Crash en Argentine : Dropped et la communication de crise

Les restes d'un des deux hélicoptères qui s'est écrasé près de Villa Castelli (Argentine), lundi 9 mars 2015. (ALDO PORTUGAL / AFP)

Stupeur en Argentine. Dix personnes ont trouvé la mort dans la collision de deux hélicoptères sur le tournage de l'émission "Dropped". Parmi eux trois champions, et non des moindres : Alexis Vastine, le boxeur, Florence Arthaud, la navigatrice et Camille Muffat, la nageuse. Branle-bas de combat au sein de la production qui avait déjà essuyé la mort d'un candidat sur le programme Koh Lanta, suivi du suicide du médecin de l'émission. Communiqués en chaîne, réactions de la société Adventure Line Productions (ALP), intervention de TF1 et même de son propriétaire Martin Bouygues... En raison de la notoriété des champions, de la nature du programme et du précédent survenu lors de l'émission de télé-réalité Koh Lanta, le risque d'opinion est maximal. L'émotion aussi. Comment gérer la crise médiatique sans avoir tous les tenants et aboutissants des circonstances du drame ? Le point sur la communication de crise entourant le crash.

Le crash : une tragédie en 5 actes

Dans le cas précis d'un crash, aucun signe avant coureur. Pas de possibilité de s'y préparer en amont. Pour imaginer l'effet déstabilisateur d'une crise surgie "ex nihilo", il faut vous l'imaginer une guérilla implacable : surgissant là où on ne l'attend pas, elle occupe très vite le terrain et met à mal le sang froid des caractères les plus trempés, entraînant des difficultés en chaîne. Dans la plupart des cas, elle se joue en 5 cinq actes et la tragédie actuelle tend à le confirmer.

1Acte I : l'irruption

Acte I, l'événement émerge subrepticement. Les médias présentent alors le drame de manière purement factuelle, se bornant parfois à reprendre les dépêches de l'AFP, qui donne encore aujourd'hui le "la" médiatique. Diffusée dans la nuit de lundi à mardi, des alertes "push" ont été émises par les médias, confirmant le décès des trois champions, sans autre précision sur la circonstance du drame. Au petit matin, c'est le temps des réactions. Elles doivent impérativement faire preuve d'empathie. L'heure est aux condoléances. Celles de TF1 via un communiqué : "Nous apprenons avec une immense tristesse l’accident survenu sur le tournage de l'émission Dropped. Nonce PAOLINI et toutes les équipes de TF1 s’associent en ces terribles moments à la douleur des familles et des proches des victimes." Celles de la société de production Adventure Line Productions (ALP) et celles même du groupe Bouygues : "Martin Bouygues et le groupe Bouygues, très attristés par l’effroyable accident survenu en Argentine la nuit dernière, s’associent aux équipes de TF1 pour adresser leurs condoléances aux familles et proches des dix victimes". A cela s'ajoute les réactions de François Hollande et dans sa foulée, la classe politique et les sportifs de haut niveau -Sylvain Wiltord, Teddy Riner, Nicolas Batum- en raison de la célébrité des personnalités décédées et de leur parcours.  

2Acte II : l'explosion

Lors de l'Acte II, l'information explose littéralement, relayée en continu sur les chaînes d'information et les sites d'infos continues. Ces derniers privilégient alors le format "chronologique". Au fur et à mesure que les informations parviennent aux rédactions, elles sont mises en ligne, donnant l'impression à l'internaute d'être plongé au coeur de la tragédie, minute par minute. Des premières hypothèses sont esquissées, les premières images du crash tournées par des amateurs sont retrouvées et mises en ligne. C'est la période de tous les dangers d'un point de vue médiatique car le temps de l'enquête pour "homicide involontaire" est nécessairement plus long que le temps de la médiatisation et surtout de l'émotion. Des théories sur les circonstances du crash apparaissent sans que rien ne soit pour l'instant prouvé. C'est le temps des rumeurs et de la désinformation.

3Acte III : l'analyse

Au cœur du troisième Acte : l'événement est commenté, disséqué, analysé sous une myriade d'angles différents. Les questions de responsabilité sont alors posées. Nous voyons actuellement surgir des articles sur la société de production ALP faisant écho à la mort du candidat survenue précédemment dans l'émission Koh Lanta. Des experts sont aussi mobilisés pour expliquer les circonstances techniques du crash. A l'intrigue principale s'ajoute des intrigues secondaires. Dans notre cas, des portraits des sportifs sont mis en ligne, retraçant leurs parcours respectifs, petites ou grandes victoires, ou bien des informations concernant leur vie personnelle telle que la disparition, quelques semaines plus tôt, de la soeur d'Alexis Vastine dans un accident. Les médias s'intéressent aussi aux "miraculés" tentant d'expliquer comment Philippe Candeloro, Alain Bernard et Sylvain Wiltord ont échappé au crash. Ou bien encore pourquoi la parution des mémoires de Florence Arthaud sera avancée. 

4Acte IV : la sortie

Vient ensuite l'Acte IV, celui de la sortie de crise progressive. Vous vous en doutez, nous n'en sommes encore pas là et cela prendra encore quelques semaines avant que l'attention médiatique faiblisse peu à peu. Le sujet sera alors relégué en fin de journaux télévisés; les papiers dédiés verront leur nombre de signes diminuer.

5Acte V : l'épilogue

Enfin, le cinquième Acte sert d'épilogue. En fonction de sa nature et de son impact sur l'opinion, "l'événement" pourra parfois être "commémoré" par les médias ou rappelé à l'occasion d'affaires similaires. Quoi qu'il en soit ne disparaîtra jamais vraiment, comme en témoigne le rappel de "l'affaire Kho Lanta" en ce moment.

 

Peut-être entendrons-nous que le drame survenu est, d'abord et avant tout, un accident d'hélicoptère et qu'aussi dramatique qu'il soit, il n'est dû en rien au programme télévisé. Mais, croyez-moi, nous ne couperons pas au débat sur la télé-réalité et ses dérives. TF1 a relancé sa cellule de crise : il y a très peu de chance que ce programme, jamais diffusé, réapparaisse un jour sur nos petits écrans. Si Koh Lanta avait été maintenu à l'antenne, c'est que le programme était connu et apprécié du public. Il jouissait d'une forte notoriété. En d'autres termes "la marque" était installée et le jeune candidat décédé n'avait pas la célébrité des trois champions aujourd'hui disparus*. Ils sont un symbole. Celui de la France. Et leur mort n'est pas près d'être oubliée tout de suite.

Anne-Claire Ruel

* Cet article a été publié mardi 10 mars à 18h30. Le patron de la société de production s'est rendu sur le JT de 20h de TF1, confirmant ce que j'ai écrit plus tôt : l'émission "Dropped" n'aura pas de suite et ne verra jamais le jour et il s'agit d'un "accident". S'en est suivie une polémique sur l'interview du présentateur, Louis Bodin, devant les carcasses des hélicoptères écrasés, obligeant la directrice de l'information de TF1 à s'expliquer sur ce qui avait tout d'une mise en scène obscène. Pas le meilleur angle pour faire preuve d'empathie.

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