Dernier JT de Claire Chazal : l'élégante leçon de com' de la Reine du 20h

Claire Chazal sur le plateau du JT de TF1, en mars 2010. (MIGUEL MEDINA / AFP)

Intelligence, élégance et professionnalisme. A l'image de sa carrière, les adieux de Claire Chazal, aux commandes du JT le week-end durant 24 ans, n'ont pas manqué de panache. Sobres et émouvants. Pourtant, l'exercice était bien plus difficile qu'il n'y paraissait. J'entends d'ici les critiques s'élever : évidemment, Claire Chazal n'est, et ne sera pas, la seule à se faire remercier par une direction peu amène; évidemment toutes les personnes licenciées, ou poussées vers la sortie, ne touchent pas le salaire d'une présentatrice de JT de TF1. Il n'empêche, faire ses adieux devant 12 millions de personnes -fans attentifs, nostalgiques d'une époque révolue, ou simples voyeurs guettant les larmes ou l'éventuel faux pas de la Reine- ne s'improvise pas lorsque la charge émotionnelle est à son apogée. Entre les lignes, au détour de chaque virgule, Claire Chazal nous dit tout de son éviction, tout en nous livrant une magistrale leçon de communication. En voici les principaux points cardinaux.

Tendre la main au public tout livrant ses émotions

"Il me reste à vous remercier infiniment d'avoir été fidèle pendant 24 ans à ces journaux du week-end. J'ai été très heureuse et fière de les préparer et les présenter. Nous avions tissé ensemble, je crois, un lien très fort et extrêmement précieux pour moi."

Claire Chazal s'adresse en tout premier lieu aux téléspectateurs pour les remercier en évoquant la nature du lien qui les unit depuis des années ("fidèle", "24 ans", "nous", "ensemble"), tout en précisant qu'elle préparait ses journaux avant de les présenter : son travail est bien celui d'une journaliste, pas d'une simple présentatrice. L'emploi du passé ("nous avions") ajoute de l'émotion au propos : Claire Chazal entérine la décision et parle déjà au passé de ce qui n'est plus désormais. En se livrant ainsi, elle renforce ses liens avec le public, tout en confortant son image publique de femme libre et sensible : une attitude singulière plongée au beau milieu d'un bassin de requins cathodiques. Et puis qui peut se vanter d'être citée dans une chanson archi populaire du Phenomenal Club.

Evoquer à demi-mot la brutalité d'une éviction qui ne dit pas son nom

"Je ressens aujourd'hui une immense tristesse de devoir ne plus assumer la mission que m'avait confiée Francis Bouygues".

"L'immense tristesse" de Claire Chazal confirme avec pudeur, mais sans détour, l'éviction subie : la journaliste n'a pas choisi de partir, on l'y a bien forcé et elle tient à le rappeler ("de devoir"). Quant à la référence à "Francis Bouygues", elle est tout à la fois le rappel de l'identité et de l'histoire de la chaîne fondée par le bétonneur, dont Claire Chazal était un emblème, tout en signalant au fils qu'elle ne lui reconnaît aucune légitimité. Derrière ses mots, c'est aussi une critique de ce qu'est devenue TF1 au fil du temps. Il faut dire que depuis l'annonce du départ de Claire Chazal, la Direction de TF1 a multiplié les erreurs de communication, révélant la brutalité de dirigeants inélégants. Pour mémoire, voici la chronologie des faits :

Acte 1- Alors que Claire Chazal a étrenné le nouveau décor du JT portant à croire qu'elle était confirmée à son poste, le PDG de TF1, Nonce Paolini, la convoque par SMS le 30 août. Il se dit inquiet de la baisse des audiences en recul depuis un an, selon une source interne à TF1. 

Acte 2- Claire Chazal a ensuite été reçue le jeudi 3 septembre : son éviction du 20 heures lui aurait alors été signalée. 

Acte 3- Le lundi 7 septembre, la chaîne a annoncé son départ sur son site internet sous forme de brève, avant de préciser plus tard dans le courant de la semaine que ce dimanche 13 septembre serait en fait... son dernier JT.  

Acte 4- Le dirigeant de TF1 ne prend la parole en personne que le 9 septembre pour saluer le travail de la journaliste. Bien trop tard d'un point de vue médiatique. Le mal est fait et tout est dit.  

"Claire Chazal a incarné l'information des week-ends de TF1 pendant près de 25 ans avec talent. Je rends hommage à la remarquable relation qu'elle a su créer avec les téléspectateurs, et à ses qualités journalistiques qui ont permis à l'information de TF1 d'être référente dans le paysage audiovisuel français", écrit Nonce Paolini, comme le rappelle Francetv Info 

Acte 5- Au cours de la conférence de presse du vendredi 11 septembre le patron de TF1 s'est montré beaucoup plus offensif, contredisant totalement le communiqué qui se voulait empathique quelques jours plutôt. Selon Nonce Paolini, le départ de la journaliste aurait été évoqué. Pas vraiment convaincant lorsque l'on voit les communiqués et autres annonces s'enchaîner.

« Claire est une professionnelle qui pendant vingt-quatre ans a eu beaucoup de succès. A un moment donné, il faut savoir passer la main. Moi-même je passerai la main. » 

Les amis du tact et de la délicatesse apprécieront.

Remercier chaleureusement ses collaborateurs

"Je remercie la rédaction de TF1 pour son professionnalisme et son humanité. J'y ai puisé un appui sans faille, sans lequel je n'aurais, bien sûr rien pu faire. Avec tous ces journalistes de grands talents, j'ai toujours tenté et je me suis efforcée de vous informer, le plus complètement possible, tout en ouvrant le journal sur des mondes de respirations, de culture et quelques unes de mes passions personnelles. Je remercie mon équipe la plus proche qui m'a portée jusqu'à ce dernier dimanche et avec qui j'ai partagé aussi les doutes et les épreuves, aussi bien que les satisfactions et les récompenses."

Claire Chazal part du collectif (la rédaction de TF1) pour remercier ensuite sa garde rapprochée (l'équipe resserrée) avant de dresser un pont vers son travail et ce qui a fait l'originalité de ses interventions : placer sous le feu des projecteurs la culture et l'art lorsque cela était possible. Elle décrit son parcours à la manière d'un conte russe jalonné de péripéties. Le mot "humanité" s'oppose en creux à l'inhumanité ressentie des dirigeants dans notre inconscient collectif.

Passer le relai avec élégance à sa remplaçante

"Je suis souhaite à Anne-Claire Coudray qui sera là vendredi prochain tous les bonheurs que j'ai eus à travailler pour vous".

A travers ces dernières lignes, Claire Chazal démontre qu'elle accepte son départ et qu'elle n'en tient pas rigueur à sa remplaçante, tout en rappelant une fois encore que ses seuls et uniques employeurs, les seuls envers qui elle s'est sentie obligée au fil des années, sont les téléspectateurs. Dernier petit tacle, subtil et habile.

 

Sur le divan de Marc-Olivier Fogiel, son ami, presque sa famille, Claire Chazal expliquait qu'elle appréhendait ce moment. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle l'a réussi brillamment. Sacha Guitry écrivait, facétieux : “J'ai observé que, d'ordinaire, on se dit “au revoir” quand on espère bien qu'on ne se reverra jamais - tandis qu'en général on se revoit volontiers quand on s'est dit “adieu”. Alors adieu Claire Chazal.

Anne-Claire Ruel

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