Pour le FN, Jean-Pierre Stirbois reste un "homme exemplaire"

C’est un communiqué daté du 5 novembre 2017. Il est signé Steeve Briois et illustré par une photo - où apparaissent notamment Marine Le Pen (entourée de ses soeurs) et, en premier plan, Jean-Pierre Stirbois - prise lors de l'émission L'Heure de Vérité du 13 février 1984. « Il y a 29 ans disparaissait tragiquement Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du FN. Les militants se souviennent d’un homme exemplaire. Le tonnerre de Dreux en 1983 est le fruit de son travail acharné et celui de son épouse Marie-France. Nous lui devons beaucoup et nous ne l’oublierons jamais », écrit l'actuel secrétaire général du FN.

Entré au Front national en 1977, Jean-Pierre Stirbois est jusqu’aux législatives de 1986 l’aiguillon politique et l’organisateur interne du parti. Il fait vivre les structures du Front national. Il contrôle le travail des sections départementales et sélectionne les futurs responsables. Ses méthodes, qui pouvaient aller jusqu’à l’intimidation, sont souvent contestées. Retour sur le parcours d'un ancien numéro deux du FN qui consacre sa vie à la politique. L’hommage rendu par ses amis et sa famille politique après son décès ne retrace pas seulement son action déterminante au sein du parti lepéniste. Il montre la place principale qu'occupe Jean-Pierre Stirbois dans l'histoire du FN.

Jean-Pierre Stirbois, le "soldat d’une cause"

Né en 1945, ancien d’Occident, l’étudiant à Assas proche de l’OAS-métropole-jeunes s’engage dans les comités Tixier-Vignancour et y devient responsable des jeunes au conseil national. Jean-Pierre Stirbois est l’un des fondateurs de Jeune Alliance et participe en 1965 à la création du mouvement Jeune Révolution (MJR qui devient le MSF en 1971 et Union solidariste en 1975) avant d’en être le secrétaire national. En 1977, il regroupe les solidaristes favorables à l’intégration au sein du Front national – sous l’appellation « Union solidariste » – et rejoint le parti de Jean-Marie Le Pen. Désigné secrétaire général du FN à partir de 1981, il est élu maire adjoint à Dreux en septembre 1983. À l'occasion de cette municipale partielle, le FN fusionne avec la liste RPR et des non-inscrits pour le second tour. C’est le « coup de tonnerre de Dreux » qui symbolise le début de la percée du FN.

Le député européen et député des Hauts-de-Seine décède dans un accident de voiture le 5 novembre 1988. Il rentre à ce moment-là à Paris après un dîner-débat à Dreux, ville dans laquelle il continue à assurer ses fonctions de maire adjoint. Son véhicule heurte un arbre. Jean-Pierre Stirbois meurt sur le coup. Le matin de sa disparition, Jean-Marie Le Pen, visiblement bouleversé, dit perdre « un ami, un camarade, un homme entièrement dévoué à une cause, plus sensible qu’il n’y paraissait. Il avait la réputation d’être un homme dur. On disait de lui que c’était le chef de la tendance dure du parti : c’était en fait un homme timide et secret ». Le lendemain, le président du FN ajoute à propos de son secrétaire général qu’il est « tombé au champ d’honneur des hommes politiques ». Francis Bergeron, journaliste et écrivain lié à l’extrême droite et ancien compagnon de route de Jean-Pierre Stirbois, lui, ne veut pas oublier le « soldat d’une cause, un militant inaccessible à cette corruption qu’engendre toujours, paraît-il, la pratique de la politique, un militant sans états d’âme et infatigable. (...) Avec la mort de Stirbois, c’est une page du nationalisme français qui se tourne. Celle qui fut écrite par la génération des militants de l’après-Mai 68 ». Michel Collinot, lui, a perdu son vieil et fidèle ami et sait que le « Front national (lui) doit son organisation et son appareil. Il n’était pas homme de compromis, c’était un militant nationaliste, solidariste ; un homme de conviction et de fidélité, (...) infatigable ».

