Syrie(s) - D'autres combats

Photo Ahmed Deeb

Reportage photo à Alep de Rami Jarrah, rédacteur en chef de la radio et agence de presse ANA, créée au début de 2012 et visant à renforcer une plate-forme libre des acteurs des médias syriens d'aujourd'hui. Son contenu dépend  fortement des journalistes citoyens du terrain qui ont prouvé leur capacité à devenir une source principale pour les agences de presse.

La région d’Alep, dans le Nord de la Syrie est actuellement divisée entre certaines zones sous le contrôle  de l’opposition (Armée libre et Front Al Nosra), des zones contrôlées par les groupes kurdes au nord et d’autres zones contrôlées par le régime.  

Cette région subit quotidiennement les bombardements du régime visant principalement les populations civiles, et les combats entre l’opposition et le régime. La situation humanitaire s’y détériore, et l’accès aux besoins de base (eau, nourriture, santé, éducation, électricité) est extrêmement difficile. Plus de 70 000 personnes déplacées vivent dans la region d’Alep, notamment dans des camps. Le gouvernorat d’Alep est situé à l’Ouest du gouvernorat de Raqqa, contrôlé par l’organisation de l’Etat Islamique.

1. Un fusil, pourquoi?

Garçon syrie

" - Et ce fusil, qu'est-ce que tu comptes en faire? - Anéantir Daech et Assad"

 

Cela n'a rien de surprenant. Les enfants, en Syrie, prennent souvent pour modèles ceux qui prennent part au combat. Un aveu, en quelque sorte: les armes sont plus fortes que les mots. Je me plais à penser que ces enfants ne sont pas différents de ceux qui veulent devenir pompiers ou policiers. C'est la même histoire, version "conflit". Mais sur le long terme, je pense que cela aura un impact terrible sur l'avenir de ces enfants, sur la manière dont ils grandiront.

J'ai posé de nombreuses questions à ce jeune garçon, avant d'en arriver à l'histoire du fusil, mais c'est lui qui a insisté pour me montrer cet aspect des choses. Son père, ses oncles, ainsi que ses deux grands frères mènent le combat, aux abords de Kobané, contre l'EI. Au moment où cette photo était prise, il ne les avait pas vus depuis quatre mois.

 

2. "Attends voir, Daech"

Le petit clan

Et voilà le reste du petit clan. Tous parés au combat. Tous hurlant: "attends voir, Daech!"

Il y a quelques mois, je discutais avec des amis qui voulaient créer un projet en faveur des enfants syriens qui avaient été témoins de la guerre. Nous pensions à la création d'un personnage de dessin animé, une histoire, une série où l'on pourrait refléter les événements dont ils ont été témoins. Un "Bob l'Eponge" syrien, somme toute. Un moyen de réduire les effets du traumatisme dont ils ont été victimes. Mais nous n'avons pas voulu mener le projet jusqu'au bout. Une telle responsabilité... Risquer peut-être d'aggraver le traumatisme, causer plus de tort à ces enfants. Cependant, lorsque j'y repense, je revois ces enfants jouant à la guerre et je me dis: ce désastre va crescendo.

Et les enfants sont au coeur de la catastrophe.

Mais ces petits garçons n'étaient pas les seuls, ici. Quelques secondes avant la prise de cette photo, ils venaient de pousser la seule petite fille du groupe hors du cadre. Elle alla se réfugier contre le mur...

3. Quand les garçons jouent à la guerre...

quand les garçons jouent à la guerre

Tandis que les autres enfants agitaient bâtons et drapeaux pour être photographiés, hurlant: "on va tuer Daech!", la seule petite fille du groupe tentait de se joindre à eux, mais se faisait constamment repousser. Elle courut jusqu'au mur et se mit à pleurer en silence. Je me rapprochai, m'appuyai contre le même mur et lui murmurai: "Tout ce que je veux, c'est te photographier, toi". Elle se retourna lentement, regarda les autres enfants, puis me lança un regard timide et commença à essuyer ses larmes.

4Un autre combat, ou La fierté d'une mère

 

"Je n'ai pas honte de voir où j'en suis aujourd'hui. En fait, je suis fière d'avoir réussi à bien élever mes deux fils, avec l'aide de mon mari. Ils sont tous deux près de moi dans ces moments de chaos. Je prie seulement pour qu'ils revoient leur père un jour. Dès qu'il aura fini de défendre notre terre".

"Je n'ai pas honte de voir où j'en suis aujourd'hui. En fait, je suis fière d'avoir réussi à bien élever mes deux fils, avec l'aide de mon mari. Ils sont tous deux près de moi dans ces moments de chaos. Je prie seulement pour qu'ils revoient leur père un jour. Dès qu'il aura fini de défendre notre terre".

C'est finalement une bonne leçon que cette femme m'a donnée, lorsque je lui ai demandé ce qu'elle ressentait en voyant les conditions dans lesquelles vivent ces enfants, par rapport au passé. Les deux me fixaient, debout, à quelques mètres derrière elle. Elle montrait une telle force dans sa réponse. Elle me parlait la tête haute. Les yeux emplis d'un grand sourire: celui d'une mère de deux fils. Une mère très fière.

 

5. Deux jeunes âmes

Deux jeunes âmes

Les voici, ses deux garçons. Ils ont baissé la garde, après avoir observé avec suspicion l'homme qui photographiait leur mère. Le plus jeune était curieux, voulait se rapprocher, mais son grand frère le retenait par l'épaule. De loin, la mère hocha la tête, alors ils acceptèrent d'être photographiés à leur tour. Je leur demandai ce qu'ils ressentaient vis-à-vis de l'absence de leur père. L'aîné répondit: "Je serais en train de me battre à ses côtés, si je n'avais pas la responsabilité de ma mère et de mon frère". Une maturité à faire peur... Une responsabilité bien lourde pour de si frêles épaules... Pour une âme si jeune...

On se demande souvent comment des êtres humains peuvent tenir le coup, dans de telles tragédies. Et puis, on voit ce petit détail. Et tout s'explique.

 

6. Un luxe qu'on ne peut plus s'offrir

 

Bain romain

Si je pouvais déplacer la voiture, je le ferais. Juste derrière, c'est l'entrée du bain de Jowahiri, un bain de type romain que l'on retrouve dans de nombreuses villes syriennes. Celui-ci a fermé ses portes en 2013. Le propriétaire m'a expliqué que personne n'avait plus la tranquillité d'esprit pour venir s'y poser quelques minutes. C'est un luxe qu'on ne peut plus s'offrir. Il a donc décidé de fermer les lieux. Il m'a dit qu'il adorait son métier, et qu'il avait penser se rendre en un lieu plus sûr, mais qu'il se sentait incapable de quitter les lieux. Ailleurs, ce serait l'échec assuré.