Christiane Taubira : l'atout com' de la gauche de la gauche ?

© AFP Christiane Taubira

Le temps est aux rumeurs et aux bruits de couloirs dans les bureaux feutrés de l'Assemblée. Ira-t-elle ou pas ? Et si, non, qui soutiendra-t-elle ? Christiane Taubira, l'électron libre, s'impose comme une figure politique et médiatique singulière, capable de susciter le plus sincère des engouements comme le rejet le plus violent. Alors que Ségolène Royal et Manuel Valls, ce matin sur France Inter, se positionnent en vue de la présidentielle et sont de fait les impétrants les plus probables, dispose-t-elle d'un jeu rempli d'atouts com' ?

Oui, parce qu'elle a quitté le gouvernement au bon moment

Sa sortie du gouvernement a très certainement été négociée avec François Hollande lui-même car tout a été extrêmement bien verrouillé en termes de communication. Du tweet annonciateur de son départ -"Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir"- jusqu'au discours officiel précisant que sa démission est due à un différend politique majeur sur la question de la déchéance de nationalité, en passant par l'émission diffusée dans la foulée avec Michel Denisot ainsi que la parution de son livre "Murmures à la jeunesse". Qu'elle soit appréciée ou non, elle a réussi là où un Arnaud Montebourg ou un Benoît Hamon ont subi leur éviction du gouvernement. Et si elle était amenée à se présenter ou à soutenir un candidat, elle peut évacuer assez facilement la question de la défense du bilan de François Hollande ou être un soutien de taille pour un candidat qui incarnerait ses valeurs de gauche progressiste et humaniste.

Oui, parce qu'elle est plébiscitée par les militants

Sa cohérence est un de ces atouts majeurs en termes de communication politique et elle s'impose comme la figure du commandeur de la "vraie" gauche, gardienne des valeurs et de son intransigeance à l'heure des plans de bataille souterrains menés pour la déconstruction. Il y a 15 ans, l'adoption en 2001 de la loi portant son nom, reconnaissant la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'Humanité, c'est elle. Il y a 3 ans, le mariage tant débattu, c'est elle. Debout à l'assemblée, des heures durant, avec toute son éloquence et malgré ses quelques soucis de santé, elle a porté "la" loi qui a fait la fierté de tout le peuple de gauche. Son tempérament fougueux lui vaut d'être critiquée, mais les militants aspirent à un changement de paradigme et elle a l'énorme avantage d'avoir déjà fait l'expérience d'une campagne présidentielle avec ses parts de joie, mais aussi ses affres. En sommes, elle offre une sortie par le haut à cette gauche divisée en plusieurs chapelles irréconciliables. Mieux vaut quelqu'un d'un peu orgueilleux, mais qui a un cap, une vision et qui est habitée par des convictions que de céder à la première bourrasque politico-économico-médiatique. Les députés l'ont compris eux qui lui demandent en ce moment avec insistance des rendez-vous guettant fiévreusement une possible candidature ou un possible ralliement. Elle parle tout simplement aux élus là où un Valls a gouverné à force de 49.3.

Oui, parce que c'est une femme de lettres passionnée de littérature

Avec Christiane Taubira, la fonction renoue avec les politiques lettrés, passionnés de littérature, qui redonnent aux discours leurs lettres de noblesse. Elle a même écrit des poèmes mis en musique par des artistes guyanais. En ce sens, elle s'inscrit dans une forme de continuité de De Gaulle, à Pompidou et passant par Malraux et Mitterrand. Ces politiques dont le supplément d'âme se lit au détour de chaque discours, de chaque intervention et aujourd'hui de chaque tweet.

Oui, parce que c'est une icône et un symbole

Elevée par une mère seule entourée d'enfants, le moins que l'on puisse dire c'est que Christiane Taubira est le symbole de la réussite et de la ténacité. Ces origines modestes attestent que l'ascension sociale est possible pour qui veut. A l'image de sa mère décédée à l'âge de 49 ans, c'est une battante qui n'abandonne jamais. "Femme, noire, pauvre, quel fabuleux capital ! Tous les défis à relever !", ironisait-elle dans un essai publié en 2013. Plongée dans un contexte où l'extrême droite est en position de force, elle s'érige alors en symbole, malgré elle. Réducteur ? Oui, très certainement. Pas sûre qu'elle n'accepte de devenir l'héroïne d'une course à l'audimat, cantonnée dans ce rôle extrêmement stigmatisant. Quoi qu'il en soit, elle est charismatique et force l'admiration de par son incontestable talent d'oratrice qui séduit même ses détracteurs.

Oui, parce que c'est une femme libre

Et cette liberté, elle l'incarne... à sa bicyclette. Christiane Taubira est arrivée en vélo prendre ses fonctions au sein du ministère de la justice et elle en est repartie de la même façon, toujours sous le crépitement des flashs des photographes. L'image est télégénique et d'une puissante évocatrice sans égale. Elle s'affiche comme une simple citoyenne, insensible aux dorures ministérielles, en prise avec la réalité. Avec une candidate telle que l'ancienne Garde des Sceaux, le storytelling, soit l'art d'associer l'émotion à la raison pour susciter l'adhésion, est aisé. L'histoire est belle à raconter.

Oui, parce que la gauche doit "sacrifier" un candidat

Alors que les élus cherchent une possible alternative à François Hollande, tout le monde se tourne vers le premier ministre et Ségolène Royal : qui sera le candidat de la gauche capable de transcender le véritable traumatisme des troupes ? Mais qui acceptera de se sacrifier, tant les chances de l'emporter s'amenuisent comme neige au soleil ? La réponse est encore incertaine. Manuel Valls se préparait tranquillement pour 2022. Dans le contexte d'impopularité totale de François Hollande, pas facile de reprendre à son compte le bilan du gouvernement. Il se positionne donc l'homme debout qui a su rester loyal au chef de l'Etat, certes, mais surtout à la France et aux Français. Attendons sa prise de parole samedi prochain à Tours qui sera très écoutée. Une possible non-candidature de François Hollande le place plus en difficulté qu'en position de force, même si cela lui offre la possibilité d'en finir avec le parti socialiste tel qu'il était entendu jusqu'alors. En ce sens, n'étant pas socialiste, Christiane Taubira offre l'avantage certain de ne pas être un obstacle à la mise au pas du parti post-élection et sa ligne politique, très éloignée de la sienne, lui laisse la voie libre. Les deux se respectent mais leurs idées sont irréconciliables.

Non, parce qu'elle est trop clivante

Reste que l'ancienne Garde des Sceaux est très rejetée par la droite qui l'a malmenée tout le long de sa charge avec une violence inouïe. L'hypothèse la plus probable est une opposition Royal-Valls. Christiane Taubira le sait : elle a déjà été rendue responsable de l'accession du père au second tour de l'élection présidentielle en 2002. Tout comme elle mesure le soutien non négligeable qu'apporterait son ralliement à une candidature de "gauche"...

Anne-Claire Ruel

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