Avant Kennedy : Lincoln, premier président américain assassiné

Relancé par l’ouverture d’archives longtemps classifiées, l’intérêt du grand public  pour l’assassinat de John F. Kennedy ne s’est jamais démenti- sans doute entretenu par quelques sérieuses zones d’ombres et par une tripotée de théories plus ou moins farfelues. Une fascination qui ferait presque oublier que 4 des 45 présidents américains sont tombés sous les balles d’un meurtrier : JFK en 1963, les relativement oubliés McKinley en 1901, Garfield en 1881 et le premier d’entre eux : Abraham Lincoln. Récit d’un traumatisme national aussi marquant en son temps que celui de novembre 1963.

Au théâtre ce soir

Washington, le soir du vendredi 14 avril 1865. Alors que le Sud s'effondre et que la guerre de Sécession touche à sa fin, le 16e président des États-Unis Abraham Lincoln et son épouse Mary arrivent au Théâtre Ford, à Washington pour y assister à une comédie de Tom Taylor, Our American Cousin. Déjà entamée, la pièce s’interrompt quelques instants, le temps pour le public d’applaudir leur arrivée. Le couple présidentiel rejoint dans sa loge leurs invités, le major Henry Rathbone et sa fiancée, Mlle Harris.

Vers 21 heures un jeune homme arrive à son tour devant la salle de spectacle et confie son cheval à un des machinistes. Séduisant, déjà doué d’une jolie réputation, John Wilkes Booth est bien connu des salariés d’un théâtre où il est comme chez lui, grâce à une longue amitié avec le propriétaire des lieux. Personne n’est surpris de le voir monter dans les étages – et personne ne le voit se glisser sans un bruit dans l’antichambre de la loge présidentielle avant d’en bloquer la porte. Personne non plus ne le voit préparer son arme, un Derringer à un seul coup, mais de gros calibre.

Acte III, scène 2

En bon comédien, Booth connait les répliques de la pièce sur le bout des doigts. Il attend patiemment un dialogue précis de l’acte III, dont l’envolée finale ne manque jamais de faire éclater de rire les spectateurs : il compte sur le brouhaha pour couvrir la détonation et gagner quelques précieuses secondes dans sa fuite.

Juste devant lui, dans la pénombre, Mme Lincoln se penche vers son mari et lui prend la main. « Que va penser mademoiselleHarris, que je vous tienne ainsi la main ? » murmure-t-elle. « Elle n’en pensera rien du tout », lui répond le président. Ce sont ses derniers mots. A l’instant précis où la réplique retentit (« Espèce de vieille croqueuse d'homme manipulatrice ! ») Booth s’avance et tire presque à bout touchant dans la tête du Président. Atteint derrière l’oreille gauche, Lincoln s’effondre. Le major Rathbone , en bon militaire, est le premier à comprendre ce qui se joue et se précipite pour tenter de retenir l’assassin, mais Booth se défend de deux coups de couteau , saute sur le rebord du balcon de la loge et… s’écrase trois mètres plus bas sur la scène : son éperon s’est pris dans une tenture…

La cheville brisée, il parvient pourtant  à se relever et s’écrie devant un public abasourdi « Sic semper tyrannis ! » (« Ainsi en est-il des tyrans ! »). Dans l’affolement général, Booth parvient à se frayer un chemin vers la sortie du théâtre en boitillant et à monter en selle avant de filer à bride abattue rejoindre ses complices – car Booth est loin d’avoir agi seul.

Composé de sudistes et d’esclavagistes convaincus, son groupe de conjurés préparait de longue date un attentat contre Abraham Lincoln. Après avoir d’abord pensé l’enlever pour déstabiliser le Nord, lui et ses complices avaient finalement décidé de l’abattre au lendemain d’un discours où Lincoln soutenait l’idée d’accorder le droit de vote aux Noirs. Mieux : Le meurtre du président n’était qu’un des trois attentats prévus ce soir-là. Deux autres étaient prévus, visant un secrétaire d’état et le vice-président. Seul le geste de Booth réussit.

Le dernier souffle d’un président

Au théâtre, c’est l’affolement. Dans la confusion générale, un jeune chirurgien, Charles Leale, rejoint la loge présidentielle et examine Lincoln, effondré sur son fauteuil. Paralysé, il respire à peine. Médecin militaire, Leale comprend vite que la blessure est mortelle mais n’en extrait pas moins un caillot de sang de la blessure. Lincoln semble respirer un peu mieux.

On le transporte avec d’infinies précautions au premier étage de la pension Petersen, une maison située en face du théâtre. A peine étendu, Lincoln sombre dans le coma. Sa mort n’est plus qu’une question d’heures : rapidement, la chaîne de commandement se réorganise. Officiers et membres du gouvernement se réunissent. La chasse à l’homme est déjà lancée lorsque le président s’éteint à 56 ans, le 15 avril, à 7h22.

 « Useless, useless »

Booth, pendant ce temps, découvre la différence entre ses rêves et la réalité. Nourri de culture classique, convaincu d’être un nouveau Brutus abattant un César tyrannique, le jeune homme s’attendait à être applaudi par le peuple tout entier pour un assassinat politique qu’il jugeait légitime et nécessaire. Loupé : le peuple ne voit en lui qu’un vulgaire assassin, lancé dans une course désespérée pour enrayer le cours d’une guerre civile déjà perdue par le camp Confédéré. Détail curieux : l’année précédente, Booth avait joué sur scène dans le Jules César de Shakespeare : il ne jouait pas Brutus, mais Marc-Antoine, fidèle compagnon de César…

Après une quinzaine de jours de cavale, Booth  se réfugie dans une grange à foin de Virginie où l’armée finit par le coincer. Lorsque Booth refuse de se rendre, les soldats mettent le feu au bâtiment, le forçant finalement à sortir. Alors qu’aucun ordre de tir n’est donné, un sergent ouvre le feu : la balle traverse la colonne vertébrale de Booth au niveau du cou. Paralysé, le premier meurtrier d’un président américain meurt le surlendemain, en murmurant« useless, useless » (« Inutile, inutile »).

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John Wilkes Booth

Émotion et justice

Le diagnostic est juste : des centaines de milliers d’Américains, pour beaucoup en larmes, assisteront à la procession funèbre organisée à Washington. Des millions d’autres se pressent le long des voies ferrées, sur le trajet du train qui ramène sa dépouille de Washington à sa ville natale, dans l’Illinois, sur 2700 kilomètres. Après cinq années de mandat on ne peut plus éprouvantes, Lincoln accède presque instantanément au statut de martyr, en tout cas de figure fondatrice de l'histoire américaine.

Le procès des huit conjurés encore en vie dura sept semaines et vit défiler 366 témoins. Tous furent déclarés coupables et quatre d’entre eux condamnés à mort par pendaison, dont Mary Surratt, première femme exécutée aux États-Unis.

Comme Kennedy, Lincoln fut donc assassiné un vendredi d’une balle entrée par l’arrière de sa tête, aux côtés de sa femme. Comme Booth, Oswald fut abattu avant d’être jugé. Des coïncidences qui ont frappé les esprits – et bien évidemment entretenu quelques théories du complot…

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu