La région Nord - Pas-de-Calais - Picardie, micro-laboratoire du FN

Tract FN régionales de 2010.

C’est désormais une certitude. Marine Le Pen conduira la liste FN aux élections régionales de décembre 2015 en Nord - Pas-de-Calais - Picardie. Une officialisation qui ne surprend personne. Pourquoi ? La présidente du FN n’avait pas vraiment le choix. D'autant plus que c'est dans - et par - cette région qu'elle est devenue une femme politique.

Certes, les enjeux de cette élection sont de taille (Lire d'Olivier Faye dans Le Monde Marine Le Pen officialise sa candidature aux régionales). Il faut également percevoir dans cette candidature locale le prolongement d'un itinéraire politique, commencé peu après la présidentielle de 2002. Une histoire qui met en avant un territoire, de nouvelles thématiques et l'ascension d'une femme. Un symbole supplante le tout : Hénin-Beaumont. Ville FN depuis les dernières municipales, elle est devenue l’emblême du Front national mariniste. Un temps communiste, puis gérée par un PS en crise, elle a été quadrillée de nombreuses années par les « trois B »  (anciens mégrétistes) Steeve Briois, Laurent Brice et Bruno Bilde. Hénin-Beaumont est également la ville dans laquelle Marine Le Pen a été la seule de son parti à accéder au second tour des législatives de 2007.... et où elle a échoué à la députation, cinq ans plus tard, de quelques voix.

C'est sa terre de prédilection. Les régionales revêtent donc une importance significative pour Marine Le Pen et le parti qu’elle préside. À deux ans de la présidentielle de 2012, celles de 2010 constituent une référence historique pour le FN. Elles servent, entre autres, de plate-forme programmatique au discours mariniste sur les thématiques économiques et sociales propagées dans cette France des « invisibles, des oubliés ». Les paroles de Marine Le Pen, prononcées peu après ces élections, révèlent sa stratégie locale, doublée d’une nationale : « Je pense que l’on est en train d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire du Front. C’est une maturité naturelle pour un parti politique encore jeune. Je n’ai pas le goût de l’effort inutile. Moi, je fais de la politique pour arriver au pouvoir et pour changer les choses. (...) Dans l’opposition, on peut acquérir une grande crédibilité. (…) On passe par l’opposition avant de gagner ».

Retour sur quelques victoires politiques symboliques de la présidente du FN.

Législatives de 2002 : le début de la carrière politique de Marine Le Pen

Aux législatives de juin 2002, Marine Le Pen est candidate dans la treizième circonscription du Pas-de-Calais (Lens). Avec Steeve Briois, elle pratique une « intense campagne » qui la conduit « de marchés en cages d’escaliers ». Leur slogan - « Produisons français en France avec des Français » - reprend celui de leurs affiches thématiques comme celle, par exemple, sur la Sécurité sociale : « Ce n’est pas aux malades français de payer la politique pro-immigrée de l’UMP ».

Contre toute attente, Marine Le Pen obtient 24,2 % des voix. Elle se place derrière le candidat PS sortant, Jean-Claude Bois, et accède au second tour. Si elle perd l’élection en termes de voix, elle l’emporte sur un autre plan, celui de la notoriété. Sa médiatisation laisse d’ailleurs circonspect son rival qui voit les télévisions françaises et étrangères pointer leur caméra, exclusivement, sur la candidate FN. Marine Le Pen va désormais s’appuyer sur cette légitimité électorale et sur son nom. Ces élections de 2002 marquent le début de sa carrière politique. Même si auparavant, aux législatives de 1993, elle s'était présentée dans le XVIIe arrondissement de Paris, dans la seizième circonscription face à Bernard Pons. Elle avait été également élue sur la liste de Carl Lang, en mars 1998 ; son premier mandat en tant que conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais.

Régionales de 2004 : une étape géographique pour Marine Le Pen

Les résultats du premier tour (21 mars 2004) sont mitigés. Le FN n'obtient aucune présidence de région malgré ses 14,7 % des voix. Le parti d’extrême droite améliore ses scores dans certaines régions. Son audience recule dans quelques bastions comme en PACA. En Île-de-France, Marine Le Pen obtient 12,26 % (en recul de plus de 4 % par rapport à 1998) et se positionne en quatrième place. Au second tour, ses 10,11 % la conduisent à la tête d’un groupe de 15 élus au conseil régional.

                                                    Tract FN régionales de 2004 :

                                            recto

 

La transition avec les régionales suivantes se révèle capitale sur un point précis : Marine Le Pen se délocalise. Elle passe de la région Île-de-France à celle du Nord-Pas-de-Calais. Une décision qui s'est concrétisée lors des Européennes de 2009, pour lesquelles elle se présente tête de liste dans le nord, éliminant ainsi le détenteur du poste Carl Lang. Pour ce cadre historique du FN, le geste de Marine Le Pen traduit un opportunisme politique doublé d'un « choix de confort personnel ». L’ancien secrétaire général commente quelques années plus tard la stratégie de l'actuelle présidente du FN. Ses critiques sont à lire dans un contexte plus large, bien au-delà de la polémique des européennes :

 « Je n’ai aucune confiance en elle, ni politique, ni technique, ni humaine. Marine Le Pen a décidé d’abandonner l’Île-de-France parce qu’elle a un risque d’y être battue, mais aussi car elle espère, en venant dans le Grand Nord-Ouest, liquider un de ses concurrents à la direction du parti. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de purge politique qui a débuté après le congrès de Nice en 2003. Marine Le Pen élimine du système tous ceux qui ne lui font pas allégeance ».

