FN et négationnisme : une vieille histoire

C’est un communiqué de presse du 15 mars 2017, signé Nicolas Bay : « Suite à la révélation de propos qu’il a tenu (sic) dans le cadre d’une reportage télévisé qui sera diffusé ce jour, M. Benoît Loeuillet est suspendu du Front National et sera convoqué très prochainement devant les instances disciplinaires du mouvement en vue de son exclusion. Lorsqu’il a demandé à adhérer au Front national puis sollicité une investiture aux élections régionales de décembre 2015, M. Loeuillet n’a bien-sûr jamais exprimé de telles idées qui, rappelons-le, n’ont pas leur place au Front National. Cette affaire est l’occasion de le rappeler avec fermeté. Le Front National espère que M. Loeuillet aura l’honnêteté de démissionner de son mandat de Conseiller régional qu’il a obtenu grâce au FN ».

Il fait suite à la diffusion d'un documentaire de la chaîne C8, réalisé par Céline Crespy et Quentin Pichon, « La face cachée du Front national » ;  une plongée de deux mois en caméra discrète parmi les jeunes militants FN de la fédération des Alpes-Maritimes au sein de laquelle les identitaires de Nissa Rebela sont introduits.

La séquence est brève mais loin d'être anodine. Benoît Loeuillet, conseiller régional FN de PACA et responsable du FN à Nice, se trouve dans sa librairie du Paillon à Nice. On y aperçoit des ouvrages, entre autres d’Adolf Hitler et de Robert Faurisson. Alors qu'on l'interroge sur le négationnisme, Benoît Loeuillet répond ne savoir « pas trop quoi penser de la thèse révisionniste. C’est compliqué. Bon, après, je pense qu’il n’y a pas eu autant de morts. Il n’y a pas eu 6 millions ». Il poursuit : « Il n’y a pas eu de morts de masse comme ça a été dit » et de citer comme « preuve » Le rapport Leuchter.

 

 

Scan 1

Comme l’idéologie à laquelle il se réfère, ce rapport s’est construit à partir du postulat négationniste. Fred Leuchter, un pseudo-ingénieur américain commandité par Robert Faurisson, s'investit dans la défense de l'éditeur néonazi allemand Ernst Zündel à la fin des années 1980. Sa méthode ? Il prélève plusieurs échantillons des revêtements muraux des chambres à gaz d’Auschwitz et de Birkenau ainsi que d’un local de désinfection. Fred Leuchter prétend que, selon ce qu’il a vu, il ne peut y avoir eu extermination d’une population. L’acide cyanhydrique aurait dû laisser des traces sur les surfaces des anciens bâtiments. Se référer à son rapport ne laisse aucun doute : c'est faire sienne des thèses négationnistes.

Les propos de l'élu niçois remettent au jour cette idéologie antisémite dont le FN ne voulait plus entendre parler. Pour le parti mariniste, le négationnisme appartiendrait à l'histoire ancienne.... « dédiabolisation » oblige. L’interdépendance du négationnisme avec l’idéologie frontiste reste une donnée fondamentale dans l’histoire du FN jusqu’aux années Marine Le Pen. Pendant les années soixante-dix, les différentes sensibilités du FN utilisent le négationnisme pour leur propagande, créant ainsi un amalgame entre le vocabulaire rattaché à la « Solution finale » et certains thèmes politiques à venir du parti d’extrême droite. C’est surtout le groupe de presse de François Duprat - véritable matrice idéologique, à l’origine de la diffusion des classiques de la littérature négationniste et raciste - qui se charge de diffuser le négationnisme à grande échelle. Membre et idéologue du FN, à la tête des Groupes nationalistes révolutionnaires (GNR), théoricien et militant au sein de la droite la plus extrême, François Duprat doit être considéré comme le fournisseur attitré de la propagande négationniste pendant les années 1970.

Édité en Grande-Bretagne en 1976 par la Historical Review Press (maison d’édition du parti britannique d'extrême droite le National Front), le fascicule Did Six Million really die ? est signé de l’Anglais Richard Harwood (pseudonyme de Richard Verral). Cette brochure s’inspire des écrits de Paul Rassinier. Traduite en plusieurs langues, elle est diffusée, en France, à des milliers d’exemplaires par François Duprat et son équipe des Cahiers européens, et financée, selon Maurice Bardèche par des mouvements arabes. L’initiateur du négationnisme considère ce texte comme le « premier grand texte révisionniste ».

Couv Six millions

L'éloge funèbre de François Duprat, publié dans Le National (organe officiel du FN) suite à son assassinat en mars 1978, s’apparente à une véritable tribune négationniste. La seconde partie de l’hommage montre la vénération du parti frontiste pour cet homme. Elle atteste également de la consubstantialité du négationnisme avec la rhétorique d’extrême droite, et plus particulièrement avec le discours qu’entretient le Front national de l’époque :

