Clap de F(I)N ?

Réunion de "crise" autour de Jean-Marie Le Pen au moment de la scission de 1998. On aperçoit, entre autres, Marine Le Pen et Bruno Gollnisch.

Ce pourrait être un des derniers épisodes d’un duel inédit dans la vie politique française. La trame met en scène deux Le Pen, le père et la fille. Elle pourrait reprendre les éléments scéniques d’un drame shakespearien. Histoire d’une conspiration et d’un parricide annoncés… sachant que Jean-Marie Le Pen a, sans le savoir, mis en œuvre son assassinat politique.

Les derniers événements datent de quelques jours. Ils concernent la participation de deux figures historiques du Front national au 1er mai de l’ancien président du FN, considéré comme un « rassemblement anti-Marine Le Pen » : Marie-Christine Arnautu et Bruno Gollnisch. Une présence interprétée comme une trahison pour le FN et un témoignage de fidélité pour Jean-Marie Le Pen. Un énième épisode qui annonce la fin du FN historique.

La fin d'une histoire

32 voix pour, 3 contre et 4 abstentions... Le communiqué est tombé le 2 mai, après la tenue du Bureau politique à Nanterre : « Le Bureau Politique du Front National (…) constate le caractère inacceptable de la participation de membres du Conseil d’Administration (Bureau Politique) du Front National à une manifestation politique réunissant un grand nombre d’organisations et de personnalités violemment hostiles au Front National et au cours de laquelle des critiques virulentes ont été formulées à l’égard du Front National, de sa ligne politique et de sa Présidente. En conséquence, le Bureau Politique demande à Monsieur Bruno Gollnisch et à Mme Marie-Christine Arnautu de renoncer aux fonctions qu’ils exercent au sein des instances dirigeantes du Front National (Bureau Exécutif pour M-C Arnautu, Bureau Politique pour M-C Arnautu et B. Gollnisch) ». 

Conseiller-Régional de Rhône-Alpes depuis 1986 et député européen depuis 1989 (il a quitté le groupe FN au Parlement européen), Bruno Gollnisch été secrétaire et délégué général du FN et son vice-président. Quant à Marie-Christine Arnautu, elle ne fait pas qu'occuper aujourd’hui plusieurs fonctions au FN, dont la vice-présidence. C’est une intime de la famille (au sens large) Le Pen depuis bien des années. Ces deux fidèles de Jean-Marie Le Pen n’ont donc pas qu’une histoire politique d'une trentaine d'années avec l’ancien président du FN. Ils entretiennent avec lui une longue relation d’amitié. Tous deux étaient à ses côtés bien avant l’apparition du FN, notamment au Bivouac du Grognard, le restaurant parisien du 85 rue Saint-Honoré, tenu Roger Holeindre. Parmi les habitués ? Jean-Marie Le Pen mais aussi les futurs bâtisseurs du FN Christian Baeckeroot, André Dufraisse, Jean-Claude Varanne ou encore Bruno Gollnisch et Marie-France Charles.

Un processus daté

C’est une stratégie engagée une bonne décennie plus tôt. Elle s'est accélérée ces derniers mois. Il faut remonter aux années 2000 et se remémorer la troisième scission du FN, fin 2008. Le 27 janvier 2009, Martine Lehideux annonce, dans un communiqué commun avec Martial Bild, leur départ du groupe Front national au conseil régional d’Île-de-France. Ils s’ajoutent à la liste, entamée depuis quelques années, de ceux qui n’acceptent pas les nouvelles orientations du parti d'extrême droite. Michel Bayvet, Fernand Le Rachinel, Martine Lehideux, Martial Bild, Myriam et Christian Baeckeroot, Michel de Rostolan se sont décidés à quitter le parti pour une raison commune : le FN de la fin des années 2000 est incompatible avec celui pour lequel ils ont œuvré de longues années. Surtout, ce parti qui prend forme est un parti anti-lépéniste. Fernand Le Rachinel me disait ces quelques mots, en janvier 2014 : « La scission de 2008 annonce la fin du FN et la prise de pouvoir de Marine Le Pen. À partir de 2004, elle manipule totalement son père. Peu après l’affaire de Rivarol, je me retrouve au bar du Parlement, à Strasbourg, avec Louis Aliot et Marine Le Pen. Je les entends parler de l’éviction de Jean-Marie Le Pen en des termes peu flatteurs qui m’ont choqué. Je ne l’ai jamais dit à Jean-Marie Le Pen ».

Marine Le Pen est-elle amnésique ? Elle sait qu'elle doit sa fonction de présidente à son père. Elle est entrée au FN par la petite porte. Début janvier 1998, Jean-Marie Le Pen créé un service juridique au sein de son parti, sur la proposition de sa fille et sur mesure. Ensuite, il ne cesse de favoriser son ascension contre la volonté des caciques du parti. Aujourd’hui, le FN termine sa recomposition. Certes, il reste encore en son sein quelques personnes ayant participé au FN des années Jean-Marie Le Pen. La plupart ont exprimé ouvertement leur opposition à son égard.

Marine Le Pen solde tout

Marie-Christine Arnautu et Bruno Gollnisch sont appréciés par la base militante. Ils sont les seuls du Bureau politique à avoir voté contre l'exclusion de Jean-Marie Le Pen, en août 2015. Pour l’instant, Bruno Gollnisch réserve sa réponse. Marie-Christine Arnautu refuse clairement de démissionner. « On peut difficilement imaginer qu'ils puissent continuer de siéger dans les instances de direction », affirme Sébastien Chenu, nouvellement nommé délégué national du RBM. Il poursuit avec ces mots, plein de sens : « C'est la fin d'une aventure. Marine Le Pen solde tout. »

Les propos de Steeve Briois s'inscrivent dans une logique similaire. Considérant l'attitude de Bruno Gollnisch et de Marie-Christine Arnautu comme une trahison, le maire d’Hénin-Beaumont affirme qu'« ils n’ont plus rien à faire à la direction du FN. (…) Il faut purger le mouvement. (…) Il faut qu'on aille jusqu'au bout maintenant ». À la fin des années 1990, Steeve Briois avait cru en Bruno Mégret et l’avait suivi, un temps, pour l’aventure du MNR. Élu conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais en 1998, il s’y était présenté sous l’étiquette MNR en 2001. Égarement ? Trahison ? Son attitude ne l'a pas empêché de revenir au FN (à la demande de Jean-Marie Le Pen) et d'y poursuivre sa carrière d'homme politique.

Quant à Jean-Marie Le Pen, il trouve le « procédé assez singulier ». Marine Le Pen, affirme-t-il sur LCI, « devrait savoir qu’on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’assoir dessus ». L’homme dit s’interroger sur les « raisons qui poussent Marine Le Pen à se suicider politiquement ». Et de conclure : « on fait croire à Marine Le Pen qu’en se débarrassant des fondateurs du FN elle va pouvoir connaître un grand succès. C’est exactement l’inverse ». L'ancien président du FN sait de qui il parle... tout comme ceux qui ont vécu son sort ou s'apprêtent à le vivre. Florian Philippot reste l'homme visé. Avec la présidente du FN et son cercle rapproché, il tourne une des dernières pages de l'histoire du FN de Jean-Marie Le Pen.