Le Pen - Faurisson : un rendez-vous manqué ?

6 avril 2016 : Jean-Marie Le Pen est condamné à 30 000 euros d'amende. Un an plus tôt, à la question de Jean-Jacques Bourdin qui lui demandait s'il regrettait d'avoir qualifié les chambres à gaz de « détail », l'ancien président du FN répondait : « Pas du tout. Ce que j'ai dit correspondait à ma pensée que les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la guerre, à moins d'admettre que ce soit la guerre qui soit un détail des chambres à gaz ». Quelques mois plus tard, il était exclu de son parti...  jugé trop antisémite pour le « nouveau » Front national. 

9 avril 2016 : Jean-Marie Le Pen est l’invité d’honneur du banquet d'anniversaire de Rivarol, organisé dans un hôtel non loin de Paris. La famille de l’extrême droite française s’est réunie pour ce rendez-vous, fêtant les 65 ans de l'hebdomadaire et les 70 ans d'Écrits de Paris . Ce « grand moment d'amitié française », dixit le directeur de publication de Rivarol Jérôme Bourbon, accueille un public large... négationnistes inclus. Jean-Marie Le Pen y retrouve d'anciens compagnons de route dont Roger Holeindre, Carl Lang ou, encore, Pierre Vial. Par contre, il ne croise pas Robert Faurisson… qui s’exprimera, quelques minutes plus tard, devant un auditoire visiblement conquis.

Jean-Marie Le Pen a quitté les lieux peu avant l’arrivée du négationniste français. Ceci dit, les deux hommes ne sont pas étrangers l’un à l’autre tout comme leur univers idéologique. Jean-Marie Le Pen s’est, à plusieurs reprises, prononcé sur le négationnisme. Il a également accepté, dans son entourage politique et médiatique, des personnes épousant ces thèses. Le Front national est, également, le seul parti politique français à avoir condamner ouvertement la loi Gayssot et à demander son abrogation dans ses programmes.

Ce qu'il « admire le plus », explique Jean-Marie Le Pen ce 9 avril, « c’est le courage rivarolien, 52 semaines par an depuis 65 ans ». L’hebdomadaire Rivarol, apparu en janvier 1951, peut être considéré comme un des diffuseurs réguliers du négationnisme et une des tribunes intemporelles de cette nébuleuse. Quant aux rapports historiques FN-négationnisme, ils datent des années 1970.

FN et négationnisme : une vieille histoire

L'histoire pourrait commencer, officiellement, le 13 septembre 1987. Invité au Grand Jury RTL – Le Monde, le président du Front national parle des chambres à gaz comme d’un « point de détail de la Seconde Guerre mondiale ». Il poursuit en expliquant qu’il n’a pu voir de ses yeux des chambres à gaz et qu’il n’a pas étudié spécialement la question. Il demande alors si « c’est la vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire ». Il conclut de ces mots, en référence aux négationnistes : « Des historiens débattent de ces questions. »

En réalité, depuis quasiment la création du Front national, le négationnisme est un des soubassements idéologiques du discours du parti d'extrême droite. Rappelons le profil d’un des numéros deux du FN, François Duprat. Ambitieux et intelligent, cet homme entend devenir un homme politique de premier plan. Théoricien de la droite nationale, il est à l’origine, en 1972, des Groupes nationalistes-révolutionnaires (GNR), en marge du FN mais intégrés dans le parti de Jean-Marie Le Pen. François Duprat crée un groupe de presse nationaliste-révolutionnaire influent, véritable matrice idéologique, à l’origine de la diffusion des classiques de la littérature négationniste et raciste. Celle-ci provient, pour l’essentiel, des réseaux internationaux de néo-nazis et d’antisémites. Jusqu’à son assassinat en mars 1978, François Duprat doit être considéré comme le fournisseur attitré de la propagande négationniste au sein de l’extrême droite française et internationale.

