Marine Le Pen absente = FN gagnant ?

Mars 1978. Jean-Marie Le Pen "proteste" devant l'ORTF au sujet du peu de temps d'antenne attribué à son parti (L'Album Le Pen, Intervalles, 1984).

Hier soir, Marine Le Pen annule, quasiment au dernier moment, ce qui devait être sa cinquième participation à une des émissions politiques phares de la télévision française « Des paroles et des actes » présentée par David Pujadas. La présidente du FN dénonce, dans un communiqué de presse, une « mascarade », une « méthode cavalière et méprisante ». A-t-elle fuit le débat ? A-t-elle imposé les conditions de son intervention… qui, finalement, lui ont glissé entre les mains ? A-t-elle préparé un coup d'éclat médiatique ? La réponse recouvre certainement l'ensemble de ces questions.

Son énième passage sur une chaîne du service publique peut-il être interprété comme le prolongement d’une histoire qui, pour certains, aurait été impulsée par le Parti socialiste : celle de favoriser le FN avant une élection afin de faire éclater les scores de la droite française ? Un aspect historique controversé qui reste irréfutable sur un fait. François Mitterrand a donné l’occasion à Jean-Marie Le Pen de faire ses débuts à la Télévision. Emmanuel Faux, Thomas Legrand et Gilles Perez en rendent compte dans leur ouvrage, La main droite de Dieu. Enquête sur François Mitterrand et l’extrême droite (Seuil, 1994).

Au début des années 1980, la presse ne s’intéresse pas vraiment au FN. Formation groupusculaire, le parti de Jean-Marie Le Pen ne va pas tarder à émerger sur le devant de la scène politique… et médiatique. Le 8 mai 1982, François Mitterrand prononce un discours à Orléans. Jean-Marie Le Pen retient une phrase : « L’unité nationale, ce n’est pas l’uniformité, c’est le pluralisme des opinions, le choc des idées. ».

Il écrit immédiatement au Président de la République ; une lettre dans laquelle il dénonce le scrutin majoritaire qui exclut un peu plus les formations politiques minoritaires comme la sienne, déjà privées du relais médiatique. Surtout, il en vient à l’essentiel : « Notre mouvement, le Front National, vient de tenir à Paris son sixième congrès. Si vous ne disposiez comme moyen d’information que de la télévision d’État, vous n’en auriez rien su. En effet, dans ce domaine, la situation faite aux formations politiques non représentées à l’Assemblée nationale, déjà très injuste avant vous, s’est encore aggravée ».

La lettre est remise à François Mitterrand, fin mai, par une vieille connaissance de Jean-Marie Le Pen, Guy Penne, conseiller du président, chargé des affaires africaines. Sur les conseils de Michel Charasse, François Mitterrand signe, le 22 juin, une réponse écrite à Jean-Marie Le Pen dans laquelle on peut lire ces quelques phrases : « Il est regrettable que le congrès d’un parti soit ignoré par Radio-Télévision. (…) Elle ne saurait méconnaître l’obligation de pluralisme qui lui incombe [...]. L’incident que vous signalez ne devrait donc plus se reproduire. Mais d’ores et déjà, je demande à Monsieur le Ministre de la Communication d’appeler l’attention des responsables des sociétés Radio-Télévision sur le manquement dont vous m’avez saisi ».

Une semaine plus tard, Jean-Marie Le Pen intervient en direct pendant le journal du soir sur la première chaîne. Sa prestation séduit. Elle surprend même. Ses passages à la TV se succèdent. Jean-Marie Le Pen confirme son « talent oratoire ». Il se démarque par un autre aspect : la provocation, le scandale. Une stratégie médiatique qui n'est pas le fruit du hasard. Le président du FN est préparé, « coaché » par une petite cellule mise en place à cette occasion.

Les années 1980 signalent l’émergence politique et médiatique du FN. Sur le plan de la communication, le parti d’extrême droite saisit plusieurs aspects dont un essentiel : sa visibilité passe davantage par les contre-manifestations et son opposition politique… Autrement dit, explique celui qui ne va pas tarder à devenir son conseiller en communication, Lorrain de Saint Affrique, Jean-Marie Le Pen « en a tiré très vite des conclusions [...] dans sa stratégie future, ce sont les forces adverses qui [le] font avancer ». L’épisode médiatique d’hier soir prolonge cette histoire. Il met également en lumière un autre aspect qui va à l'encontre de la position paternelle : la présidente du FN n'a-t-elle pas fait parler d'elle encore plus par son désistement surmédiatisé... et, donc, par son absence à l'antenne ?