Lors des obsèques de Jean-Pierre Stirbois, la foule est nombreuse à venir lui rendre un dernier hommage. Près de 4 000 fidèles suivent la messe de funérailles, co-célébrée en latin en l’église Saint-Augustin à Paris. Yvan Blot (RPR), Henry de Lesquen (Club de l’Horloge), Jean-Gilles Malliarakis (Troisième Voie), Pierre Pujo (Action française) ou encore Pierre Sidos (Œuvre française) représentent l’ensemble de l’extrême droite française. Jean-Marie Le Pen prononce l’éloge funèbre, avant l’inhumation au cimetière Montparnasse. Ce jour, il exige que soit désigné le nouveau secrétaire général. Les stirboisiens se sont consultés. Certains demandent à ce que ce soit Marie-France Stirbois ou Bruno Gollnisch. « À la stupeur générale », le président du FN nomme Carl Lang, « en délicatesse » avec Jean-Pierre Stirbois.

C’est peut-être davantage sur la « veillée nostalgique » organisée par les amis de National Hebdo, cet ultime hommage rendu à Jean-Pierre Stirbois à la Mutualité, le soir du 22 novembre 1988 qu’il faut se pencher. Ses amis sont presque tous là, pour cette soirée autour de Marie-France Stirbois. Jean-Marie Le Pen et son délégué général Bruno Mégret brillent par leur absence. Carl Lang affirme son ambition de « poursuivre l’œuvre accomplie ». Jean-Yves Le Gallou souhaite la création de « soixante listes pour faire soixante Dreux ». Les autres, ses compagnons de lutte, évoquent avec émotion le souvenir de leur ami. Roger Holeindre rappelle ses combats avec Jean-Pierre Stirbois face aux « bochs », face à la « haine ». Saluant celui qui « a chassé du FN les incapables et les voyous », il souligne ce que cet homme voulait avant tout : un parti « pur et dur ». Beaucoup insistent d’ailleurs sur ce dernier aspect. Les amis de Jean-Pierre Stirbois se séparent sur l’air du Chant des Africains, l’hymne du corps expéditionnaire français en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour eux, le combat continue. Le nom de leur compagnon s’ajoute à la liste des disparus. Il s’inscrit dans l’histoire du premier Front, celui des nostalgiques, auquel le FN doit rester fidèle : « Pour la plupart des fondateurs du Front national, les guerres d’Indochine et d’Algérie se dessinent en filigrane dans leur engagement politique. Mais le Front national reste une création originale. Il est d’abord ancré dans son époque. Le mérite de Jean-Marie Le Pen et de ses compagnons est d’avoir compris que l’amour de la patrie, le respect de son passé et de ceux qui le construisent peuvent rester les mêmes, même si changent les mœurs, les conditions de vie et la manière de penser. Honneur aux disparus ».

La mort de Jean-Pierre Stirbois clôt un nouveau chapitre de l’histoire du FN. Avec lui, l’accord de Dreux était devenu la base de la stratégie du FN. Au lieu de faire de son parti une vitrine respectable, comme le voulait Bruno Mégret, il prônait une rivalité avec le RPR. Il s’apprêtait à négocier, pour les prochaines municipales, en s’appuyant sur sa vision politique. Depuis l’échec aux dernières législatives (5-12 juin 1988), la tendance Stirbois l’emportait sur celle de son rival. Jean-Pierre Stirbois exigeait des militants qu’ils aient le même parcours - activiste et politique - que lui. Sa disparition laisse un FN affaibli, théâtre de divisions internes qu’il a, en partie, suscitées. Comme au temps du premier Front national avec François Duprat, le décès du numéro deux entraîne l’élimination de son courant au sein de la formation d’extrême droite. Comme en 1978, le parti de Jean-Marie Le Pen prend alors une nouvelle direction. Fin 1988, l’histoire du second FN se termine. La suivante commence avec Bruno Mégret. Elle dure une décennie.