Femmes combattantes #4 : Virginia Hall, l’espionne à la jambe de bois

Largement absentes de l’histoire des guerres, les femmes y ont pourtant toujours joué un rôle essentiel, et pas seulement à l’arrière. Jusqu’à la fin du mois d’août, ce blog revient sur les trajectoires de combattantes oubliées : après Nancy Wake, Louise de Bettignies et Violette Morris, retour sur la vie aventureuse de Virginia Hall, unijambiste et espionne pour les Alliés, puis la CIA.

 Une prothèse nommée Cuthbert

Née en avril 1906 à Baltimore, Virginia Hall a très vite eu des envies de grand air. Passée par la Columbia University avant de poursuivre ses études en Europe avec la bénédiction de ses parents, la jeune femme n’a qu’une envie : travailler pour l’équivalent américain de notre Quai d’Orsay.

En 1931, c’est bien parti : douée pour les langues – elle parle couramment italien, français et allemand – Virginia trouve une place d’employée de bureau au consulat américain de Varsovie avant de rejoindre un poste équivalent en Turquie. C’est là que le destin frappe, en 1932 : alors que Virginia participe à une chasse, un tir accidentel lui coûte sa jambe gauche, rapidement amputée au-dessous du genou pour éviter la gangrène. A 27 ans, la malheureuse est unijambiste : dans un monde encore peu sensible à la question du handicap, l’épisode aurait pu mettre un point final à son rêve de devenir elle-même diplomate.

Ce sera tout le contraire mais pour l’heure, les années 30 sont celles des désillusions. En poste au consulat de Venise et désormais équipée d’une prothèse de bois qu’elle baptise Cuthbert* séance tenante, elle apprend en 1939 que toute carrière diplomatique lui est désormais interdite en raison de son handicap.

 Des fourmis dans la jambe

En 1940, elle est de passage à Paris lorsque le Reich lance la Blitzkrieg contre la Belgique et la France. Alors que les armées allemandes progressent à vue d’œil, la jeune femme saisit l’occasion. Elle devient ambulancière pour l’armée française, peu regardante sur le cas de Cuthbert, la jambe de bois toujours fidèlement attachée au genou de sa propriétaire.

Débâcle oblige, l’Américaine n’a pourtant guère le temps de briller. Lorsque l’Armistice est signée le 22 juin 1940, la jeune femme se retrouve en zone libre – hors de question pour elle de s’arrêter là. Via l’Espagne, Virginia finit par rejoindre Londres, où elle se présente au SOE (Special Operations Executive) britannique, qui l’engage en dépit de son profil atypique – ou peut-être grâce à ce satané handicap qui la rend finalement plus insoupçonnable que d’autres : comment les services allemands pourraient-ils croire qu’une jeune américaine boiteuse et mutilée est une espionne ?

Après plusieurs mois de formation, la première agente féminine du service action du SOE est débarquée en pleine nuit et en bateau sur les côtes de la Manche – pas question de la parachuter, Cuthbert oblige. De là, la jeune femme se débrouille pour rejoindre Vichy en août 41 puis Lyon. Partout, elle se présente comme une journaliste du New York Post, une couverture classique mais efficace alors que les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre.

Ses journées sont bien différentes : chargée de tisser des contacts entre la Résistance et les services britanniques, la jeune femme passe son temps à collecter des renseignements, rencontrer les responsables des réseaux, organiser des exfiltrations de pilotes et de prisonniers de guerre, planifier des parachutages d’hommes, de matériel et d’équipements… Et de manière générale, à informer Londres de ce tout ce qui se passe de l’autre côté du mur de l’Atlantique. Un job mortel : plus la guerre avance, plus ce genre d’activités avait de solides chances de vous valoir l’intérêt de la Gestapo dans un premier temps, la torture et un peloton d’exécution dans un deuxième. Pourtant, Virginia s’en sort comme une fleur pendant un an et demi, déjouant à merveille les efforts des services allemands.

Du SOE à l’OSS

L’entrée en guerre des Etats-Unis, fin 1941, change la donne : il n’est plus question de jouer les journalistes et très vite, l’étau se resserre sur celle que les Allemands ont surnommé la Dame qui Boîte. Lorsque l’un de ses plus proches camarades est arrêté et exécuté, il ne reste plus qu’à fuir vers l’Espagne sous un faux nom – un vrai bonheur avec une prothèse qui la ralentit dans ses mouvements et la rend facilement repérable.

Dans un de ses messages, la jeune femme indique d’ailleurs au SOE qu’elle prie pour que « Cuthbert ne lui pose pas de soucis ». Ce à quoi son contact répond très sérieusement qu’il ne faut pas hésiter à éliminer Cuthbert s’il devient une gêne…

Une fois à Londres, la jeune américaine passe logiquement au service de l’OSS, l’équivalent américain du SOE. Lequel décide séance tenante de… renvoyer Virginia en France sous l’identité de de Marcelle Montagne, nom de guerre Diane. En mars 44, les cheveux teints en blancs, Virginia reprend ses activités dans le centre de la France, dans un contexte extrêmement risqué. Gestapo et Wehrmacht sont sur les dents, ce qui n’empêche pas « Diane » de faire merveille.

Marcelle mpontagne faux certificat

Le faux certificat de naissance de Virginia Hall, du bien beau boulot de l'OSS.

Alors que le Débarquement approche, Virginia se balade dans toute l’Auvergne équipée en tout et pour tout d'une arme de poing et d'une simple radio. Transmettant régulièrement ses informations, elle cartographie la région, organise les transports clandestins d’armes et de munitions, repère des planques… Le tout n’est pas une mince affaire avec une prothèse : après chaque transmission radio, il faut lever le camp rapidement pour éviter de voir débarquer dans la grange ou la ferme du jour la moitié des forces allemandes de la région, attirées par ces émissions clandestines.

Avant la fin de la guerre, Virginia et ses maquisards parvinrent à détruire quatre ponts, à faire dérailler des douzaines de convois de ravitaillement, à tuer plus de 150 soldats ennemis, à en capturer 300 autres et à faire le lien avec les forces spéciales de l’Opération Jedburgh. Au passage, la jeune femme aura pris le temps de piloter la formation de trois bataillons de résistants dont l’action se révélera précieuse pour gêner la Wehrmacht, après le D-Day – et de tomber amoureuse d’un jeune maquisard, Paul Goillot, qu’elle épousera après la guerre.

Espionne un jour, espionne toujours

Décorée de la Distinguished Service Cross, la médaille américaine la plus recherchée après la Medal of Honor, Virginia intégra officiellement la CIA au lendemain de la guerre et refusa la plupart des honneurs qu’on lui proposait, considérant qu’ils la gêneraient plus qu’autre chose dans son travail d’espionne. Impliquée dans des opérations de l’agence américaine derrière le Rideau de Fer, elle tissa notamment des liens avec les organisations qui luttaient contre les autorités russes dans toute l’Europe de l’Est – la plus grande partie sont toujours confidentielles aujourd’hui.

Officiellement à la retraite en 1966, Virginia Hall est morte en 1982, à 78 ans.

Elle reste aujourd’hui l’agente la plus décorée de l’histoire américaine.

 

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* Ne me demandez pas pourquoi Cuthbert.

Publié par jcpiot / Catégories : Actu