Nuit debout ou le symbole de la déconnexion des élites

© Loïc Venance / AFP

Sur la place de la République, ce dimanche 3 avril et depuis plusieurs jours déjà, des citoyens se réunissent à la nuit tombée. Oh, bien sûr, il est avant tout question de militer contre la loi Travail, mais plus que cela, il s'agit d'exprimer une révolte cantonnée jusque-là à l'échelle personnelle. Désormais, c'est collectivement que les activistes ou les simples administrés interpellent les politiques pour en finir une bonne fois pour toutes avec leur système vertical et infantilisant. Celui-là même qui les tient à l'écart depuis tant d'années. Un comble pour un pays qui arbore sa liberté en porte-étendard. Avec pour caisse de résonance et point de ralliement numérique, Periscope, l'application qui vous permet de vivre en direct les événements grâce à un smartphone. Et un jeune homme, Rémy Buisine, prescripteur de l'outil, qui s'est fait fort de retranscrire en direct les événements, sans artefact, ni posture militante. Une petite révolution médiatique au service d'une agora numérique conscientisée.

#NuitDebout ou l'émergence d'une société numérique sur le point de hacker la politique

Derrière le cliquetis régulier des touches de clavier, bruisse une révolution silencieuse. Sans visage ni leader emblématique, elle fait pourtant vaciller le pouvoir en place, incapable de réaliser la puissance de la lame de fond qui est sur le point de l’emporter. A force de pétitions en ligne et autres débats sur des plateformes participatives, les citoyens bâtissent la société de demain, loin des lourds fauteuils en velours pourpre de l’Assemblée. Comment expliquer une telle déconnexion des politiques ? La réponse n’est pas seulement générationnelle, elle est liée à l’essence même de l’exercice du pouvoir. Les politiques, déconnectés, n’ont pas saisi l’émergence de la société numérique. Avec cet avènement d'un nouvel ordre, un monde s’effondre sans bruit. Celui de la verticalité et des pouvoirs concentrés. Celui de l’infantilisation et des injonctions aussi. Certains politiques ont bien perçu la menace et sentent le pouvoir leur glisser des mains. J’en veux pour preuve leurs postures face à ces événements. Jean-Christophe Cambadélis, non reconnu par les manifestants lors de son passage sur la place, dira qu'il s'agit plus de "Hyde Park que la Puerta del Sol dans le moment présent". Jean-Luc Mélenchon souhaite, quant à lui, être récupéré par le mouvement. Certains commentateurs de chaînes d'information en continu argueront qu'il s'agit d'un rassemblement sans envergure bénéficiant simplement de la clémence de l'opinion et des décrypteurs de tout poil. Ils souriront à l'écoute des revendications jugées utopistes : "Salaire à vie", "démocratie par tirage au sort", "baisse des hauts revenus", "embauche de tous les chômeurs", "destruction globale du système capitaliste"... C'est un tort. Il ne faut jamais prendre à la légère un mouvement de foule spontané. La révolution est en marche et elle n'est pas simplement le fait de quelques "gauchistes". Les citoyens ont de plus en plus envie de participer à la vie de la cité. En témoignent les appels pour étendre le mouvement à Nantes ou Amiens les prochains jours, ainsi que la sensibilisation parallèle des mouvements universitaires.

81 000 personnes sur Periscope pour suivre le mouvement, une petite révolution médiatique et communicationnelle

C’est à se demander si ce ne sont pas les politiques eux-mêmes qui vivent dans un monde virtuel : comment ne pas saisir le besoin des citoyens de participer aux affaires de la cité ? Comment rester sourds et aveugles face à l’émergence de nouveaux lanceurs d’alerte et autres collectifs connectés ? Sans doute attendent-ils qu’une nouvelle génération s’empare du sujet. A moins qu’ils ne fassent tout pour conserver l’ordre ancien et ne pas voir leur pouvoir s’éroder. Ce que les politiques oublient, c’est que leur temps est compté. Pour l’opinion publique, ils n’existent déjà plus. Car la langue des politiques s'est tue. Vidée de son sens, elle ne dit plus rien. Aux éléments de langage aseptisés de l’administration ou des professionnels de la politique répondent la créativité des projets citoyens. Comme l’écrit Laure Belot dans son ouvrage La déconnexion des élites, ces citoyens réinventent la société à leur échelle face à des élites débordées. Gouvernants, syndicats et intellectuels, voire les médias eux-mêmes, sont dépassés. #NuitDebout en est la preuve patente. Les politiques n'ont toujours pas compris que ce qu'il fallait dénombrer, ce n'était pas le nombre de militants présents chaque soir place de la République, mais bien la somme agrégée des internautes qui suivent quotidiennement les lives de Rémy Buisine sur Periscope. Déjà l’agora numérique fourmille d’idées. Elle le questionne et l'interpelle. Le reporter 2.0 répond à leurs interrogations en apportant des réponses sur le terrain. Il applique par là même la logique conversationnelle des réseaux sociaux qui échappe tant aux politiques et aux médias. Mobilisation sur Facebook et coordination de manifestations physiques, cocréation de propositions… l’intelligence collective est en marche. L’heure de la participation a sonné. Et je vous en fais le pari, la révolution ne sera pas télévisée.

Anne-Claire Ruel

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