La Brigade des fugitifs, des fins limiers qui "chassent les fantômes"

"La belle" vue par ceux qui, patiemment, attendent l'erreur qui fera tomber le fugitif.

Les cavaleurs ont toujours nourri l’imaginaire populaire. "L’évadé fascine car il incarne à la fois le Mal, pour les crimes et les délits qu’il a commis, et une certaine forme d’admiration, car son échappée symbolise la victoire de la personne sur l’institution, en particulier policière et judiciaire", explique l’universitaire Catherine Dessinges. Le public ressent une excitation certaine lorsque l’évadé nargue et brave les autorités. Hollywood et la série noire sont pleins de ces histoires. Mais de l'autre côté, la chasse aux fugitifs est une mine pour l'inspiration des scénaristes.

Pour les traquer : la Brigade des fugitifs

Les mieux placés pour parler de cette traque et de ses difficultés sont des policiers très spéciaux. Ils sont une vingtaine, pas plus, regroupés au sein de la Brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF), et leur seul objectif est de rattraper les plus dangereux d’entre eux, les plus médiatiques aussi. Des chasseurs sélectionnés avec soin. "Un enquêteur chez nous doit être capable d’une patience exceptionnelle, car il ne doit jamais lâcher sa proie alors que la traque peut durer des années, explique leur chef, Olivier Dupas. Pour ça, j’ai besoin de coureurs de fond, pas de sprinters !"

"Je chasse des fantômes, des gens dont le seul but dans la vie est d’être transparents. Nous nous collons à eux comme leur ombre et on ne les lâche plus, précise Bruno Le Boursicaud, "l’ancien" du service. Un cas type, pour nous, est un homme qui vient de se mettre en cavale, ou dont la trace est perdue depuis trop longtemps et sur lequel aucun service de police ou de gendarmerie n’a jamais réussi à mettre la main."

"Lorsque nous choisissons un dossier, le type est mal barré"

Environ 500 criminels condamnés à plus de quinze ans de prison sont aujourd'hui dans la nature. Selon les policiers, nous serions plutôt chanceux de ne pas en avoir plus. D’autres pays, comme les Etats-Unis, sont moins bien lotis que nous. "D'ailleurs, m'explique le policier, avant c'était bien pire encore !" Mais tout de même : est-il aussi simple que cela d’échapper à la justice ? Olivier Dupas, le patron du service, explique que ces fuyards sont, au choix, "des malfaiteurs qui n’ont jamais été pris, qui ne se sont pas présentés à leur procès, se sont fait la belle ou ont profité d’une permission pour disparaître". De dangereux repris de justice qui, dans leur grande majorité, sont des caïds du grand banditisme. "A ces derniers, il faut ajouter quelque 100 000 autres, ajoute-t-il, au palmarès beaucoup moins sanglant, condamnés à de moins lourdes peines, qui, chaque année, parviennent eux aussi à échapper à la sanction judiciaire. Cela va du petit escroc au délinquant routier." Mais ceux-ci ne concernent pas les fins limiers de la Brigade des fugitifs, qui se concentrent uniquement sur les cavaleurs de haut vol.

On pourrait imaginer que ces gros poissons parviennent à échapper à la prison grâce à leur ingéniosité. En fait, la vérité n’est pas aussi romantique… Les candidats à la cavale profitent plutôt des failles du système. Imaginez par exemple un braquage commis par cinq malfaiteurs : les policiers vont en arrêter quatre et, pour le dernier qui a réussi à s’échapper, eh bien… il passe la plupart du temps dans la catégorie pertes et profits ! S’il est un peu malin, s’il évite les contrôles routiers, les aéroports et les mauvais camarades tentés de le balancer, il peut courir longtemps avant de risquer de se faire rattraper.

