Lutte contre l'IVG : un des piliers de la "préférence familiale" ?

13 novembre 2015 : dans le cadre d’une réunion publique de La Manif pour tous à Marseille, Marion Maréchal-Le Pen annonce vouloir « supprimer les subventions aux associations politisées, dont les plannings familiaux » qui, selon elle, « véhiculent une banalisation de l'avortement ». Lors d’une conférence de presse précédant sa prise de parole, la tête de liste en PACA pour les régionales livrait sa définition des plannings familiaux : « des associations de gauche, très à gauche, définies comme féministes, avec un positionnement affirmé sur la théorie du genre (...) une ineptie, (...) un totem ».

Parmi les principaux thèmes de propagande du Front national, celui de la lutte contre l’avortement apparaît dès les années 1970. Le contexte est porteur : la loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse - qui dépénalise l’avortement en autorisant l’IVG sous certaines conditions - est promulguée le 17 janvier 1975. Le FN part immédiatement en campagne contre. Le parti de Jean-Marie Le Pen ne fait pas que présenter cette loi comme un « génocide anti-français ». Il porte de nombreuses attaques ad hominem à Simone Veil, surnommée « Mme Avortement ».

Tract distribué par le FN en 1980 lors du second débat sur la loi Veil

Tract distribué par le FN en 1980 lors du second débat sur la loi Veil

 

La lutte contre l'avortement apparaît régulièrement dans l’histoire du FN. Par exemple, à diverses reprises, les frontistes reçoivent des « consignes précises » pour leur prise de contact avec les élus lors d'élections : pendant les années 1980, dans le cadre des parrainages, les lettres qu’ils adressent aux maires sont en priorité, ceux connus pour leur opposition à la libéralisation de l’avortement. Entre 1986 et 1988, le parti dépose 63 propositions de loi et plusieurs amendements. Les mesures proposées reprennent le principe phare du FN, celui de la « préférence nationale ». Dans les premières propositions de loi, les députés FN-RN (Rassemblement national) demandent que l’avortement cesse d’être remboursé par la Sécurité sociale.

Retour sur les déclarations du FN à travers les programmes et publications du parti

Défendre les Français (Premier programme du FN - 1973) :

« Nous voulons que les Français soient responsables de leur vie personnelle. En toute hypothèse, il s'agit d'une agression physiologique qui, même si elle est pratiquée dans les meilleures conditions médicales, laisse le plus souvent des séquelles morales ou corporelles.
 Nous désapprouvons I'avortement légal libre, Par contre, il serait souhaitable d'aménager la législation actuelle en confiant à une commission médico-sociale le soin de se prononcer sur les cas possibles de l’interrruption de la grossesse ».

Passeport pour la Victoire (1988) :

IVG (….) : « l’avortement a contribué à la dimunition des naissances et à la décadence de notre pays (…). Michel de Rostolan, député du Front national – RN de l’Essone, co-président avec Christine Boutin, député UDF des Yvelines, et Hector Rolland, député RPR de l’Allier, du groupe d’étude pour l’accueil de la vie, a déposé plusieurs propositions de loi favorables à la vie et visant à supprimer le remboursement de l’avortement ».

Pour un avenir Français (2002) :

« Il découle du principe précédemment posé que l’avortement, mettant en cause un tiers, l’enfant à naître, ne peut être tenu pour légitime ; quant à la Nation, elle doit pourvoir à sa continuité dans le temps. Allant donc contre le Bien commun de notre pays, les lois sur l’IVG seront abrogées ».

Notre Projet. Programme Politique du Front National (2012) :

« Le libre choix pour les femmes doit pouvoir être aussi celui de ne pas avorter : une meilleure prévention et information sont indispensables, une responsabilisation des parents est nécessaire, la possibilité d’adoption prénatale doit être proposée, une amélioration des prestations familiales pour les familles nombreuses doit être instaurée ».

Deux positions frontistes sur le "droit à l'IVG" ?

Le 5 mars 2012, Marine Le Pen affirme sur TF1 à l'émission Parole de candidat, dans le cadre de la campagne présidentielle, qu'elle prendra la décision de dérembourser l'avortement en cas de besoins budgétaires. Le « déremboursement de l'IVG », continue la présidente du FN, « n'est pas dans mon projet, mais (...) de plus en plus de personnes âgées ne peuvent plus se soigner correctement, chacun d'entre vous a vu les listes de plus en plus longues de médicaments » déremboursés. « Si j'ai un choix budgétaire à faire entre ne pas rembourser l'IVG qui est un acte qui peut être évité, étant entendu quand même qu'il existe de nombreux moyens de contraception dans notre pays, et être obligé de dérembourser des actes qui ne peuvent pas être évités et qui permettent à des Français qui souffrent de se soigner », Marine Le Pen n'hésitera pas : elle optera pour le second choix.

Quelques mois plus tard, Marion Maréchal-Le Pen précise sa position concernant le déremboursement de l'IVG dans un communiqué interne du FN (11 octobre 2012), peu après avoir participé à l'émission La République du Mouv’ de Radio France  :  « J’ai indiqué que j’étais favorable à un déremboursement, tout en apportant plusieurs tempéraments. J’ai ainsi poursuivi en disant qu’il fallait que cela soit le sujet d’une réflexion, par exemple en étudiant un déremboursement à partir de plusieurs avortements. Je considère en effet qu’il est nécessaire de responsabiliser une démarche grave, lorsqu’elle s’apparente, dans de trop nombreux cas, à un moyen de contraception. En définitive, une incompréhension réciproque entre le journaliste et moi-même a pu laisser croire que ma position sur l’IVG divergeait de celle du Front National et de Marine Le Pen. Il n’en est rien : je partage la même position, à savoir lutter contre les abus du droit à l’avortement et ne plus rembourser les cas qui ne répondent pas à des situations de détresse avérées ou à des exigences thérapeutiques ».

À quelques jours du premier tour des régionales, Marine Le Pen a réagit rapidement aux propos de sa nièce. La présidente du FN s'en est désolidarisée, en précisant que la proposition de Marion Maréchal-Le Pen  « n’est pas dans les projets du Front national ». « J’ai beaucoup d’autres choses à faire » a-t-elle continué, « beaucoup plus importantes que ça à la tête de la région, notamment mettre en place le patriotisme économique ». En meeting à Nice, ce 27 novembre, les deux favorites du FN pour accéder à la présidence d'une région ont choisi de ne pas aborder le sujet.

Deux territoires convoités et opposés sur bien des aspects. Dans le Nord, un discours adapté aux contextes économique et social, répondant aux préoccupations d’un électorat populaire. Au sud, les propos de la députée FN entrent en résonance avec son électorat de la région PACA, une des terres de prédilection du FN.

Une nouvelle fois, Marion Maréchal-Le Pen vient de préciser sa position sur la « résolution réaffirmant le droit à l'IVG » dans un communiqué de presse. À suivre….

Publié par Valérie Igounet / Catégories : Non classé