Les rappels réguliers - liés à la période de la Seconde Guerre mondiale - effectués par certains idéologues du parti d’extrême droite, les soi-disant dérapages ou calembours de Jean-Marie Le Pen ou encore la réactivation du thème du « complot juif » participent directement à la logique négationniste frontiste. Des paroles dirigées vers l’électorat FN, vers le noyau dur du parti. À partir de l’été 1989, et ce, pendant plusieurs années, l’antisémitisme devient un des thèmes réguliers de la propagande politique du FN. Il s’agit alors de montrer la « domination juive » en France afin de délégitimer le pouvoir politique. La prise en compte du négationnisme dans les programmes et au sein de l’idéologie du parti lepéniste entend bouleverser la mémoire collective et réhabiliter le nationalisme français et ses valeurs. L’histoire établie par les vainqueurs se doit d’être remodelée. Pour ces raisons, les chambres à gaz représentent un « verrou » idéologique qu’il faut absolument faire sauter.

Et Robert Faurisson et Jean-Marie Le Pen ?

Le 26 décembre 2008, Dieudonné M’bala M’bala annonce en fin de son spectacle au Zénith la venue d’un invité « surprise » avec ces mots : la personne qui va monter sur scène est un « scandale à lui tout seul (...), le plus infréquentable des hommes ». Dieudonné M’bala M’bala demande qu’on accueille cet homme avec un « tonnerre d’applaudissements ». Robert Faurisson s’avance souriant sur la scène de la salle parisienne et dit ceci, devant quelques milliers de personnes : « Je vous remercie parce que je n’ai pas du tout l’habitude de ce genre d’accueil. Je suis supposé être un gangster de l’histoire (...). J’ai été l’objet de traitements spéciaux dix fois. (...) Vous ne savez pas ce que je dis, ce que je maintiens (...) la plupart d’entre vous savent ce que les médias osent dire à mon propos (...) Je n’ai pas le droit de vous dire en réalité ce qu’est le révisionnisme, que ces gens-là appellent le négationnisme. Moi, je les appelle affirmationnistes, et vous pouvez l’écrire comme vous voulez ».

Le spectacle n’est pas terminé. Jacky, le régisseur de Dieudonné M’bala M’bala, se joint à eux sur scène. Il est là pour remettre un Prix de l’infréquentabilité et de l’insolence à Robert Faurisson. L’homme, tout sourire, vêtu d’une tenue rayée sur laquelle est collée une étoile jaune à hauteur de la poitrine, vient apporter au négationniste son pseudo-trophée (quelques pommes sur une tige). Dieudonné M’bala M’bala qualifie l’habit de déporté d’«habit de lumière » et s’écrie : « Vos applaudissements vont retentir assez loin (...). Votre présence ici et notre poignée de main sont déjà un scandale en soi. C’est même la plus grosse connerie que j’ai faite mais la vie est trop courte. Déconnons et désobéissons le plus vite possible ! »

Les deux hommes s’embrassent. La scène ne dure que quelques minutes. Dans la salle, on remarque - entre autres - la présence de Jean-Marie Le Pen et de sa fille Marie-Caroline, de Dominique Joly, un conseiller régional FN élu sur une liste menée par Marine Le Pen, de l’essayiste de la nouvelle droite Alain de Benoist et de Frédéric Chatillon.

Mardi 30 décembre, au journal de 20 heures sur France 2, Jean-Marie Le Pen déclare que le spectacle de Dieudonné M’bala M’bala au Zénith l’avait « évidemment surpris », avant d’ajouter qu’il l’avait trouvé « très intéressant ». « J’étais spectateur discret parce que je n’étais pas dans la salle, j’étais au promenoir. (...) C’était assez différent du spectacle de chansonnier. Il y avait une ingérence de la politique qui était étonnante, mais c’est l’affaire de M. Dieudonné, ce n’est pas la mienne », poursuit-il sans formuler la moindre condamnation. À la question de savoir s’il désapprouvait cette mise en scène, le président du FN a répondu par la négative : « Je suis un spectateur, je regarde, je juge. Je trouvais que c’était étonnant, peut-être un petit peu choquant par la comparaison des sujets ». Concernant Dieudonné M’bala M’bala, Jean-Marie Le Pen affirme : « Ce n’est pas seulement un chansonnier de talent. C’est aussi un homme qui a du cœur ». Le leader du FN fait ici allusion à sa qualité de parrain pour la dernière fille de Dieudonné M’bala M’bala, baptisée par l’abbé Philippe Laguérie, en l’église intégriste Saint-Éloi de Bordeaux, quelques semaines plus tôt.

