Générations (Marine) Le Pen

Couverture de National Hebdo (17-23 octobre 2002)

Dans une lettre datée du 20 mai, Jean-Marie Le Pen « somme » sa fille de lui « rouvrir les portes du FN ». L'ancien président du FN veut être réintégré au sein de « son » parti et estime qu'il a son « mot à dire » sur les investitures accordées par le FN pour les législatives de 2017. Depuis août 2015, Jean-Marie Le Pen n'appartient plus officiellement à l'histoire du FN. Cette mise à l'écart - qui semblerait définitive - entend mettre un terme au FN historique et, notamment, à l'aspect provocateur du père. Cette stratégie de « dédiabolisation » ne date pas du Congrès de Tours de janvier 2011. Elle prend ses origines dans une association remise sur pied par Marine Le Pen et ses proches, au début des années 2000... peu après la présidentielle de 2002 à l'occasion de laquelle le président du FN accède au second tour.

C’est d'ailleurs à l’été 2002 que Marine Le Pen commence véritablement sa carrière politique. Ce n’est pas lors des législatives de 1993, dans le XVIIème arrondissement de Paris, lorsqu’elle se présente dans la seizième circonscription face à Bernard Pons. Ce n’est pas, non plus, en 1998, quand elle obtient son premier mandat politique en tant que conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais, élue sur la liste de Carl Lang. Le 13 juin 2002, Marine Le Pen accède au second tour des législatives dans la treizième circonscription du Pas-de-Calais (Lens). Peu après, elle investit le FN avec Générations Le Pen (GLP), créée en 1998 par Samuel Maréchal. Ouverte aux adhésions et distincte du parti (comme le RBM), l’association affiche immédiatement un maitre mot : « dédiabolisation » .

« Casser l’image diabolisée  » du FN et de Jean-Marie Le Pen

Avec GLP émerge la nouvelle génération qui entend faire du Front national une machine à prendre le pouvoir. Sous son impulsion, le parti s’apprête à muer. Cette structure doit être considérée comme un relais entre le FN de Jean-Marie Le Pen et celui de sa fille.

GLP se défend d’être un FN bis. Officiellement, l'association - présidée par Marine Le Pen - a pour but de « rassembler tous les jeunes élus et cadres politiques ainsi que toutes les personnes se sentant concernées pour constituer un lieu de rencontre, de dialogue et de réflexion ainsi que de promouvoir et valoriser l’image et l’œuvre de Jean-Marie Le Pen de toutes les manières idoines ». GLP veut montrer que le FN « n’est pas seulement une force de protestation mais aussi une force de gouvernement ». Pour franchir ce palier, une étape s’avère indispensable : le parti doit se crédibiliser et se normaliser.

La scission de 1998 se fait sentir durablement dans l'histoire du parti. Le FN doit inverser la tendance.. et pas seulement sur le plan de son offre politique. En ce qui concerne le nombre de ses adhérents, il est au plus bas, à savoir moins de 14 000. Plusieurs pistes sont proposées :

- Recruter des « profils professionnels ou personnels indispensables à la socialisation et à la normalisation du FN ».

- Convoyer le « message authentique » de Jean-Marie Le Pen auprès des « populations n’en ayant pas de connaissance réelle ».

- Unifier le discours et sortir de la « logique historique » en adoptant un « discours de synthèse », une « ligne nationale républicaine ».

- S’adresser à un nouveau public.

... et parvenir à la victoire

Il s’agit de clore – et de s’affranchir - d’une période de trente ans et d'en entamer une autre, fondée sur la rupture. Nombre de cadres historiques des années 2000, parmi lesquels Carl Lang et Bruno Gollnisch, affichent leur méfiance à propos de l'initiative de Marine Le Pen et de son cercle rapproché. Ces derniers expliquent d'ailleurs être conscients de gêner un « certain nombre de caciques » du FN et de déranger « une sorte d’ordre établi ». De son côté, Jean-Marie Le Pen exprime bien ce qu’il ressent face à l’avenir, pour lui-même et pour son parti. Il montre à quel point le fossé générationnel clive le Front national : « Marine pense, pensait que nous étions diabolisés c’est un fait, bon, elle pensait qu’il était possible de faire baisser cette pression de diabolisation en n’offrant pas le flanc (...) en diminuant la surface d’attaques dont nous étions l’objet, voilà. Alors pour elle c’est très facile puisqu’(...) elle est née en 68, donc elle n’a pas à se déterminer par rapport aux événements précédents. Moi c’est différent, (...) je suis né en 1928, alors j’ai participé comme adolescent à la Deuxième Guerre mondiale, j’ai donc joué un rôle, j’ai une opinion sur ces événements que Marine n’a pas et ne croit pas utile d’avoir, voilà c’est tout, c’est ça la différence, mais il est vrai aussi que le changement de personne fait que l’on n’a pas contre Marine l’hostilité que l’on a, sans trop savoir pourquoi d’ailleurs (...) contre Jean-Marie Le Pen lui-même. »

Plusieurs de GLP se retrouvent, aujourd'hui, dans la direction du FN... et appliquent ce qu'ils ont commencé à mettre en oeuvre dans les années 2000. Cette période doit être considérée comme le point de départ, pour ces trentenaires émergents surnommés les « night-clubers », d’une réflexion globale sur la gestion de l’héritage frontiste. C'est à ce moment précis que le FN de Marine Le Pen commence à se mettre en place.