De la convention de Tampa au quartier noir d'Atlanta, quatre souvenirs de reportage marquants

Ceux qui ont suivi mes péripéties sur ce blog le savent : pendant un peu moins de deux semaines, j'ai parcouru les routes américaines de Tampa, en Floride, où se tenait la convention républicaine, à Birmingham, dans l'Alabama, en passant par Atlanta, en Géorgie. Ce road-trip sudiste m'a réservé quelques surprises : voici mes souvenirs les plus mémorables couchés sur le papier.

L'arrivée dans une convention qui n'a rien d'une foire du Trône

Soyons honnête, avant de me rendre à Tampa, j'imaginais la convention républicaine comme une sorte d'immense meeting avec des scènes en plein air, des stands partout et des milliers de militants bariolés déambulant sur la pelouse. Une fête de l'Humanité version XXL, sauf qu'à la place des communistes nostalgiques il y aurait des libéraux décomplexés.

Et bien, ça ne ressemble pas du tout à ça. Je m'en rends compte en m'engouffrant, fraîche comme une rose au volant de ma voiture, dans l'avenue bardée de barrières de sécurités qui mène au centre de convention. Un ranger me barre la route. "What do you mean, I can't park inside ?", dis-je en agitant fièrement mon accréditation. Ma voiture finira une dizaine de blocs plus loin, la faute au périmètre de sécurité qui englobe la moitié du centre ville et où, bien sûr, il est interdit de se garer.

Une fois entrée à l'intérieur (à pied donc, matériel sur le dos) j'ai devant moi le premier centre névralgique de l'évènement. Imaginez un palais des Congrès dans lequel travaillent sur leur ordinateur des milliers de journalistes venus du monde entier, installés sur trois niveaux. Le New York Times, CNN, Politico, Fox News : tous les grands médias américains y ont leurs espaces dédiés, séparés les uns des autres par d'épais rideaux bleus. Les indépendants, blogueurs et les envoyés spéciaux venus en solo, eux, s'installent dans le vaste "lounge" aux couleurs de Google où, précision non négligeable en cette semaine où les articles se bouclent tard dans la nuit, ils ont droit au café gratuit.

Une déléguée du Texas sous le hall de la convention républicaine à Tampa (Floride), le 27 août 2012. (Marion Solletty)

A quelques centaines de mètres, le "Forum" dans lequel se tient la convention en elle-même : son grand hall accueille la scène, où s'expriment les stars du parti et devant laquelle sont assis les délégations de chaque Etat, et tout autour, les gradins pouvant accueillir plus de 80 000 personnes. Entre les deux, un ruban de messieurs en costard-cravate, journalistes, lobbyistes ou responsables locaux arpentant le bitume pour passer de l'un à l'autre. Dans tout ça, j'ai eu beau chercher les éléphants en peluche et les stands de crèmes glacées, je n'ai pas trouvé...

Un prêche pro-Obama dans l'église de Martin Luther King

Je savais, bien sûr, l'importance de la foi religieuse dans la société américaine. Mon voyage l'a confirmé : toutes les personnes à qui j'ai parlé, sans exception, se déclaraient croyantes et pratiquantes. Mais l'influence de la religion ne se limite pas au débat idéologique : parce qu'elle est un lieu d'échange et de socialisation privilégié, l'église où se rendent les familles tous les dimanche est aussi, parfois, un lieu hautement politique, et pas seulement pour les pro-life du camp conservateur.

Venue en touriste assister à l'office un dimanche matin dans l'église où prêchait Martin Luther King, dans le vieux quartier noir d'Atlanta, quelle ne fut pas ma surprise de voir le pasteur se lancer dans un prêche passionnément pro-Obama. Tout y passe : les républicains qui "parlent de reconstruire notre pays", mais méprisent, selon lui, les travailleurs qui tentent d'obtenir un salaire décent ; Romney qui se présente comme un entrepreneur mais "coupe les entreprises en morceaux et les revend sans se soucier des gens". Dans une sorte de transe, le prêtre finit même par lancer : "Jésus aurait été à la convention démocrate!"

L'office dominical à l'église baptiste d'Ebenezer, à Atlanta (Géorgie), dimanche 1er septembre 2012. (Marion Solletty)

Un Romney Boy plus que pro

Des rouages bien huilés de la convention au briefing des militants de terrain, la campagne Romney ne laisse rien au hasard. La communication, en particulier, est maîtrisée à tous les échelons. Sur le parterre de la convention, les délégués venus des quatre coins du pays répondent déjà avec une maîtrise impeccable aux questions des journalistes qui slaloment entre les groupes et les sollicitent sans cesse. Normal, me direz-vous : la plupart sont des militants aguerris, qui savent en arrivant à quoi s'attendre.

Mais la réaction d'un jeune volontaire rencontré dans le QG de campagne de Hillsborough County, dans la banlieue de Tampa, elle, me surprend. Je suis là-bas aux côtés d'un militant latino, que le (très) jeune homme interpelle pour lui demander ses contacts : tous les samedis, il appelle aux côtés des autres bénévoles les électeurs indécis. L'équipe veut organiser un "super sabado", visant spécifiquement les latinos. Très accueillant, il me salue et me souhaite la bienvenue. Mais lorsque j'ouvre la bouche pour une question - pourtant anodine -, la réaction est immédiate : "Désolé, aucune communication avec des journalistes qui ne passe pas par notre cellule presse !" Je reste coite.

Deux républicains qui en sont toujours aux "Freedom Fries"

Avant de raconter cette anecdote, il faut préciser que les personnes que j'ai rencontrées ont été, dans la très grande majorité, des plus avenantes. Même les activistes aux positions les plus extrêmes, et qu'ils me soupçonnaient à juste titre de ne pas partager, ont presque toujours accepté de se livrer, avec le sourire qui plus est.

J'ai ressenti en une seule occasion une certaine hostilité, restant toujours cependant dans les limites de la cordialité. Alors que j'interviewais le peintre anti-Obama John McNaughton, un Américain à la carrure imposante et au look de bon Texan s'approche et le félicite : "J'aime beaucoup votre travail". L'artiste me présente. Apprenant que je suis française, celui-ci me lance aussitôt. "Ah, et bien j'ai une histoire pour vous !" Il invite un ami qui l'accompagne (même carrure, même look) à s'approcher.

"Nous avons un ami, vétéran de la seconde guerre mondiale, qui est retourné en France pour la première fois il y a quelque temps pour l'anniversaire du débarquement. Lorsqu'il est arrivé à l'aéroport, le douanier lui a demandé son passeport. Il a dit : 'la dernière fois que je suis venu ici, personne ne m'a demandé mon passeport', me raconte le républicain en me regardant d'un air entendu. 'Personne ne lui a demandé de passeport parce que c'était sur les plages de Normandie. Vous en pensez quoi, de ça ?"

Euh... pas grand-chose ?