Un marqueur générationnel

Dans une interview donnée au Journal du Dimanche (9 août 2015), l’ancien président du FN revenait, une nouvelle fois, sur une des distinctions fondamentales entre le FN du père et celui de sa fille  : « l'attitude à l'égard de la Deuxième Guerre mondiale, que j'ai connue alors qu'elle n'a fait qu'en entendre parler ». Il rajoutait : « J'ai toujours dit que la dédiabolisation était un leurre, puisque ce sont nos adversaires qui nous diabolisent ».

Le souvenir du second conflit mondial - et de la guerre d’Algérie - est omniprésent dans la constitution du parti ; la réactivation des propos liés à la mémoire – et à la négation – de la guerre de 1939-1945 et des crimes nazis est quasi-permanente pendant quatre décennies. Pour les lepénistes, s'y attaquer c'est comme l’amputer d’une partie de son histoire. Les différentes sensibilités et individualités de l’extrême droite française figurent à l’origine du FN : anciens SS, anciens collaborateurs du régime de Vichy, anciens poujadistes et militants de l’Algérie française, nationalistes-révolutionnaires, etc. Une des vocations du Front national s'inscrit dans le rassemblement de « tous les nationaux sans exception ».

Pendant sa présidence (1972-2011), Jean-Marie Le Pen laisse ses hommes et la presse du FN s'exprimer sur ce marqueur historique. Dans les années 1990, Martin Peltier fait de National Hebdo une tribune de défense des négationnistes. Auparavant, cette place était réservée à François Brigneau. Le cas de ce dernier est, certainement, l’un des plus emblématiques du fait de sa fidélité quasi indéfectible à Jean-Marie Le Pen. De son vrai nom Emmanuel Allot, il n’est pas - comme il se présente lors de la constitution du Front national - qu’un simple « militant nationaliste, grand reporter, journaliste à Parole française, Rivarol, rédacteur en chef de Minute, membre du comité TV, membre du conseil national d’Ordre Nouveau ». Cet adorateur de Robert Brasillach est un ancien milicien, détenu quatorze mois à la prison de Fresnes en « qualité de soldat du Maréchal ». Jusqu’à la fin de ses jours, il dira son admiration pour le maréchal Pétain. Jean-Marie Le Pen et lui se sont connus quelques années après la guerre lors d’une « conférence » sur l’épuration donnée par François Brigneau, peu après sa sortie de Fresnes. L’avocat Jacques Isorni (défenseur, notamment, du maréchal Pétain) avait demandé à Jean-Marie Le Pen de venir voir François Brigneau et de « l’aider s’il avait besoin de quelque chose ».

Rivarol a été précédé par La Fronde. Une publication dans laquelle écrivait également François Brigneau, décédé le 9 avril 2012. C'est comme si cette journée du 9 avril 2016 était, d'ailleurs, sous son parrainage, précise Jérôme Bourbon. Elle commémore la date anniversaire du décès de, « probablement, le plus grand pamphlétaire de la deuxième moitié du XXème siècle en France » continue le directeur de publication de Rivarol.

Le Pen - Faurisson : un rendez-vous manqué ? Peut-être... une poignée de main entre le négationniste français n°1 et Jean-Marie Le Pen aurait-elle changer le suite de l'histoire ? Certainement pas. Quoiqu'il en soit, aucun membre du FN n'affichait sa présence au banquet de Rivarol ; un constat logique étant donné l'historique de la publication. Et puis, cela fait un bon moment que Marine Le Pen s'est désolidarisée de Rivarol. L'hebdomadaire a toujours affiché son hostilité à la stratégie de « dédiabolisation » engagée par la présidente du FN. Pour Jérôme Bourbon, Marine Le Pen « est un démon, c'est l'ennemie absolue à tout point de vue, sur le plan moral, sur le plan politique, sur le plan intellectuel. C'est une catastrophe absolue. (...) C'est une révulsion totale, qui est réciproque d'ailleurs ».