Une rareté dans l'histoire du FN

C’est un communiqué somme toute rare dans l’histoire du Front national. Il date du 20 octobre et émane d’Éric Dillies. L’actuel président de Lille Bleu Marine et conseiller régional des Hauts-de-France déclare sa candidature à la présidence du FN face à Marine Le Pen. « Élu de terrain et militant de notre mouvement depuis 30 ans, j'ai décidé de me présenter à la présidence du Front national. Il ne peut exister d'élection crédible sans choix. Or, nous sommes à quelques heures de la clôture du dépôt des candidatures et il n'y a pas, pour le moment, d'autre candidat que la présidente sortante », avance l’élu. Il réclame à son parti et à sa présidente de reporter l’échéance du dépôt de candidature, fixée au lendemain et de modifier le « mode de parrainage » actuel,  à savoir celui de vingt secrétaires départementaux pour qu'une candidature à la présidence du FN soit validée.

Jusqu’à la succession de Jean-Marie Le Pen en janvier 2011, elles se suivent et se ressemblent. Malgré cela, la dernière élection du président du FN voit plusieurs changements. Elle se déroule lors du congrès de Bordeaux, les 17 et 18 novembre 2007 et préfigure le FN des années 2010. Le contexte est lourd. Le parti lepéniste est confronté à une quadruple crise : financière, politique, idéologique et interne. D'ailleurs, avant la tenue de ce congrès, Carl Lang annonce vainement sa candidature à la présidence du parti ; Bruno Gollnisch, le candidat des historiques, étant en convalescence à la suite d’un triple pontage coronarien.

Puis, le FN ne s’est toujours pas remis de la scission mégrétiste. Après l’automne 2005, le chiffre surévalué de 40 000 adhérents est avancé. Deux ans plus tard, le FN revendique officiellement « 75 000 adhérents et sympathisants ». Minute situe, « par regroupements comptables », le nombre d’adhérents entre 13 000 et 15 000. Jean-Marie Le Pen, lui, en annonce un peu plus de 20 000. S’il donne cette information à la veille de la tenue du congrès, c’est parce que, pour la première fois de son histoire, le FN s’apprête à élire son président et le Comité central par le vote de ses militants. Les pré-congrès départementaux ont été supprimés ainsi que l’élection de délégués de sorte que tous les adhérents peuvent élire les cent membres du nouveau comité central. La modification des statuts date de l’été 2007.

Jean-Marie Le Pen est reconduit dans ses fonctions pour trois ans. Sa candidature a été soumise au suffrage des adhérents. Auparavant, le président du FN était élu par acclamation. À Bordeaux, il obtient 97,6 % des voix. Une unanimité de façade puisque 14 secrétaires départementaux sur 96 refusent de parrainer sa candidature.

La manifestation est à l’économie : sans délégations étrangères et avec un nombre réduit de conventions et d’intervenants. Le moral des militants et des responsables est en berne, en raison des échecs électoraux et des divisions internes. Le poste de délégué général est supprimé, selon le souhait de Marine Le Pen et de Louis Aliot, confirmé au poste de secrétaire général. À la place, deux vice-présidences sont créées. La première est confiée à Marine Le Pen qui s’occupe de la formation, de la propagande et de l’information. Bruno Gollnisch, second vice-président, est chargé de l’international. S’il sort vainqueur des urnes – il devance Marine Le Pen au Bureau politique –, Bruno Gollnisch apparaît pourtant comme le grand perdant de cette manifestation. Ses nouvelles attributions ne font guère le poids face à celles de sa concurrente. Bruno Gollnisch visait, depuis longtemps, la place du père. Bordeaux signe la fin de ses espoirs. « Ce n’est pas un congrès de succession, mais un congrès de donation sans frais de succession », précise Jérôme Bourbon dans Rivarol.

La progression de Marine Le Pen au sein du Bureau politique traduit son ascension. En même temps, le vote du BP montre une réalité : ses opposants politiques étant de moins en moins nombreux, l’espace s’est libéré pour elle et ses partisans. Trois membres de Générations Le Pen y font d’ailleurs leur entrée : Steeve Briois, Édouard Ferrand et Jean-Lin Lacapelle. À Bordeaux, 226 personnes postulent au Comité central. La moisson est faible. Pour les congrès antérieurs, entre 300 et 400 s’y présentaient. C’est comme une sorte de grève organisée : près d’un tiers des membres du BP n’étant pas candidats au CC (16 sur 50). Ces faits sont sans précédent. Carl Lang, tout comme Martial Bild, font savoir, officiellement, qu’il leur paraît « inutile et dérisoire, compte tenu des difficultés présentes (...) d’ajouter une compétition interne pour l’élection au comité central ». Six secrétaires départementaux ne sollicitent pas le renouvellement de leur mandat au CC. Ils avaient déjà refusé de parrainer la candidature de Jean-Marie Le Pen pour 2007, considérée comme l’élection de trop. De nouveau, les meilleurs scores sont réservés aux anciens. Des résultats, faut-il le rappeler, qui donnent traditionnellement le « pouls de la popularité et de la notoriété des dirigeants et cadres du mouvement auprès des militants ». Si Louis Aliot se retrouve en quatrième position, Steeve Briois, à la 31ème place, est sifflé. Bruno Bilde, l’assistant parlementaire de Marine Le Pen, est 35ème . Alain Soral et Marc George sont nommés au CC par Jean-Marie Le Pen.

Le discours de clôture est offensif : Jean-Marie Le Pen veut montrer qu’il reste le seul maître à bord et que sa ligne ne change pas. « Notre programme commun est simple », dit-il d’une voix affirmée. Il « tient en trois formules : immigration zéro, insécurité zéro, préférence nationale totale. La lutte contre l’invasion migratoire reste en effet le mot d’ordre numéro un ». Elle passe par « l’inversion du regroupement familial, la suppression de la double nationalité, l’expulsion immédiate de tous les immigrés illégaux, l’arrêt total de l’immigration économique, l’arrêt immédiat des projets de construction de mosquées-cathédrales » ; des propos qui tournent le dos à la période précédente... à cette présidentielle de 2007 pour laquelle Jean-Marie Le Pen avait obtenu 10,44% des voix au premier tour.

Un peu plus de six ans après le Congrès de Tours (et le « duel » Bruno Gollnisch - Marine Le Pen) et trois ans après celui de Lyon - pendant lequel Marine Le Pen, seule candidate, est réélue présidente de son parti avec 100% des voix (et 53% de participation) -, la fille de Jean-Marie Le Pen devrait donc se retrouver seule face à elle-même lors du Congrès de Lille les 10 et 11 mars 2018 ; la demande d'Éric Dillies n'ayant pas été acceptée par le FN.