43 ans aujourd'hui

Une des premières affiches du FN

5 octobre 1972 : un logo – la flamme tricolore bleu blanc rouge plantée sur un socle rouge, qui prend son inspiration dans la flamme du parti fasciste italien, le MSI (Movimento sociale italiano -Mouvement social italien) -, un sigle – FNUF (Front national pour l’unité française) - et quelques hommes annoncent la création d’un nouveau parti, salle des Horticulteurs à Paris, dans le cadre d’une réunion privée. Les personnalités présentes approuvent « pleinement le programme d’action » présenté par Jean-Marie Le Pen et François Brigneau, malgré les réticences affichées d’Ordre nouveau, à l’origine de cette création.

L’idée met du temps à convaincre. Le parti naît avec un an de retard, explique l'ancien cadre du FN Franck Timmermans. Jean-Marie Le Pen est « très frileux. Il marche à reculons ». Il « refroidit » même l’assistance lors d’une réunion préparatoire. Jean-Marie Le Pen ne veut pas être un « président de paille ». Il a une hantise : que l’expérience des comités Tixier-Vignancour ne se répète. L’histoire du FN commence avec la réintroduction d'un homme ambitieux, âgé de plus de quarante ans, dans la vie politique française.

Retour sur les premiers pas du FN et de son président.

FN = Jean-Marie Le Pen

Lorsque François Brigneau propose le nom Le Pen pour la présidence à ceux d'Ordre nouveau, l'ancien milicien sait que Jean-Marie Le Pen possède des atouts indéniables. Il donne l’image d’un homme complet, à la différence des autres représentants des partis nationalistes présents sur le « marché » français, comme, par exemple, Pierre Sidos. Ancien leader étudiant, ancien officier parachutiste, homme politique ayant participé à l’aventure de l’Algérie française, ancien député, Jean-Marie Le Pen affiche plusieurs expériences de vie singulières à travers lesquelles il fédère tout un panel humain. Aussi, il représente aussi bien les partisans de l’Algérie française que les anciens poujadistes en passant par les nationalistes-révolutionnaires ou encore d’anciens collaborateurs. Le FN s'affiche comme un parti rassembleur et transgénérationnel. Jean-Marie Le Pen reflète idéalement cet aspect. Sont mises également en évidence ses qualités d'organisateur, de chef de parti ainsi qu'un autre facteur : sa capacité de regrouper et de recruter « grâce à son carnet d’adresses, mais grâce, aussi, à tous ceux qui reviennent, par son charisme, par sa présence et par son envergure, vers lui », poursuit Franck Timmermans.

Les débuts de Jean-Marie Le Pen comme président du FN (Le Pen, Objectif France, 2001).

Les débuts de Jean-Marie Le Pen comme président du FN (Le Pen, Objectif France, 2001).

Pratiquement dès l'apparition du parti, Jean-Marie Le Pen et le FN ne font qu'un. Il ne cessera d'ailleurs de se présenter comme le fondateur du FN. La réalité des faits est autre.

Du FNUF au FN

La constitution légale du FNUF date du 27 octobre, jour du dépôt des statuts à la préfecture de police de Paris. L’objet du parti, domicilié à l’adresse de la Serp (Société d’études et de relations publiques) rue de Beaune dans le VIIe arrondissement de Paris, est de « promouvoir et d’organiser la participation de ses membres à la vie politique sous toutes ses formes ainsi que l’application de tous moyens propices à la réalisation de son objet ». En d’autres termes, il s’inscrit dans le regroupement des forces de l’opposition nationale dans la perspective du renouvellement législatif quelques mois plus tard.

Ce n'est qu'en 1995 que, statutairement, le parti d'extrême droite prend la dénomination FN… même si dans les faits, dès son apparition, il est appelé communément Front national. Sur le plan de la propagande, l’appellation FNUF est, d'ailleurs, pour le moins difficile à utiliser. Mais Jean-Marie Le Pen y tient pour plusieurs raisons : la principale, c’est l’unité du pays « après l’épreuve algérienne. La deuxième, c’est l’unité des Français face au communisme qui pratique la division par la lutte des classes et la guerre. La troisième, c’est la réconciliation nationale pour le salut public. Au FNUF, toutes les personnes se fréquentent. Si le poids du passé est douloureux, il n’y a pas d’opprobre vis-à-vis d’eux », explique Franck Timmermans. D'ailleurs, la composition du premier FN témoigne d’une propension à rassembler la génération des vaincus de l’histoire récente où l’on trouve certains anciens résistants « ou dits tels », d’anciens collaborateurs, d’anciens partisans de l’Algérie française ou encore des royalistes.

Une droite « nationale, populaire et sociale »

À ses débuts, le Front national se présente comme l’affirmation politique de la droite « nationale, populaire et sociale ». Il « souhaite tourner la page de tous les déchirements historiques du XXème siècle » et devenir une « structure d’accueil pour tous les patriotes afin que tous puissent se retrouver autour de cette logique d’abord nationale, et autour de la personnalité de Jean-Marie Le Pen ».

