15 août : François, le pape Dieu.0

Une religieuse prend en photo un graffiti représentant le pape François en superhéros sur un mur de Rome (Italie), le 29 janvier 2014. (ALESSANDRO BIANCHI / REUTERS)

Vendredi 15 août, Corée du Sud. Le Pape François, entouré de chrétiens dans l'enceinte du stade de Daejeon célèbre la messe de l'Assomption. Depuis Jean-Paul II et sa visite en Inde en 1999, aucun Pape n'avait foulé le sol asiatique. Un déplacement historique qui pourrait cependant passer au second plan tant la situation internationale est devenue inextricable : Syrie, Gaza, Irak, Ukraine... les zones de conflit s'intensifient. La violence aussi. Pourtant, de symboles manifestes en déclarations inédites, de tweets oeucuméniques en visites cathodiques, il a su projeter l'Eglise dans l'ère de la modernité. Certes, le cabinet McKinsey & Company accompagne le Vatican dans la refonte de son image, mais l'engouement suscité, le pape le doit surtout à son charisme naturel. Le point sur les trois règles de communication, distinctes et complémentaires, qu'il s'est fixées.

Règle n°1 : tu considéreras Internet comme un "don de Dieu" et tu basculeras l'Eglise dans l'ère du 2.0

Le moins qu'on puisse dire, c'est que depuis son arrivée au Vatican, l'image de l'Eglise a quelque peu été bousculée. Derrière les murs épais et silencieux du Saint-Siège, Place Saint-Pierre, les mouvements d'humeur sont légion. Peu importe, le pape poursuit sa lancée au pas de course. Elu personnalité de l'année 2013 par le Time, le souverain pontife aime le foot et porte les petits bracelets en élastique à la mode. Il bouscule le protocole en revêtant une soutane immaculée tout en exhortant les mafieux à changer de vie. Non sans humour, il se dit également prêt à baptiser les martiens. Depuis plus d'un an, il impose sa vision et son style. A commencer par son appétence naturelle pour les réseaux sociaux, lui qui pourtant ne tweete pas.

"L'internet est un don de Dieu", affirme-t-il sans détour en janvier 2014. François se veut l'apôtre d'une Eglise connectée. Le pape a appelé les catholiques à être des "citoyens du numérique", véritables missionnaires 2.0 de la foi. A la tête d'1,2 milliard de fidèles et de plus de 10 millions d'abonnés sur Twitter, il dispose de 9 comptes dans 9 langues différentes, d'une page Facebook, d'une chaîne YouTube, d'un site d’information News.va et même un compte Instagram. Depuis son élection en mars 2013, il arrive d'ailleurs en tête du nombre de requêtes sur le moteur de recherche avec une moyenne de 1,7 million de recherches mensuelles et plus de 49 millions de mentions sur internet. Mais ce n'est pas tout, le 29 janvier dernier, le compte Twitter de la communication du Vatican n'a pas hésité à partager à ses followers une oeuvre de street art de l'artiste italien Maupal, présentant le pape sous les traits d'un super héros. 

Il faut dire qu'avec l'arrivée de François à la tête de l'Eglise, les représentations du pape ne sont plus si hostiles sur les murs des capitales, à l'image de l'oeuvre résolument positive de Christian Guemy, alias C215, qu'on peut découvrir dans le métro romain.

« Avec son style de vie très simple, le Pape n’est pas un grand utilisateur de nouvelles technologies et pourtant sa prédication est particulièrement adaptée pour être relancée par tweets » explique le Père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican. S'il ne tweete pas lui même, le pape en a compris l'intérêt majeur : dépoussiérer l'image de l'Eglise et s'adresser directement, sans intermédiaire à l'opinion publique internationale.

