Plongée dans les sonorités nationalistes

Page de couverture d'un catalogue de la SERP (non datée).

« Les DPS ce sont des gens d’honneur. Les DPS des gars qui ont du cœur (…) de la tendresse, courage et loyauté (…) aider la France en servant le Front ; toujours présents ; dévoués, fidèles pour leur Président. (…) Les nouveaux chevaliers pour l’esprit français. (…) Ces hommes et ces femmes ont un idéal : ils aiment la France et c’est bien normal ». Ces quelques paroles, extraites d'une chanson à la gloire du DPS (Département Protection Sécurité, le service d'ordre du FN mis en en place en 1986), proposent une entrée en matière singulière pour appréhender le système de valeurs et de représentations du FN. En cette journée de fête de la musique, elles rappellent une permanence historique : depuis toujours, musiques et chansons accompagnent les combats politiques.

Ce 18 juin, Hayange fête en avance la musique. Fabien Engelmann a convié des « artistes aux styles très différents : de l’accordéon à l’électro » ; l'objectif étant de « capter un public le plus large possible, de brasser les générations, bref, de régaler tout le monde ! » Le 21 juin, à Hénin-Beaumont, ce sont les « tubes » des années 80 et 90. Soirée Salsa, concert avec la Chorale de l’association lyrique Provence Terre d’Argence et Gip’Soy en concert à Beaucaire... Une fête de la musique dans quelques municipalités FN assez traditionnelle, en somme. Exceptée, peut-être, à Villers-Cotterêts où les artistes se sont vus imposer une clause par la mairie dans laquelle était stipulée qu'ils devaient s'engager, « dans le cadre de leur prestation artistique, à respecter le principe de neutralité politique ». Si ce n'était pas le cas, ils ne seraient pas rémunérer. Le groupe nantais Les Vieilles Pies a refusé.

C’est donc une occasion de revenir sur cette parenté intime entre la chanson et la politique, deux domaines proches sur bien des aspects. Un prétexte pour faire un saut de cinq décennies dans l'histoire. Avant de devenir président du FN, Jean-Marie Le Pen a, entre autres, fondé la Serp, Société d’études et de relations publiques, avec ses amis Pierre Durand et l’ancien Waffen SS Léon Gaultier. Ce n'est pas seulement un rendez-vous sonore. La Serp est un lieu incontournable dans l’histoire du FN, une sorte d’annexe où se réunit le cercle rapproché de Jean-Marie Le Pen avant (et suite à) la création du FN. Plusieurs se souviennent, avec nostalgie, de leurs passages réguliers à la Serp au début des années soixante-dix. Ces hommes, pour la plupart futurs cadres du parti, s’y retrouvent, « boivent des pots, refont le monde ». Le 6 rue de Beaune, dans le septième arrondissement de Paris, n'est pas seulement l'adresse de la Serp. C'est également celle du premier siège du FN.

« Je chante faux, donc je suis devenu homme politique »

… aime dire Jean-Marie Le Pen. Tout le monde connaît son goût prononcé pour le répertoire français. L’ancien président du FN se plaît d’ailleurs, régulièrement, à pousser la chansonnette. Sa chanson préférée ? Le chant du pirate d’Édith Piaf.

C’est après sa défaite à l’Assemblée en 1962 que Jean-Marie Le Pen retourne à la vie civile et créé la Serp, début 1963, présentée dans les documents internes du FN, comme une « maison d’édition de disques pédagogiques ». Pierre Durand revient sur la genèse de cette structure : « Quelques mois auparavant, un ingénieux personnage avait eu l’idée d’enregistrer Jean-Louis Tixier-Vignancour prononçant sa plaidoirie au cours du procès Salan. Le disque avait connu quelque succès. Cela nous donna l’idée d’en assurer la diffusion et de réaliser à notre tour l’édition de disques d’histoire contemporaine ou d'évocations historiques. Nous nous étions pris de passion pour notre métier. En organisateur empirique, Jean-Marie animait la maison avec l’enthousiasme qu’on lui connaît. Il savait tout faire et souvent faisait tout ». La majorité des productions sonores concerne les chants et la reproduction de textes historiques, relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, la Serp produit dans la catégorie « Documents historiques », une Histoire sonore de la Deuxième Guerre mondiale en douze 33 tours. Du premier sur « L’entre-deux guerres » au dernier revenant sur « Les horreurs de la guerre », ils sont composés de « documents sonores : discours, chants de guerre, marches, chansons de l’époque, tous authentiques ainsi que les voix de plus de 300 personnalités ».