Carl Lang refuse la seconde place et la « pitoyable contre-partie financière » proposée par le FN par l’intermédiaire de Bruno Gollnisch. Le marché était le suivant : pendant cinq ans, il aurait été rémunéré comme cadre du parti s’il acceptait d’être le second sur la liste. Pour lui, cela équivalait à reconnaître le leadership de Marine Le Pen.

Régionales de 2010 : Marine Le Pen s'impose comme le leader du FN

Au premier tour (14 mars 2010), le FN se maintient dans douze régions. Il entend y jouer le rôle d’arbitre et faire rentrer des élus frontistes dans les assemblées : c’est une question de survie financière, liée aux indemnités mensuelles des conseillers régionaux.

À chaque région son discours ! Louis Aliot explique qu’il y a eu un « partage des rôles entre le père et la fille qui a pu paraître calculé, mais le FN a essayé de s’adapter aux réalités du terrain. En PACA, il y a un gros problème d’immigration et d’insécurité, alors que, dans le Nord-Pas-de-Calais, les problèmes sont d’ordre économique et social ». Aussi, Jean-Marie Le Pen dénonce-t-il « l’invasion migratoire » dans le sud-est, tandis que Marine Le Pen effectue une campagne de terrain, commencée dès octobre dans le nord. Chaque matin, elle arpente un marché. L’après-midi, elle est en conférence de presse. Entre-temps, elle se trouve aux sorties d’usines et s’adresse à un électorat populaire.

À l’issue de ces élections, Marine Le Pen s’impose comme le « leader naturel du parti » et le symbole de la reconquête frontiste. Forte de ses 22,20 %, sa liste est la seule à avoir amélioré son score au second tour. Ce qui est possible à Hénin-Beaumont « doit l’être dans chaque commune de France », explique-t-elle : « Il suffit de s’en donner la peine. Ce résultat veut dire que nous sommes capables d’élargir notre électorat, bien plus loin que notre famille naturelle, et j’espère qu’en terme de positionnement ce résultat sera le point de départ de l’avenir de la construction du Front. Le résultat que j’ai pu obtenir ici démontre que, loin de se radicaliser, il faut défendre bien entendu nos idées sans excès, et bien sûr sans faiblesse ».

Pourtant, le FN réalise là son plus mauvais score à une élection régionale. Il perd 1,2 million de voix par rapport à la précédente élection. Et, pour la première fois aux régionales, le nombre des abstentionnistes (53,7 % des inscrits) dépasse celui des votants. Pour Marine Le Pen, ces résultats traduisent, malgré tout,  l’« affirmation d’un vote d’adhésion. Le FN a su démontrer qu’il pouvait gouverner sur des idées radicalement nouvelles ».

Les régionales de 2010 se situent à une période charnière de l'agenda politique. Trois ans plus tôt, Marine Le Pen confirmait son travail d’implantation à Hénin-Beaumont. Ses 41,06 % de voix obtenus au second tour des législatives (17 juin 2007) sont, certes, le résultat du travail en amont de Steeve Briois et de Bruno Bilde qui y ont pratiqué un « maillage militant particulièrement efficace ». Mais même si elle est battue, Marine Le Pen sait que cette nouvelle étape la mène vers d’autres perspectives dont une essentielle : la succession à Jean-Marie Le Pen.

Deux ans plus tard, pour sa première présidentielle (22 avril 2012), Marine Le Pen rassemble sur son nom 17,9 % des suffrages. Elle fait mieux que son père et davantage que le cumul des scores du FN et du MNR en 2002. Les législatives qui suivent (10-17 juin 2012) signifient également une victoire pour elle et pour son parti. À Hénin-Beaumont, elle n’est battue par le candidat socialiste que d’une centaine de voix.

Les régionales de 2015 se situent, elles aussi, à un moment charnière pour le FN. Marine Le Pen préside le parti depuis plus de quatre ans et engrange quasiment, à chaque élection, des résultats inédits dans l'histoire du FN. Ces élections se dérouleront à seize mois de la présidentielle de 2017.

Aux régionales de 2010, les meilleurs résultats du FN se situaient dans le nord-est et le sud-est, les deux régions représentées par les Le Pen... qui se sont d'ailleurs suivis de près dans les résultats. Mais l'histoire faisait encore bien les choses : Jean-Marie Le Pen devançait sa fille. Le président du FN laissera ces mots qui, aujourd'hui, prennent une résonance particulière : ces « scores prouvent que Le Pen est une bonne marque ». Alors qu'elle prenait connaissance des résultats, Marine Le Pen déclarait : le « courant national est revenu comme un acteur majeur, et il sera un acteur majeur de la prochaine grande échéance nationale que sera l’élection présidentielle ». Des propos qui, cinq ans plus tard, préservent toute leur actualité... sinon plus.