« Et puis enfin, pour mieux conditionner encore nos concitoyens, il y avait tous ces tabous hérités du second conflit mondial. En tant qu’historien soucieux de vérité historique, tes patientes études t’avaient amené à remettre en question ces "mensonges nourriciers", à t’attaquer à tous ces tabous et préjugés grâce auxquels l’ennemi a réussi, depuis plus de trente ans, à imposer son exécrable domination. Tu faisais partie de ce qu’il est convenu d’appeler l’école historique "révisionniste" et, naturellement, tu te trouvais en relation avec d’autres historiens de même tendance, tel ce R. Harwood, dont tu diffusais en France l’une des brochures les plus explosives, comme tu l’écrivais dans les Cahiers. Explosive, hélas oui, c’est bien le cas de le dire puisque en la diffusant, tu signais par là-même ton arrêt de mort. Aujourd’hui où tout le monde a à la bouche le mot de "liberté", c’est par l’interdit (Bardèche), les procès (Rassinier), et enfin à coup de bombes (Duprat) que certains prétendent réfuter une thèse d’histoire (...). Ils devraient toutefois savoir, les assassins, et leurs complices, qu’on ne dissout pas, qu’on n’interdit pas, qu’on ne tue pas une Idée. Et que personne n’a jamais réussi à museler la Vérité. Faut-il donc qu’ils la craignent, cette Vérité, pour qu’ils essayent de nous faire taire par tous les moyens, comme il était écrit dans l’un des torchons du Lobby, le mois dernier ! À 37 ans, ils t’ont assassiné, François. Ils ont cru couper le blé en herbe ! Mais déjà, des sillons tracés laborieusement par toi, camarade Duprat, et arrosés de ton sang généreux, se lève la riche moisson nouvelle. (...) Sache en tout cas que tu n’es pas mort pour rien car nous reprenons le flambeau. Ton œuvre sera poursuivie ! »

À partir du milieu des années quatre-vingt, le négationnisme fait parti des thèmes politiques du FN. Il est régulièrement activé par le président du Front national et quelques-uns de ses hommes. Il n'y a pas que ses propos du 13 septembre 1987, au Grand Jury RTL – Le Monde, qui qualifient les chambres à gaz de « point de détail de la Seconde Guerre mondiale ». Il y a la suite. Jean-Marie Le Pen poursuit en expliquant qu’il n’a pu voir de ses yeux des chambres à gaz et qu’il n’a pas étudié spécialement la question. Il demande alors si « c’est la vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire ». Il conclut de ces mots, en référence aux négationnistes : « Des historiens débattent de ces questions. »

Fruits d’une stratégie politique, ces appels à connotation antijuive représentent avant tout des signes en direction de l’électorat antisémite du FN et/ou du noyau dur du parti d’extrême droite. Des éditorialistes du FN, parmi lesquels l’ancien milicien François Brigneau et Martin Peltier, feront du négationnisme un sujet récurrent de leurs chroniques. À partir de l’été 1989, et ce, pendant plusieurs années, l’antisémitisme devient un des thèmes réguliers de la propagande politique du FN. Il s’agit alors de montrer la « domination juive » en France afin de délégitimer le pouvoir politique. La prise en compte du négationnisme dans les programmes et au sein de l’idéologie du parti lepéniste entend bouleverser la mémoire collective et réhabiliter le nationalisme français et ses valeurs. L’histoire établie par les vainqueurs se doit d’être remodelée. Pour ces raisons, les chambres à gaz représentent un « verrou » idéologique qu’il faut absolument faire sauter.

Depuis le Congrès de Tours, Marine Le Pen tente d'envoyer, régulièrement, des signes aux Juifs de France. Rappelons une de ses premières déclarations de présidente du FN (Le Point, 3 février 2011) : « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie. » Le FN entame la période mariniste en s’affranchissant du négationnisme : une étape obligée pour une éventuelle normalisation. Le Front national n’est pas un adversaire des Juifs explique Marine Le Pen. Il est, « dans l’avenir, le meilleur bouclier pour (les) protéger ». L'exclusion de Jean-Marie Le Pen entend symboliser la fin d'un compagnonnage incompatible avec les ambitions politiques du parti des années 2010.

Aussitôt suspendu, Benoît Loeuillet a été exclu du groupe régional FN de Paca, présidé par Marion Maréchal-Le Pen et devrait bientôt l’être du parti.  Des « remous » restent à venir « dans la pétaudière niçoise ». Les 9 candidats pressentis aux législatives dans le département ont vu leur investiture suspendue dans l’attente d’un audit de la fédération, menée par la direction du FN. Existe-il d'autres Benoît Loeuillet au FN ? Des « caméléons » - comme les qualifie Louis Aliot - qui se « cachent » dans les « rangs » du FN ? Une réponse négative semblerait inadéquate. L'important n'est pas là. Il réside dans la tenue de propos rendus publics.

Fin 2013, Louis Aliot m’expliquait que le FN n’a « jamais été convaincu par une campagne totalement ancrée sur l’islam. L’immigration, l’islamisation et la rupture sur la laïcité oui mais ne faire que de l’islamisation, (...) ce n’est pas payant. Il faut voir plus large ». Le vice-président du FN poursuivait ainsi sa démonstration : « Le fait de défendre cette ligne qui nous paraît gagnante change beaucoup de choses. La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. En distribuant des tracts, dans la rue, le seul plafond de verre que je voyais ce n’était pas l’immigration ni l’islam... D’autres sont pires que nous sur ces sujets-là. C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela. À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. (...) Depuis que je la connais, Marine Le Pen est d’accord avec cela. Elle ne comprenait pas pourquoi et comment son père et les autres ne voyaient pas que c’était le verrou. Elle aussi avait une vie à l’extérieur, des amis qui étaient aux antipodes sur ces questions-là des Le Gallou et autres. C’est la chose à faire sauter ».

Les coulisses frontistes niçoises s'étendent-elles à d'autres personnes du FN ou appartenant à l'entourage de Marine Le Pen ? La réponse pencherait plutôt vers le oui. Le « verrou » résiste donc. La « dédiabolisation » du FN vient de prendre un coup dans l'aile.