Comment le FN édulcore son histoire

Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine, le 13 juin 2012, au Parlement européen, à Strasbourg. (FREDERICK FLORIN / AFP)

Le Front national a toujours aimé fêter les anniversaires. Hommages annuels aux défunts, rappels des moments phares et constitutifs de son histoire... C’est par un tweet, daté du 25 mai, que Marine Le Pen annonce le premier anniversaire des européennes : « Depuis un an, vos députés du FN travaillent pour une France libre au sein d’une Europe des nations ». Juste au-dessous, un lien renvoie à une petite vidéo, mise en ligne par le parti d’extrême droite. Deux minutes environ qui reviennent sur le « 25 mai 2014 - 25 mai 2015 : le FN-RBM au service d'une France libre dans une Europe des nations ». Mais comme aux temps du FN du père, le parti de Marine Le Pen a une façon bien particulière de retracer son histoire.

Un film de propagande...

Le commentaire relaie une sémantique quasi apocalyptique : « Europe du chaos », « trahison », « désespoir », « démondialisation sauvage », « guerres », etc. Deux parties bien distinctes dans ce court film : la première dresse un état des lieux catastrophique : « Cette union européenne ne respecte pas la démocratie, détruit nos frontières, livre nos territoires à l’immigration massive, pousse vers la mort des millions d’êtres humains. Leur Europe favorise l’insécurité, brise l’unité nationale, encourage le communautarisme et l’islamisme, déstabilise notre civilisation déjà attaquée de l’intérieur (…) menace nos terroirs et notre agriculture (…) avec sa monnaie unique déconnectée du réel détruit notre industries et nos emplois... ».

La seconde partie s’attache à mettre en valeur l'action des élus FN, leur bilan par le biais de données - « le Front national au Parlement européen depuis un an, c'est une motion de censure de la Commission européenne, près de 2000 interventions orales et écrites en plénières, plus de 300 questions écrites, plus de 1200 amendements et près de 100 propositions de résolutions » - et d’une image idyllique du Parlement et de ses occupants FN, ses 23 élus, tous souriants. Mais il manque indéniablement certaines images pour présenter un film davantage en adéquation avec la réalité. Quelques « omissions » du FN méritent d’être pointées.

... qui omet des informations

Le 25 mai 2015, le FN arrive en tête de cette élection nationale avec près de 25% des suffrages. 24 députés FN sont élus. Joëlle Bergeron, élue dans l’ouest, démissionne du FN dès le 26 mai, ceci à la demande de la présidente du FN. Elle rejoint le groupe EFD - Europe of Freedom and Direct Democracy - formé par le parti britannique europhobe UKIP,  lui-même contre l’idée d’un groupe avec le FN, considérant le parti Français comme « raciste et antisémite ».

Aujourd’hui, les 23 députés européens FN continuent à être « non inscrits », ne parvenant pas à constituer un groupe réunissant 25 députés de sept pays. Enfin, une enquête vise les assistants parlementaires frontistes, rémunérés par Strasbourg mais qui pourraient plutôt offrir leurs services au FN plutôt qu'aux députés européens.

... et surtout un homme

Enfin, parmi les visages des députés filmés pour la vidéo, un visage apparaît flouté. C'est celui d'Aymeric Chauprade, ex-conseiller international de Marine Le Pen qui n'est plus, depuis janvier 2015, chef de la délégation FN à Strasbourg. Marine Le Pen n'avait guère apprécié ses propos sur l'existence d'« une cinquième colonne » islamiste en France. Un homme, lui, se remarque par son absence. Il s'agit de Jean-Marie Le Pen, élu pour la première fois député européen en 1984 et réélu quatre fois depuis.

Ouvrages hagiographiques ou encore films à la gloire du FN... tous concourent à offrir une histoire édulcorée du parti d'extrême droite. Par exemple, à l’occasion de son trentième anniversaire, le Front national projette un film qui déroule, sur trois décennies, son histoire. Le FN a 30 ans (réalisé par Georges Henri Moreau et Alexandra Piel) s’ouvre sur un portrait à la gloire de Jean-Marie Le Pen et retrace une histoire singulière du FN. Le film ne fait pas que mettre en avant les faits d’armes frontistes. Il occulte d’autres moments fondateurs comme, par exemple, l'absence de référence au groupuscule néo fasciste à l'origine de la fondation du FN, Ordre nouveau. Surtout, un homme n'apparaît pas, ou plutôt quelques images furtives le représentent. C'est Bruno Mégret, entré au FN en 1986 et nommé Délégué général fin 1988. Un second qui est resté 22 ans au Front national et qui a laissé son empreinte dans de nombreux domaines. Début 2000, la scission est passée par-là. L'ancien Délégué général est considéré comme un traître, un ennemi. Le FN préfère nier une partie de son histoire plutôt que de s'y confronter.