Règle n°2 : tu désacraliseras la fonction de pape et tu feras de la proximité le maître mot de ton pontificat

"Frères et soeurs, bonsoir !" dès sa prise de fonction sur le balcon de la place Saint-Pierre en ce 13 mars 2013, un souffle d'air frais a traversé le monde en un clin d'oeil. Exit le protocole d'un autre temps. La proximité sera désormais son leitmotiv. Lui, le premier pape de l'hémisphère sud, non européen, il entend faire de la simplicité et de la chaleur humaine les maîtres mots de ses interventions. Que ce soit IRL, avec ses fidèles lors de grand-messes réunissant une foule survoltée, digne des concerts les plus bondés, ou via les réseaux sociaux, dont il a compris l'utilité, le pape façonne l'Eglise à son image. S'il n'en change pas fondamentalement les dogmes, il bouscule ses habitudes millénaires. En quelques mois, il s'est érigé au rang d'homme politique incontournable. A la fois, autoritaire -on le dit facilement colérique- et facétieux - il n'hésite pas à se prêter à des selfies ou passer des coups de fils à de parfaits inconnus-. D'emblée, il suscite la sympathie des foules. Refus d’emménager dans les appartements du palais pontifical ou d’utiliser la limousine qui lui est réservée, arrivée seul avec ses bagages à la main pour prendre son avion ou bien encore transport sans escorte... Dès les premiers mois de son pontificat, les symboles -petits et grands- ont envoyé un signal à l'opinion mondiale. Malmenée par la crise, elle est séduite par ce pape "normal". "Certains pensent qu'il désacralise la fonction de pape, que le pape devient trop accessible, trop proche", rapporte Andrea Tornielli, coordinateur du site "Vatican Insider". Peut-être, mais en attendant, le pape, et par ricochet l'Eglise, n'ont jamais été aussi populaires.

Règle n°3 : tu trusteras l'agenda médiatique mondial en faisant l'événement et tu "co-créeras" ton pontificat

« Le Pape François, en fait, plutôt que de “communiquer”, crée des “événements de communication”, dans lesquels ceux qui reçoivent son message sont activement impliqués » explique le Père Antonio Spadaro, rédacteur en chef de Civilisation catholique. Elle est là la stratégie de ce nouveau pape : "co-construire" son pontificat en se pensant comme un média et en allant au plus près du public pour chercher son engagement. Finis les discours moralisateurs descendants, place à la miséricorde et à l'ouverture. L'Eglise est dans la société et la société est dans l'Eglise. D'ailleurs, il appelle directement les journalistes pour leur proposer des interviews. Une première au Vatican. L'objectif est limpide : montrer que l'Eglise est ouverte au dialogue, transparente et bien ancrée dans le quotidien. Le pape fustige ainsi régulièrement ceux qu'il appelle les "évêques de salons" et autres hommes de Dieu carriéristes. La tension qui se joue, à l'heure de l'Internet mondial, est celle qui oppose la sacralité, inhérente à la fonction papale, à la volonté de se faire comprendre par le plus grand nombre. Soit la distinction entre la communication auprès de son public "acquis" de fervents catholiques et l'opinion publique internationale "à convaincre". Greg Burke, ancien journaliste, aujourd'hui conseiller en communication recruté par le Vatican, l'explique : « Le Saint-Siège s’adresse à deux publics : un public planétaire en tant qu’Etat dont les positions sont attendues et écoutées ; et un autre composé de plus d’un milliard de catholiques. Je m’occupe de communication globale dans le premier cas et de communication interne dans le second ». Cette dialectique semble avoir été vite résolue par le pape : nourrir un dialogue permanent avec l'opinion publique mondiale pour faire passer ses messages, quitte à bousculer les plus conservateurs. Priorité au message planétaire. Avec un bémol : "si le Vatican maîtrise mieux sa communication, c’est pour aussi mieux cacher ce qu’il ne veut pas montrer. Attention à ne pas tomber dans le piège de l’instrumentalisation", rappelle à juste titre Andrea Tornelli.

Alors, le pape, un révolutionnaire en soutane ?

 Anne-Claire Ruel

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