Encyclopédie

« Ce n’est pas la première fois que l’on publie des documents sonores pour illustrer un ouvrage historique sur la Deuxième Guerre mondiale. Le son ajoute, en effet, à la connaissance une dimension supplémentaire : celle de la vie » rapporte Jean-Marie Le Pen. Il  poursuit :

L'âme

Jean-Marie Le Pen souligne, avec raison, qu’il reçoit, « plusieurs fois, pour ses réalisations, la plus haute distinction de sa profession : le Grand Prix du disque ». Il oublie de mentionner quelques faits plus embarrassants. Le premier concerne une poursuite pour complicité d’offense au président de la République Charles de Gaulle et recel de bandes sonores pour l’édition du second disque de la société. Y est reproduite une déclaration de Jean-Marie Bastien-Thiry, condamné à mort et fusillé en mars 1963, après l’attentat du Petit-Clamart contre Charles de Gaulle en août 1962. L’autre interdit frappe un disque « à la gloire du Maréchal Pétain ».

En 1968, la Serp est condamnée pour « apologie de crime de guerre et complicité » pour ce texte contredisant la vérité historique qui figure sur la pochette d’un disque de chants du Troisième Reich : « La montée vers le pouvoir d’Adolf Hitler et du parti national-socialiste fut caractérisée par un puissant mouvement de masse, somme toute populaire et démocratique, puisqu’il triompha à la suite de consultations électorales régulières, circonstance généralement oubliée ».

Si les documents sonores consacrés aux années 1940-1945 demeurent - dont ceux liés à l'histoire de l’Allemagne nazie et à la Collaboration -, la thématique va s’élargir progressivement afin de revendiquer un certain éclectisme. Le catalogue de la Serp se diversifie et intègre, par exemple, des chants israéliens, des discours de personnalités politiques aussi diverses que le général de Gaulle, François Mitterrand, Léon Blum et Adolf Hitler. Il propose également des titres pouvant réunir un public large :

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Le FN en chansons

Quelques noms d’interprètes, pour la plupart inconnus (ou peu) dans le milieu artistique, parsèment l’histoire du FN en chansons. À l’occasion des législatives du printemps 1978, les meetings du parti s’enrichissent d’une première partie variété avec les prestations des chanteurs « nationalistes » Georges Sampa et René Dudan. Mais c’est surtout avec les BBR (1981 – 2006 ) que l’entrée dans la chanson s’effectue. Lors de la première fête des Bleu-Blanc-Rouge, au lieu-dit La Roche-Couloir dans la vallée de Chevreuse (Yvelines), Jean-Pax Méfret, revêt la double casquette de « chanteur de droite » et de « chanteur de l’Occident ». D'autres, comme le Docteur Merlin, le suivent dans la lignée des chanteurs nationalistes engagés. De son vrai nom Christophe Lespagnon, il interprète notamment des textes de Robert Brasillach.