A moins que les traqueurs de la BNRF ne décident de se mettre sur sa trace. "Sans prétention, lorsque nous choisissons un dossier, le type est mal barré", s’amuse Bruno Le Boursicaud. Non pas que nous soyons les meilleurs, mais parce que nous nous focalisons sur notre homme et que nous ne le lâcherons pas. Nous vérifions tout ce qui le concerne et concerne son entourage. N’importe quel petit changement dans la routine de ses proches sera étudié avec minutie. Je me souviens par exemple de la femme d’un fugitif. Elle avait une vie tranquille, consacrée à ses enfants, mais un jour, alors que nous n’avions rien depuis des mois, on apprend qu’elle a pris rendez-vous chez l’esthéticienne pour une épilation maillot, et là on se dit, 'toi ma cocotte, tu as un rendez-vous galant !' Bingo ! C’est ainsi que l’on a retrouvé notre cible !" A quoi tient la vie d’un homme…

Le service a été créé en 2003, dans l’ambiance traumatique de l’impossible traque : celle d’Yvan Colonna. Si le meurtrier du préfet Erignac a finalement été arrêté, c’est au terme d’une interminable chasse à l’homme dont les bandits corses ont le secret. C’est là-bas un sport national, une tradition que connaît bien mon interlocuteur. C'est justement pour cela qu’il a été recruté : "J’ai été engagé dans le service justement pour ma petite touche exotique corse, car c’est en travaillant sur ces bandits-là que l’on comprend à quel point la traque des fugitifs est prenante. C’est une attention de tous les instants face à des gens qui n’ont qu’une chose en tête : vous échapper. Même l’entourage est rodé. Je me souviens d’une grand-mère corse parlant au téléphone à un de ses fils : 'Je t’appelle pour te parler de celui dont on ne doit pas parler'. Eloquent, non?"

Des traques qui durent des années

Pour cette chasse au gros gibier, les policiers utilisent évidemment tous les moyens techniques à leur disposition. On se souvient des photos de Jean-Pierre Treiber arpentant les rues d’une ville de Seine-et-Marne. Les policiers avaient installé des caméras à déclenchement automatique à des points stratégiques pour vérifier qu’il était bien dans le secteur. "Les progrès sont énormes au bénéfice de ceux que l’on pourchasse, mais également au nôtre. Il y a une dizaine d’années, nous étions obligés de supplier le conducteur du TGV pour lui demander de remettre une photo à nos collègues de Marseille… Aujourd’hui, il suffit d’un coup de smartphone et la planète entière sait que l’on recherche un type !"

Les écoutes téléphoniques également sont systématiquement utilisées, mais il semble que les gangsters regardent eux aussi les séries policières. "L’angoisse, c’est lorsqu’un gros poisson réfugié en Espagne détecte notre dispositif de surveillance. Nous devons alors repartir de zéro. Avant c’était simple, il suffisait de mettre sur écoute le téléphone de la maman ou de la fiancée et on attendait. Aujourd’hui, c’est impossible, nos clients changent de téléphone portable sans problème, et leurs mères communiquent avec eux sur Skype sans que l’on ait la moindre prise sur cette explosion technologique. Elle nous sert, mais aussi nous joue des tours, comme il y a quelques mois. On était sur une piste: un de nos fuyards devait descendre d’un train et on l’attendait. Nous étions discrètement répartis sur le quai, mais il n’est pas venu! Enfin… C’est ce que l’on a cru au départ: les caméras de surveillance nous ont détrompés car elles ont filmé notre suspect sur le quai. A quelques mètres de nous, mais nous n’avons rien vu ! Une frustration terrible car on est repartis pour un tour, peut-être pour des années… Mais c’est ainsi ! La patience est notre lot."

"Nous devons nous fondre dans tous les environnements. Récemment par exemple, pour coincer des gros bonnets italiens, nous avons dû nous infiltrer dans un palace et jouer les clients." A propos d’Italiens, une traque que notre enquêteur a eu apparemment du mal à digérer, au début en tout cas, c'est celle de Cesare Battisti, l'ex-activiste italien d'extrême gauche condamné à perpétuité en Italie… "Nous avions branché tout son entourage parisien, et durant des mois, ils se sont fichus de nous ouvertement au téléphone ! Ils se croyaient plus malins, nous prenaient pour des crétins ! Ils avaient même inventé un code pour parler entre eux, convaincus que l’on était incapable de le casser. Ils avaient pris comme phrase de base le 'Baume de Venise', chaque lettre correspondant à un chiffre. C’était le code des bobos intellos et ils étaient convaincus que nous, pauvres flics, nous n’arriverions jamais à le comprendre ! C’est, je dois dire, un plaisir lorsque l’on tire enfin un bon fil, parfois après des années de chasse. Le summum étant lorsque que l’on touche pour la première fois celui qui nous a tant fait courir."

