres candidats, notamment ceux d'Emmanuel Macron, très observés par nos prophètes des temps modernes. Et que dire des primaires de droite et de gauche dont l'idée même a implosé sous nos yeux ? Plus aucun politique ne se sent obligé de suivre le candidat vainqueur. Un comble mâtiné de mépris total pour les électeurs qui se sont déplacés. Comment leur faire confiance à nouveau ? L'heure est aux petits calculs électoraux pour s'assurer les maroquins locaux. C'est ce qui explique en ce moment la transhumance des éléphants de gauche vers Emmanuel Macron. Ce sera peut-être un cimetière de pachydermes, mais qu'à cela ne tienne, marchons ! Les Français ont très certainement attendu le Grand débat pour se faire une idée des candidats. En témoigne d'ailleurs les pics d'audience : plus de 11 millions durant le temps fort. Alors, non, non, et non... ils ne sont pas désintéressés de la politique. Ils sont simplement écoeurés des politiques et peuvent être tentés par l'abstention en mode sanction. Alors c'est peut-être la notion même de cristallisation qu'il faut revoir. Et si le vote se faisait aujourd'hui dans l'isoloir. Et si les primaires poussives, les "affaires" sur fond de communication de crise pour François Fillon et les débats inédits et tardifs entre candidats avaient inversé les pôles ? L'heure est à la captation du vote consumériste, soit à la tête du client. Les grandes idéologies structurantes ne sont plus. Les programmes ne font plus l'élection. La cristallisation est morte. Vive la cristallisation. 

2De l'effondrement total du système politico-médiatique

En réalité, c'est tout notre système politique et médiatique qui expire sous nos yeux. Et cela explique cette cristallisation à rebours. Métastasé à outrance, il vit ses derniers instants face caméra. Les réseaux sociaux hystérisent le débat et par la même les campagnes électorales, puis les présidences. Nous pensions naïvement que cela était dû à la personnalité même de nos deux derniers présidents. Il n'en est rien. A vrai dire, peu importe l'élu, la nouvelle fabrique de l'opinion, à coup de tweets et d'information continue, viendrait à bout de n'importe quelle réputation. Les politiques n'ont pas saisi le sens de l'Histoire. Ils hystérisent eux-mêmes le Lévianthan, pensant influer ainsi sur le cours de la "timeline", notre nouvel espace-temps, et gagner la bataille de l'attention. Mais la communication des uns et des autres n'y pourra rien. Bien sûr, beaucoup en usent et abusent, à défaut de proposer de solides programmes, pour insinuer qu'ils ont toutes les qualités personnelles requises. Soyons fous, exigeons l'impossible. Car l'heure est la recherche éperdue du candidat neuf, exemplaire, transgressif, voire hors système. Un mouton à cinq pattes caché au sein de cette Vème République. Une chimère onirique tant le parcours des candidats reste des plus convenus. Marine Le Pen et son parti fondé il y a 45 ans, vampirise toutes les matinales radio et les plateaux TV via Florian Philippot. Elle s'y présente sous les atours de la nouveauté, tout en refusant de se rendre aux convocations des juges, ne manquant pas de fustiger les médias qui l'accueillent au passage. Pour l'exemplarité et le hors système, circuler, il n'y a rien à voir. La ficelle est grosse. Le stratagème limpide. Taper sur les journalistes, presque autant détestés par les Français que les politiques, le voici le nouveau crédo. Mais c'est oublier que la plupart des politiques ne représentent plus qu'eux-mêmes.

Avec l’émergence du numérique qui a pour corolaire l'instantanéité, un monde s’effondre sans bruit. Celui de la verticalité et des pouvoirs concentrés. Celui de l’infantilisation et des injonctions aussi. Les politiques ont bien perçus la menace et sentent le pouvoir leur glisser des mains. Mais il est déjà trop tard. Le système de production des discours politiques et médiatiques a changé. Marguerite Duras l'avait déjà pressenti. Les intellectuels, ces espèces en voie de disparition sous nos tropismes tempérés, étaient les véritables oracles d'antan. Aujourd'hui, nous ne sommes plus perçus que comme des êtres de chair et de statistiques. Submergés d'information, sans doute tentons-nous inconsciemment de nous libérer de cette matrice aliénante. Elle est probablement là aussi la révolution.

Anne-Claire Ruel

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