À partir des Européennes de 1984, l’air du « Chœur des esclaves » du Nabucco de Verdi accompagne les meetings de Jean-Marie Le Pen. Quant aux chansons, leurs titres et mises en mots donnent un aperçu des thématiques : « La France aux Français », « Si tu n’aimes pas la France, sors de la France » ou, encore, « Avec Jean-Marie, je n'ai plus de peine ». Interprétées par la « chanteuse bleu blanc rouge » surnommée « la Spice girl » du FN Isabella Impératori, les paroles sont reprises en chœur par l’assistance aux réunions et quelques meetings des présidentielles de Jean-Marie Le Pen. En voici quelques-unes : « Le pays se dégrade. C’est l’insécurité, c’est l’immigration (…) Moi, j’ai choisi Le Pen. C’est ma conviction. Avec Jean-Marie … Je redeviens moi-même ».

Si Marine Le Pen a fait le buzz sur internet (mai 2015) avec sa parodie de Sylvie Vartan pour chanter son « amour » à Nicolas Sarkozy, son parti mise aujourd'hui sur une musicalité et mise en scène plus sobres que les années précédentes. Les paroles, continuellement empruntes de cette touche nationaliste, vont dans le même sens. « Aimer la France », chantée en fin de meeting au Zénith avant le premier tour de la présidentielle de 2012, exalte la « France des clochers, de Voltaire et des lumières et la fierté d'être française ».

D'un côté, les interprètes « maisons » et, de l'autre, des artistes... Certains refusent de se rendre dans les villes FN. D'autres acceptent, expliquant qu'ils viennent chanter pour le public et non pour servir un parti. Mais aujourd'hui comme hier, ils sont peu à se produire lors des réunions privées et meetings des Le Pen. Certes, Les Forbans se trouvaient, par exemple, à Hénin-Beaumont pour la fête de la musique de 2015. Le groupe s'est, également, produit pour les 40 ans du FN à La Mutualité. Albert Kassabi, chanteur du groupe, l'explique ainsi : « Il ne faut diaboliser personne. J'ai toujours adoré la controverse. Au moment où la mode était au disco, moi je faisais du rock'n'roll ! Je pense que l'artiste ne doit pas faire de politique. Tous les artistes qui en font sont des crétins. La politique, c'est comme la religion : il vaut mieux garder ça pour soi. D'ailleurs, vous savez, j'ai 50 ans et je n'ai jamais voté ».

Il y a aussi ces personnes qui souhaitent représenter le parti de Marine Le Pen. Dik, surnommé « le chanteur FN », est l'interprète d'« On veut du Rock FN (et qu'on vote pour Marine Le Pen) ». On peut l'entendre dans une autre de ses chansons phares, « Dehors les migrants ». Le refrain donne le ton« Dehors les migrants. Nous ne voulons pas de vous, nous n'avons que faire de vous. Dehors les migrants. Alors allez voir ailleurs la France n'est pas une poubelle ». Quelques paroles suivent : « Qui c'est qui nous fout la haine ? Cherche pas c'est toujours les mêmes. On nous envoie les enfants de Satan pour venir semer la mauvaise graine. Quand les soldats de l'Islam viennent s'échouer sur nos terres ce sont des viols, des délits et des drames. Moi j'te foutrais tout ça à la mer. On nous dit n'ayez pas peur mais tout ça c'est que du vent. Qui vous envoie pour détruire les valeurs qui font la grandeur de l'Occident ? » 

En ces temps de « dédiabolisation », il semble peu probable de voir Dik endosser l'habit de chanteur officiel du FN. Actuellement, un seul album est en vente sur le site de la Boutique du FN ; douze chansons dont les paroles et musiques sont de Franck Yrven.

service-compris-de-franck-yrvenService compris est présenté comme un CD de « chansons à texte » dans lequel figure « ''À L'Elysée'' en 2017 c'est Marine ! ». Dans la chanson qui donne le titre à l'album, l'auteur-interprète s'adresse à sa mère pour qui il « improvise un rendez-vous, un déjeuner service compris ». Il lui laisse quelques paroles revenant sur le « mystère de la vie », le temps qui passe avec un conseil : danser, fumer, chanter et profiter du temps. On est alors bien loin de l'univers sonore nationaliste des années précédentes.