Parti républicain cherche électeurs latinos désespérément

"Juntos con Romney ! Juntos con Romney !" Sur scène, le gouverneur du Nevada Brian Sandoval clame les trois mots du ralliement en levant les coudes, poings fermés, pour galvaniser la foule réunie ce soir au Cuban club d'Ybor City, le vieux quartier cubain de Tampa, alors que débute la convention républicaine. A ses côtés, Susana Martinez, gouverneur du Nouveau-Mexique. Le sénateur de Floride, Marco Rubio, se fait attendre : il est retenu sur le plateau télévisé d'une importante chaîne américaine.

Ce sont les meilleurs ambassadeurs du parti républicain auprès de la communauté latino, et le parti le sait bien. Ce soir, il les affiche encore une fois pour tenter de séduire les électeurs d'origine mexicaine, cubaine ou encore portoricaine qui joueront un rôle décisif dans l'élection.

Soirée de fête avec V.I.P. du parti, mais sans public latino

En apparence, la soirée est un succès. Devant la façade à colonnades éclairée de rose, la queue s'allonge jusqu'au bout du trottoir. Dames en tenue de soirée et messieurs en smoking se pressent sur l'escalier, tandis qu'à l'intérieur les plus V.I.P. fument le cigare dans une lumière tamisée.

Seul problème : les principales cibles de l'évènement, les latinos eux-mêmes, manquent à l'appel.

Il faut vraiment chercher pour trouver parmi les silhouettes endimanchées ceux capables de répondre en espagnol à l'appel du gouverneur Sandoval. Teri Galvez, venue de Washington où elle fait partie de l'état-major de campagne de Mitt Romney, est une exception.

Cette businesswoman vote républicain depuis près de 30 ans. "Les analystes politiques ont tendance à nous considérer d'un bloc, comme si les latinos ne se souciaient que d'immigration. C'est important bien sûr, mais sur la liste de mes priorités je dirais que ça occupe quelque chose comme la cinquième place", m'explique-t-elle au cours de notre conversation.

Teri Galvez concède volontiers qu'elle n'est pas représentative de l'ensemble de la communauté latino. Les sujets comme l'immigration, sur lequel le parti républicain s'est montré particulièrement intransigeant ces derniers temps, ou encore l'éducation, domaine où les démocrates sont plus enclin à promouvoir la mixité sociale, y sont des préoccupations importantes.

Un électorat crucial que les républicains peinent à convaincre

Autant de facteurs qui expliquent la nette avance de Barack Obama dans cet électorat : le président sortant y est crédité de près de 40 points d'avance sur Mitt Romney dans les derniers sondages.

Les républicains ne perdent pas espoir de regagner un peu du terrain perdu. Ils savent que le 6 novembre, ils ne pourront pas se passer d'une partie au moins du vote latino. C'est particulièrement vrai en Floride, un Etat clé pour l'élection présidentielle, qui abrite une importante population d'origine hispanique.

Mais sur le terrain, les équipes de campagne de Mitt Romney peinent à faire bouger les lignes. Dans le comté de Hillsborough, qui englobe Tampa et sa région, Frank Shearrow est un de ceux sur lesquels ils peuvent s'appuyer. Ses racines latinos, héritées de sa grand-mère portoricaine, sont un peu lointaines, mais il a participé au lancement de l'antenne locale de la Republican National Hispanic Assembly (RNHA, Union nationale des républicains d'origine hispanique) aux côtés du candidat à la Chambre des représentants Evelio Otero.

Frank Shearrow échange ses contacts avec un militant au quartier général du parti républicain de Hillsborough County.

Le jeune père de famille a toujours penché pour les idées défendues par Mitt Romney, qu'il croit davantage capable de redresser l'économie du pays. D'abord encarté au Parti libertarien, il a fini par se tourner vers le Parti républicain, plus à même, explique-t-il, de faire bouger les choses. C'est son père qui lui a passé le virus de la politique : à la maison, la télévision familiale était souvent branchée sur les émissions de débat, comme celle de John McLaughlin, sur la chaîne publique PBS.

"Le parti républicain doit proposer des choses"

Lui-même reconnaît cependant que son camp n'est pas toujours en phase avec les préoccupations des latinos. L'opposition farouche au DREAM act, la loi conçue par Barack Obama pour offrir une voie de régularisation aux enfants d'immigrés clandestins, en est un exemple.

"Je n'approuve pas nécessairement toutes les dispositions du DREAM act, explique Frank, mais le parti républicain doit proposer des choses, au lieu d'être dans l'opposition systématique. Nous devons aider les immigrants qui arrivent légalement dans ce pays, et même, dans une certaine mesure, ceux qui arrivent illégalement. Il faut montrer de l'empathie pour ces gens-là. Ils n'arrivent pas à s'en sortir dans leur pays, ils viennent pour trouver une vie meilleure, différente."

Le jeune homme, qui enseigne à distance l'histoire américaine, a vu les ravages de la crise dans les quartiers défavorisés de Tampa, où se trouve un des lycées avec lequel il a collaboré. "La communauté souffre, et beaucoup de petits commerces tenus par des latinos s'appuyaient sur elle", m'explique-t-il en surveillant d'un oeil sa petite fille, qui picore des Cheerios en babillant. "A Tampa, il y a une petite boutique de sandwich cubaine où je retrouvais souvent des amis. C'était toujours plein. Aujourd'hui, elle est à moitié vide." 

"Au bout du compte, ça se jouera sur l'économie"

La crise... C'est ce qui pourrait, paradoxalement, jouer en faveur de Mitt Romney pendant cette élection. Le bilan économique d'Obama n'est pas bon, les Républicains comptent là-dessus. "Au bout du compte, ça se jouera sur l'économie", veut croire Frank Shearrow.

A West Tampa, dans le véritable quartier latino de la ville, le message est encore loin de porter. Dans les boutiques de vêtement bon marché qui s'alignent le long de Columbus Drive, et où certains clients ne parlent qu'espagnol, tous ceux que je rencontre votent Obama. Mais la stratégie d'affichage du parti a fait son petit effet. On parle encore des quelques mots prononcés dans un espagnol parfait par le fils de Mitt Romney, Craig.

"Les gens d'ici sont sensibles à ça, ils en parlent. Ça marche", m'explique Giulian Llombart, le patron du "Mi Ranchito", un petit restaurant qui sert des plats en sauce cubains sur fond de musique latino. Lui soutient activement le parti démocrate, mais il a peur que Mitt Romney finisse par l'emporter. Y compris dans sa communauté.

La salle du restaurant "Mi Ranchito".