Le FN se veut indépendant de la droite classique. Il se situe immédiatement dans l’opposition. Cela étant, Jean-Marie Le Pen s’adapte au système politique, affirmant son ambition de prendre le pouvoir par la voie démocratique. Aussi, le FN ne cessera-t-il de jongler entre deux positionnements : l’aspiration à être un parti comme les autres et la revendication d’une idéologie et d’une posture politiques contestataires, en marge du « système ».

Le premier Bureau politique (BP) se déroule mi-octobre 1972. Jean-Marie Le Pen exige un BP s’appuyant sur la théorie des trois tiers. Un tiers pour ON, un tiers pour lui et le dernier pour les formations qui viennent s’agréger au FN. Pour eux, il pense à Georges Bidault dont la « présence gommerait l’image de la Croix Celtique », raconte un négociateur présent ce 12 octobre 1972. Les paroles de ce dernier sont rapportées par Gilles Bresson, Christian Lionet dans Le Pen. Biographie (Seuil, 1994) : « Nous n’étions pas d’accord. On lui a dit : « Un tiers pour toi ? Tu veux nous baiser, Jean-Marie ! C’est qui toi ? Tu es tout seul. Que tu prennes la présidence, OK. Qu’on fasse une place à Bidault, d’accord. Mais les deux tiers du bureau nous reviennent, parce que c’est nous qui amenons les militants et les permanents ». Jean-Marie Le Pen obtient gain de cause. Le comité directeur est ainsi composé :

– François Brigneau représente les nationalistes d’ON et du journal Militant dont Pierre Bousquet, secrétaire général du Parti de l’unité française, est le rédacteur en chef ;

– Jean-Marie Le Pen représente les « nationaux », issus des courants de l’Algérie française, avec Roger Holeindre ;

– Guy Ribeaud, du Mouvement pour la justice et la liberté (MJL) de Georges Bidault, lui-même ancien du Comité national de la Résistance (CNR) et président du Rassemblement pour l’Algérie française (RAF), s’apparente aux centristes anti-gaullistes. Il est une des cautions historiques du mouvement.

Ce BP s’établit sur des alliances fragiles. Jean-Marie Le Pen, président, monopolise attributions et pouvoirs. François Brigneau est vice-président, Alain Robert, secrétaire général du FN et d’ON, Roger Holeindre, secrétaire général adjoint, Pierre Bousquet, trésorier, et Pierre Durand, trésorier adjoint. Ordre nouveau est sous-représenté bien que ce mouvement doive être considéré comme étant à l’origine de cette initiative. Quatre commissions s’adjoignent au comité directeur : organisation, presse-propagande, étude du programme et financière. Rapidement, des dissonances se font entendre. Georges Bidault demande à Guy Ribeaud de se retirer du FN.

Pendant sa première période (1972-1981), c’est un parti de bénévoles de la politique, de militants qui s’investissent sans compter. Lors de la législative partielle de 1981, en Normandie, Pierre Surgeon, amputé d’une jambe, vend sa voiture pour payer sa propre campagne. Carl Lang, futur cadre du FN, se souvient aujourd’hui de ce « mouvement militant, de gens très engagés et politiquement marginalisés et attaqués ». Il évoque une « camaraderie quasi combattante : une atmosphère militante qui fonctionne jusqu’en 1986. Le FN reste une bande de camarades soudés, de générations différentes ».

Au bout d'une petite décennie d'existence, que peut-on dire du Front national ? Il apparaît plutôt comme un parti artisanal, inexpérimenté et mal en point sur des domaines clés : le nombre d’adhérents (moins de 500), sa représentation politique, des résultats quasi-nuls sur le plan électoral, des finances au plus bas et une première scission avec Ordre nouveau en 1973. Mais le FN possède également quelques atouts : des cadres politiques motivés, un président - véritable tribun - et une nouvelle image qu’il est en train de se construire à la fin des années 1970 : celle d’une formation politique débarrassée de ses courants ultra-radicaux.

Une trentaine d'années plus tard, l'ancienne et la nouvelle génération n'oublient pas, en général, cette première histoire accolée à Jean-Marie Le Pen et aux bâtisseurs du FN. Lorsqu'elle en devient la seconde présidente, Marine Le Pen dit d'ailleurs vouloir assumer « tout l’héritage du FN » et prendre toute l’« histoire » du parti. Aujourd'hui, il semblerait qu'elle souhaite plutôt mettre en veille certains aspects et épisodes. Le FN des années 2010 a rompu avec le lepénisme sur quelques points, notamment l’antisémitisme. Mais il reste son héritier dans bien des domaines. Depuis quelques semaines, et encore davantage avec la crise des réfugiés, la présidente du FN radicalise son discours, inscrivant ses propos dans la tradition sémantique frontiste. Quant à Jean-Marie Le Pen, exclu en août, il s'apprête à déposer un recours devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour contester cette décision.