Mineurs : dans les coulisses de la "polisse"

L'objectif de ce tournage était double. Les contraintes nombreuses... Double, car nous voulions à la fois décrypter de quelle manière la parole des enfants est prise en compte dans les affaires de violences ou pédophilies, et de quelle façon ces policiers "encaissent" les enquêtes difficiles qu'ils traitent quotidiennement.

Les contraintes étaient fortes aussi. Il fallait parvenir à aborder ces thèmes pudiquement et sans dévoiler le fond des enquêtes afin de préserver l'anonymat des enfants. Autre contrainte importante, le temps imparti pour un sujet de JT : 8 minutes. C'est à la fois énorme pour un journal télévisé et très peu au regard de nos rushes (les images tournées) : 20 heures en tout (ce qui est long pour un sujet JT)... pour finalement n'en conserver que quelques instant. Mais c'est la règle du jeu.

Ce tournage, c'est avant tout une rencontre avec ces policiers de l'Unité de protection sociale de Besançon (Doubs), une brigade familiale que j'avais croisée lors d'un précédent tournage. Des "personnages" comme on dit, qui exercent leur métier dans une ville moyenne, avec une criminalité moyenne. Et pourtant, ici aussi les enfants sont victimes de violences. Je leur ai parlé du projet et ils m'ont tout de suite dit "oui", car ils avaient envie d'évoquer leur quotidien et cette spécialité que l'on exerce que si l'on est hyper motivé.

Après, il a fallu convaincre leurs supérieurs hiérarchiques, mais aussi l'autorité judiciaire de l'intérêt de parler de ce groupe, et donner des garanties sur le respect des victimes et de leurs familles. Ne serait-ce que pour ne pas prendre le risque de faire sauter une procédure judiciaire en cours.

Garantir le respect des victimes

Ensuite, avec Pascal Stelletta, le journaliste reporter d'image (JRI) qui a accepté de tourner le sujet, nous avons énormément dialogué avec les policiers. Ils nous ont expliqué leurs contraintes et nous les nôtres. Une équipe de télé, c'est lourd à gérer. Il faut accepter de nous avoir dans les pattes en permanence, sans s'en agacer et en restant naturel. Ce qui est incroyable d'ailleurs, c'est la capacité d'un bon JRI à se faire oublier. Au bout d'une heure, les policiers parlaient et bougeaient à nouveau naturellement, comme s'ils n’avaient pas une caméra sous le nez et un micro attaché au col de chemise. Dans un tournage comme celui-ci, il n’est pas question de "rejouer la scène". Les actions, émotions, dialogues, doivent être saisis en une fois, sur le vif. Après, c'est trop tard, fichu et frustrant. Pour ne pas "envahir" le terrain, nous ne sommes restés que trois jours. Un concentré du quotidien de cette brigade.

Vient ensuite le travail du monteur, en l'occurrence d'Arnaud Gidon. C'est à lui que revient la difficile mission de raconter une histoire avec les heures de séquences et d’interview que nous lui ramenons. Là encore, c'est un petit miracle lorsqu'il parvient, alors qu'il n'était pas avec nous lors du tournage, à rendre les émotions sans que cela ne s'apparente trop à du voyeurisme, et m'aide à apporter de l’information alors que nous disposons de si peu de temps. Cela a également été un gros travail de masquer les visages, les habits trop reconnaissables des victimes, mais aussi leurs voix.

Raconter une histoire en si peu de temps

Il y a plusieurs moments que nous n'avons donc pas pu glisser dans notre sujet. Comme ce jogging quotidien que pratiquent la majorité des policiers du groupe. C'est devenu une passion, ils font des compétitions. Ils nous ont expliqué à quel point il était important pour eux de se vider de l'énorme tension, du trop plein d'émotion qu'ils refoulent pour rester pro. Un besoin qu'ils ne ressentaient pas dans leurs précédentes affectations. Nous n'avons pas eu le temps non plus de mettre en lumière les sentiments qu'ils développent à l'égard des auteurs de violences et de viols. Nous avons été étonnés de constater à quel point ils n'avaient, eux, aucun ressentiment à leur égard. Ils nous ont expliqué d'ailleurs que leur service suscitait peu de vocations, leurs collègues craignant de ne pas supporter de se retrouver face à un pédophile. Enfin, tout en s'étonnant de leur propre sang-froid, ils nous ont expliqué qu'ils étaient pris avant tout par la résolution de leur enquête. "Pour tenir, n'est ce pas la seule alternative ?" s'interrogeaient-ils.

Il y a aussi des témoignages que nous n'avons pas osé diffuser car ils nous ont semblé trop "lourds" pour un JT de 20H, comme celui de la capitaine Molin qui se souvenait, très émue, d'une de ses scènes de crime : une mère qui avait tué ses deux enfants. "Toute la journée, je suis restée dans la chambre à coucher des petits à faire mes prélèvements autour des corps. J'étais concentrée, professionnelle. Ce n'est que le soir, en rentrant à la maison, que j'ai eu un choc en embrassant ma fille qui dormait. J'ai réalisé qu'elle avait le même âge et exactement le même petit pyjama que le bébé décédé... Vous vous rendez compte, je ne l'avais même pas remarqué !"