Trahis par leur amour pour maman

Et que disent-ils, ceux qui perdent la partie, lorsque la police leur passe les menottes ? «C’est étonnant car ils ont tous le même discours : ils expliquent qu’ils sont soulagés, que la cavale était dure car il est impossible de passer toute une vie sur le qui-vive… Ils nous expliquent enfin qu’ils s’apprêtaient à se rendre ! Qu’avec ou sans nous, ils auraient abandonné leur fuite ! Autant nous les croyons sincères sur la première partie de leurs propos, autant nous interprétons cette dernière phrase qu’ils nous lâchent tous comme un coup de griffe pour diminuer notre mérite", s’amuse le policier.

Après une longue cavale, les fuyards sont en général las, disent les enquêteurs. Même ceux qui l’ont "réussie". Comme ce Corse de Porto-Vecchio qui avait été condamné à la perpétuité à la suite d’une série de vols à main armée. Pas question pour lui d’effectuer sa lourde peine. Aussi, après quelques mois de prison, il scie les barreaux de sa cellule et descend le long du mur à l’aide de draps noués. A l’ancienne. Il profite alors du soutien de la diaspora des truands corses et se retrouve tout naturellement au Mali à la tête d’un réseau de prostituées locales. Un soir, dans les ruelles de la capitale, il boit des verres avec un inconnu qui le convertit… à la protection des éléphants ! Il lâche son business et s’installe pour quinze ans dans une réserve du Burkina Faso, tout dévoué à la protection des pachydermes. Jusqu’au jour où les hommes de la BNRF lui rendent visite... "En fait, s’ils prennent la fuite suffisamment longtemps et ne replongent pas durant leur cavale, ils s’en sortent plutôt bien face aux juges. Le temps a passé et les faits pour lesquels ils ont été condamnés sont anciens. Notre Corse a vu sa peine commuée de la perpétuité à trois ans et, finalement, il n’a effectué que deux ans ! Il est reparti auprès de ses éléphants…"

Disparaître pour de bon ?

Y a-t-il une façon de disparaître vraiment ? D’échapper assurément à toute poursuite ? Moment d’hésitation chez le patron et le plus ancien de la brigade. Quand on est représentant de la loi, on a visiblement des scrupules à donner les recettes. Finalement, tous les deux fournissent la même réponse : pour s’évaporer à jamais, il faut être un cœur sec, être capable de couper complètement, totalement, les ponts avec son entourage. Plus de parents que l’on appelle pour leur anniversaire. Plus d’enfants que l’on serre, même subrepticement, dans les bras. Pas de fiancée que l’on épouse en secret. "Il est impératif de repartir à zéro, mais également de ne plus jamais vivre comme avant. Pas de soirées au restaurant, de sorties avec de nouveaux copains. Idéalement, il faut rester chez soi et passer ses journées devant une console de jeu", affirme Olivier Dupas. "Mais la discrétion, ce n’est pas dans les cordes des truands. Ils aiment trop sortir, frimer, faire les beaux, et cette petite faiblesse les perd en général, précise Bruno Le Boursicaud. D'autant qu'une cavale coûte cher et qu’ils ont du mal à ne pas replonger pour survivre. Le paradoxe est qu’il faut mener une existence chiche, refermée sur soi, mais bénéficier de gros moyens pour ne jamais rien avoir à réclamer à quiconque !"

Mais ces hommes ne sont pas des ermites. On les imagine craquant un soir, s’épanchant sur le coin d'un zinc, après quelques verres dans le nez, déprimant dans les bras d'une blonde, en fait indic de la police… "C’est dans des moments de fragilité, lorsqu’ils baissent la garde, que nous trouvons des fenêtres de tir pour agir. Heureusement pour nous, même les trafiquants de drogue, les meurtriers et les braqueurs ont des sentiments et une maman !"

Publié par Audrey Goutard / Catégories : Actu